Édition du 17 décembre 2024

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Retraites

Crise manufacturée par Labeaume à propos des régimes de retraite dans le secteur municipal et réaction syndicale

Les travailleurs et les travailleuses du secteur municipal au Québec ont compris rapidement qu’après le résultat des dernières élections provinciales que les idéologues à la Labeaume remettraient au calendrier politique dès qu’ils le pourraient la question d’une possible loi afin de réviser la négociation des régimes de retraite.

Une mobilisation syndicale unifiée et déterminée semble être en voie de développement. La coalition syndicale pour la libre négociation regroupe tant les employéEs cols blancs que les cols bleus, les pompiers, les policiers et chauffeurs d’autobus. Une coalition bleue, blanc et rouge que Labeaume a suscité par ses attaques répétées depuis quelque temps.

Une large réunion a eu lieu la semaine dernière suivie d’une manifestation quelques jours plus tard qui ne laisse aucun doute sur la détermination réelle, sur le terrain, de cette coalition arc-en-ciel de défendre leur retraite que rien ne justifie de les attaquer. Les villes négocient séparément. Le milieu syndical québécois n’a pas une grande tradition d’unité dans l’action mais a déjà prouvé en 1993 qu’il en était capable lorsque le gouvernement libéral de Daniel Johnson avait déposé son projet de loi 102 visant à réduire "mur à mur" de 1% la rémunération globale des secteurs publics à tous les niveaux.

RAPPEL DE LA "CRISE"

Le maire Labeaume, suivi par d’autres chantres, a martelé l’idée que les régimes de retraite publics sont la plus grande menace pour les finances du gouvernement et des municipalités. Tous se souviennent de la débâcle financière mondiale de 2008 et de ses conséquences. La Caisse de Dépôt, sous la gouverne (la dérive plutôt) d’Henri-Paul Rousseau y a perdu plus de $41 milliards.

Le niveau de financement des régimes complémentaires de retraite d’entreprises a chuté dramatiquement. En 2006, la capitalisation moyenne de ces caisses dépassaient largement 100%. C’est dire que sur les centaines, sinon les milliers de ces régimes, seules une poignée d’entre elles vivaient d’importantes difficultés. Retournement dramatique lorsqu’on constate qu’en 2008, cette moyenne s’établit maintenant sous la barre du 70% ! 30% d’écart ! Du jamais vu. On ne voit trop comment un rétablissement pourrait s’effectuer en moins d’une génération. D’ici là des compagnies auraient à payer des cotisations supplémentaires afin de renflouer ces régimes. Certaines pourraient fermer laissant en plan des travailleurs floués avec une rente amputée à jamais.

Hydro-Québec symbolisait cette chute aux enfers. Désormais déficitaire, cette compagnie dont le seul actionnaire est le gouvernement devait verser $394 million/an seulement pour amortir le déficit de son régime s’élevant à $4,6 milliards. Labeaume, encore lui, déclarait que les contribuables se révolteraient face à l’injustice d’avoir à tout payer. Quant à lui et pour sa ville, il entendait revoir "tout ça". C’en est même devenu l’axe principal de sa campagne électorale de l’automne dernier.

Le gouvernement provincial avait mis sur pied un groupe présidé par Alban D’Amours afin d’étudier la question. Ce groupe réglait pour moitié le problème d’HQ en recommandant de réviser certaines règles de comptabilité. Ainsi, en adoptant une nouvelle formule comptable de "capitalisation améliorée", le déficit fondait de moitié. La comptabilité venait au secours de la comptabilité.

Pendant ce temps, il était et est toujours aussi curieux que le RREGOP, régime public lui aussi, et avec un niveau de financement comparable, ne soit pas mis dans le paquet. Après tout, les déclarations tonitruantes de Labeaume visaient tous ces régimes. Au contraire, des chroniqueurs financiers de grands medias québécois nous assuraient de sa santé la veille du déclenchement des élections. Deux poids, deux mesures pour plaire et accommoder des maires aux visées politiques populistes ?

