Ces dernières années, le débat opposant les adeptes de la redistribution de la richesse aux défenseur·e·s d’une plus grande stimulation de la croissance économique anime l’espace public au Québec. Pour ces derniers, l’amélioration de la productivité est un moyen mis de l’avant afin d’atteindre leur objectif, d’autant que ces gains de productivité sont réputés se traduire d’eux-mêmes en une meilleure rémunération des travailleurs et travailleuses. Par conséquent, toute la société devrait y gagner lorsque sont mises en place des mesures favorisant la productivité.
Toutefois, l’IRIS démontre dans cette recherche qu’au cours des 30 dernières années le PIB par heure travaillée a augmenté de 32% tandis que le revenu de travail n’a progressé que de 15%. Le retard accumulé a mené à un manque à gagner de plus de 3 $ l’heure en moyenne en 2010.
Conclusion
Selon le discours pro-productivité, qui prétend que les gains de productivité se traduisent à terme par un accroissement du revenu des travailleurs et travailleuses, on aurait pu s’attendre à ce que l’augmentation de 32 % de la productivité entre 1981 et 2010 soit accompagnée d’une hausse similaire du revenu des travailleurs et travailleuses11. Pourtant, ce dernier n’a progressé que de 15 % pendant la même période. Le retard accumulé a mené à un manque à gagner de plus de 3 $ l’heure en moyenne en 2010. Pendant la même période, la part du PIB que recevaient les travailleurs et travailleuses a diminué de 12 % alors que celle du capital a crû de 16 %.
Cette divergence s’explique en grande partie par la détérioration du pouvoir de négociation des travailleurs et travailleuses au cours des 30 dernières années. Le Québec a notamment connu des périodes de très hauts taux de chômage, accompagnées généralement d’une baisse ou d’une stagnation relative de la rémunération. Dans les années 1990, le programme d’assurance-emploi est devenu beaucoup moins généreux et beaucoup moins de chômeurs et chômeuses y ont accès désormais. De plus, la libéralisation des échanges commerciaux et des flux de capitaux rendent certaines compagnies plus mobiles et contribuent à diminuer la sécurité d’emploi de certains travailleurs et travailleuses. Cette détérioration contribue à expliquer la divergence entre l’évolution de la productivité des travailleurs et travailleuses et leur rémunération.
L’objectif annoncé des politiques en faveur de l’accroissement de la productivité est généralement l’augmentation du niveau de vie du plus grand nombre. Cependant, puisqu’il n’y a pas de lien automatique entre productivité et rémunération, l’élaboration de toute politique visant à augmenter le revenu des travailleurs et travailleuses via une progression de la productivité doit tenir compte de l’effet que cette politique aura sur la capacité des travailleurs-euses à aller chercher une part des gains de productivité attendus et notamment sur leur pouvoir de négociation. Pour lors, étant donné les retards accumulés, on pourrait même dire qu’il serait important d’aller plus loin et de créer des conditions propres à permettre aux travailleurs et travailleuses de combler ce retard.
– en collaboration avec Philippe Hurteau, chercheur
L’étude intégrale : http://www.iris-recherche.qc.ca/wp-content/uploads/2013/08/Note-productivite-IRIS.pdf