Édition du 19 novembre 2024

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Europe

Accord UE-Turquie : attaque en règle contre le droit d’asile

Passés les discours de solidarité et l’accueil des premiers réfugiés Syriens l’été dernier, l’Union européenne (UE) a repris la route habituelle, jamais vraiment abandonnée, de sa politique migratoire, en allant encore plus loin dans son approche sécuritaire et de sous-traitance de ses responsabilités.

Tiré de Billets d’ Afrique, no.256, avril 2016

Le 4 avril est entré en vigueur l’accord entre l’UE et la Turquie, signé le 20 mars, visant à empêcher les arrivées de migrant-e-s en Europe en les repoussant en Turquie. Qu’elles soient candidates à l’asile ou non, l’accord prévoit d’expulser de Grèce toutes les personnes qui y sont entrées après le 20 mars en étant passées par la Turquie. La Turquie s’engage à prendre les « mesures nécessaires » pour empêcher les départs de bateaux de migrant-e-s de ses côtes et l’ouverture de nouvelles routes migratoires par la Bulgarie ou la Roumanie. L’UE prétend vouloir « offrir aux réfugié-e-s syrien-ne-s un accès sûr et légal à l’UE » mais la réalité sera toute autre. Pour chaque Syrien-ne renvoyé-e de Grèce vers la Turquie, l’UE s’engage à réinstaller un Syrien-ne venant d’un camp de réfugiés en Turquie vers un pays de l’UE, mais dans une limite de 72 000 personnes, ce qui est dérisoire par rapport aux 2,5 millions de réfugié-e-s syrien-ne-s présents en Turquie actuellement. Et c’est uniquement à la condition d’une réduction significative des flux migratoires, que l’UE « invitera » ensuite ses états membres à admettre davantage de Syrien-e-s sur leur sol, mais toujours à partir de la Turquie. Quant aux autres nationalités candidates à l’asile, elles semblent avoir été oubliées. Quid des personnes ayant fui l’Irak, l’Afghanistan, le Pakistan, le Nigeria, pour ne citer que les nationalités les plus présentes en Turquie et Grèce ?

Le droit d’asile sacrifié

Par cet accord, l’UE tire tout simplement un trait sur l’un des principes fondamentaux du droit d’asile : le non-refoulement. La Convention de Genève de 1951 interdit en effet l’expulsion ou le refoulement d’une personne réfugiée vers des territoires où sa vie ou sa liberté pourrait être menacée. Or Amnesty International a récemment fait état de nombreuses expulsions effectuées par la Turquie vers la Syrie et souligne que la politique turque est loin d’être respectueuse de la vie ou la liberté des réfugié-e-s : la frontière terrestre avec la Syrie a été fermée et la police turque a déjà ouvert le feu sur des personnes tentant de la franchir clandestinement. Si l’on ajoute à cela les dérives autoritaires du régime turc, la répression à l’encontre de ses opposant-e-s et de la population kurde, la Turquie n’est en rien un « pays sûr » comme le prétend l’UE pour justifier cet accord honteux. Si la Turquie a accepté de devenir la sous-traitante de l’UE tant pour les contrôles aux frontières que pour l’application du droit d’asile (sic), c’est que le marchandage en valait la peine : elle a obtenu la reprise des négociations pour son entrée dans l’UE, la promesse d’un allègement des restrictions de visas pour les Turcs, et au total une aide européenne de 6 milliards d’euros pour soutenir le mécanisme turc en faveur des réfugié-e-s. L’UE n’en est pas à sa première coopération avec un régime autoritaire dans le domaine migratoire (voir Billets d’Afrique juin 2015) mais cet accord franchit un nouveau cap, pas seulement du fait de son contenu, mais aussi par ses modalités d’application.

Déploiement de moyens militaires et policiers

Pour empêcher la traversée de centaines de milliers de migrant-e-s et expulser les milliers qui passeront entre les mailles du filet européen, l’UE et la Turquie ont opté pour le recours à la force. A la demande de l’Allemagne, l’OTAN est venu à la rescousse de l’Agence européenne Frontex pour surveiller les frontières maritimes, en faisant des patrouilles dans les eaux territoriales grecques et turques, avec pour mission officielle de lutter contre les réseaux de passeurs. Pour pouvoir procéder aux expulsions depuis la Grèce, les migrant-e-s seront enfermé-e-s dans des centres dans l’attente de leur retour par bateau. Depuis le 20 mars, 2500 migrant-e-s sont enfermé-e-s sur l’île de Lesbos, dans un camp prévu pour 2000 personnes, où les journalistes sont interdits d’accès, et sans qu’aucune information ne leur soit donnée sur leur expulsion à venir. Selon le journal Le Monde, la Commission européenne a décidé de consacrer un budget de 280 millions d’euros dans les 6 prochains mois pour payer 4000 agents pour mettre en œuvre l’accord, dont un millier de « personnel de sécurité et militaire » et 1500 policiers grecs et européens. Dans un communiqué du 2 avril, Bernard Cazeneuve annonçait l’arrivée à Lesbos de 50 CRS, 50 gendarmes et 22 policiers à Lesbos. En Turquie, les migrant-e-s expulsé-e-s de Grèce seront placé-e-s dans des centres de transit (qui ne sont pas encore aménagés) puis envoyé-e-s dans des camps de réfugié-e-s. Il y a tout lieu de s’interroger sur les mesures que la Turquie mettra en place pour empêcher que ces personnes tentent à nouveau de rejoindre l’UE. Seront-ils maintenus par la force dans les camps ? Cet accord fait apparaître au grand jour des pratiques qui sont déjà celles de l’UE et de ses Etats membres depuis plusieurs années. Il rappelle les marchandages avec le Maroc pour contenir les migrant-e-s subsahariens au-delà des frontières européennes et fait tragiquement écho à la situation à Calais où les migrant-e-s sont là aussi victimes de la violence des moyens militaires et policiers déployés à leur encontre, parqués dans des centres quasi-fermés, privés d’informations sur leur devenir. Bien que visant principalement les réfugié-e-s syrien-ne-s et des pays du Moyen-Orient (les plus nombreux à arriver en Europe puisque plus proches géographiquement) l’accord signé avec la Turquie envoie symboliquement un message d’hostilité clair à tous les réfugié-e-s des guerres menées par les pays occidentaux, pour la plupart invisibles en Europe mais qui se comptent en centaines de milliers dans les pays voisins de la Centrafrique, du Mali, etc.

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