Nous connaissons aussi la solution mise de l’avant par la ministre Maltais au nom de son gouvernement, la réponse libérale et caquiste. Labeaume avait même mis en doute le système d’arbitrage, un peu comme Harper le fait présentement à l’endroit du Directeur Général des Élections en mettant en doute son intégrité sans faits, sans preuves. Dans tous ces cas, les travailleurs écopaient à un degré ou à un autre.

PAS DE CRISE PAS DE LOI

Une crise ne justifie pas nécessairement le recours à l’adoption d’une loi, encore moins une mauvaise loi ; mais lorsque la crise n’existe pas ou n’existe plus, alors là, il n’y a absolument rien justifiant une telle intervention législative.

Le taux moyen de financement des régimes complémentaires de retraite s’il s’établissait sous la barre de 70% à la fin de 2008 a connu un spectaculaire redressement général des régimes complémentaires de retraite. Dit autrement, la crise financière à venir à cause du piteux état financier des régimes de retraite d’entreprises annoncée par les Labeaume de ce monde et qui a fait l’objet du rapport D’Amours s’est volatilisée de l’aveu même de chroniqueurs un tant soit peu sérieux.

En 2012 Mercer, qui a 607 clients qui administrent des régimes de retraite, notait que seulement 6% d’entre eux avaient un régime pleinement capitalisé. Cette proportion est passée à plus de 40% à la fin de 2013. 54% des autres régimes connaissaient maintenant un ratio de solvabilité entre 80 et 100%. En somme, il ne reste plus que 6% des régimes connaissant une situation problématique.

Aon Hewitt pour sa part constate que le ratio de provisionnement médian de ses 275 régimes publics, semi-publics ou privés est passé de 68,6% il y a un an à 93,4. La situation a continué a s’améliorer en 2014. Aon Hewitt note que ce ratio de solvabilité s’établit maintenant à 95,4%.

Le régime de retraite d’Hydro-Québec, le symbole d’une crise annoncée et ayant servi de ressort pour échauffer les esprits afin d’attaquer les travailleurs, a lui aussi connu un rebondissement tel que le déficit de $4,6 milliard a été complètement éliminé en 2013.

Les raisons de cet état de fait sont toutes simples. Il y en a trois. Le taux d’intérêt sur lequel les calculs actuariels sont basés afin d’évaluer les besoins financiers futurs a bondi de 0.9%. Cela semble petit mais tout changement de taux à long terme de 1% entraîne une amélioration du ratio de solvabilité de 10 à 15%. La Banque du Canada nous annonçait en avril que ce taux pourrait encore être relevé d’ici l’été. La deuxième raison est toute simple : les excellents rendements des marchés financiers, ceux-là même qui, par leur effondrement en 2008, avait créé cette crise. Enfin, les nombreux régimes détenant des actions à l’étranger ont profité de la baisse du dollar canadien.

Il y aurait encore beaucoup à dire. L’instrumentalisation de la crise passée contre les intérêts des travailleurs ne cessera pas pour autant. C’est pourquoi le bon travail entrepris par les syndicats à ce sujet doit se poursuivre. Le porte-parole de la coalition syndicale municipale, Marc Ranger, déclarait d’ailleurs à la conclusion de la manifestation que la solution au manque de protection financière à la retraite pour un trop grand nombre de travailleurs ne résidait pas "en nivelant par le bas et en s’attaquant à ceux qui ont des régimes de retraite...".

Le mouvement ouvrier fait campagne déjà depuis quelques années afin d’améliorer le sort de tous et pas seulement celui de ses membres en obtenant une amélioration du Régime des rentes du Québec (RRQ). Cela enlèverait encore plus de pression aux régimes complémentaires de retraite parce qu’ils sont généralement coordonnés dans leur financement avec le RRQ. Ils seraient alors véritablement "complémentaires", en appoint, au régime public, universel et plus riche au niveau de la rente offerte à tous. La première ministre libérale de l’Ontario est d’accord avec le renforcement du Régime des pensions du Canada (RPC).

Claude Généreux

Maintenant retraité, il a été secrétaire-trésorier national du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP).Il a aussi présidé et dirigé un régime et une Caisse de retraite pendant plus de 10 ans.

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