Édition du 12 novembre 2024

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Brésil

Une Coupe du monde qui en oublie beaucoup

À un mois du match d’ouverture entre le Brésil et la Croatie, la colère des Brésiliens autour de la tenue de la Coupe du monde dans leur pays persiste. Entre passion pour le ballon rond et contestation sociale, les Brésiliens balancent.

« Nao vai ter Copa » – « La Coupe du monde n’aura pas lieu » – est même devenu le mot de ralliement des manifestants, unis derrière leur opposition à ce Mondial, ou plutôt à ce qu’il induit dans leur pays. Une pétition vient d’être lancée sur internet pour demander à l’Etat brésilien de revenir sur l’exonération fiscale dont bénéficie la Fédération internationale de football (Fifa). Un manque à gagner qui représenterait près d’un milliard de reais (327 millions d’euros) estiment les signataires de la pétition, un groupe de citoyens sans étiquette. « Nous exigeons que la Fifa paye ses impôts comme toute autre entreprise et partage, à partir de la Coupe du monde de 2014, les bénéfices de ses activités avec les pays d’accueil », écrivent-ils.

Pendant le Carnaval de Rio, qui coïncidait avec l’entrée dans les derniers cent jours avant le premier match de la Coupe du monde de football, les chants de Carnaval avaient déjà laissé place à des chants plus politiques. Sur les murs de la ville, les graffitis défavorables à la tenue de l’événement footballistique sont aujourd’hui légions. Depuis la vague de manifestations de l’été dernier contre la vie chère et l’augmentation du tarif des transports en communs, les manifestations hostiles à la tenue du Mondial n’ont jamais vraiment cessé.

Elles se sont même amplifiées récemment avec les incursions de la police dans plusieurs favelas, ces immenses bidonvilles des grandes villes. La mort d’un danseur et DJ dans une favela proche de la plage de Copacabana avait même provoqué il y a deux semaines un début d’émeute à Rio.

Selon l’ONG brésilienne Ancop (Articulation nationale des comités populaires), plus de 200 000 personnes auraient été évincées de leur logement pour la construction des nouveaux stades et des infrastructures liés à la Coupe du monde. Les critiques pleuvent sur les conditions de relogement en deçà des promesses qui auraient été faites aux personnes déplacées.

Pour la première fois, un sondage publié au mois d’avril par l’institut Datafolha montre que seuls 48 % des Brésiliens soutiennent aujourd’hui la Coupe du monde, 41 % s’y déclarent même opposés !

Événement planétaire et réalité socialeEt pourtant, le Brésil reste le pays où le football est roi, où ses joueurs sont élevés au rang d’idoles, quasi sanctifiés. C’est aussi le pays où football et politique s’imbriquent dans une histoire commune. On se rappelle notamment de l’expérience du club de Corinthians dans les années 80 où les joueurs, dont le milieu de terrain Socrates, avaient mis en place l’autogestion dans leur club pour dénoncer la corruption des dirigeants et la dictature alors en place au Brésil. Aussi, les récents propos de Michel Platini, le président de l’UEFA, l’instance européenne du football, ont choqué – « Si les Brésiliens peuvent attendre avant de faire des éclats un peu sociaux, ce serait bien pour le Brésil », avait-il déclaré début mai –.

« Nous n’en pouvons plus de voir les milliards de reais qui sont investis dans cet événement de loisir alors que nous autres ne pouvons plus assumer nos dépenses courantes. Le problème n’est pas la Coupe du monde en tant que telle, les Brésiliens aiment le foot et moi le premier, mais l’inflation ne fait que s’intensifier et les autorités ne se préoccupent que de l’image qui sera donnée au monde avec l’organisation cette Coupe plutôt que de soucier des problèmes des Brésiliens », réplique Bruno, lors d’une manifestation à Rio de Janeiro, où se tiendra notamment la finale dans la mythique enceinte du Maracaña.

Pour autant, si l’on entend récemment parler des troubles sociaux et des dérapages qui touchent le Brésil de plein fouet, le contexte sécuritaire a largement évolué. « Le Rio d’aujourd’hui n’a rien à voir avec ce qu’il était à la fin des années 90 ou même il y a dix ans. On se sent beaucoup moins en danger qu’on pouvait l’être dans le passé », affirme ce Carioca (habitant de Rio) vivant dans la favela de Rocinha, à quelques encablures de la plage d’Ipanema et du quartier de Leblon, l’un des plus cotés de la ville.

Rio et les JO de 2016Au Brésil, les favelas sont parties prenantes des villes, indissociables des politiques d’urbanisme qui touchent actuellement le pays. C’est d’autant plus vrai à Rio, où se tiendront également les Jeux Olympiques en 2016. La ville est en pleine mutation. Pour Rafael Soares, juriste, historien et urbaniste enseignant à la prestigieuse PUC de Rio (Université pontificale catholique), les changements qu’est en train de vivre l’ancienne capitale brésilienne vont profondément impacter le quotidien des gens. Modification totale de la zone portuaire pour développer la ville vers la mer, construction d’une nouvelle voie de près de 40 kilomètres pour relier le futur site olympique à l’aéroport international, construction de nouveaux musées, de nouvelles zones résidentielles… Autant de projets qui redessinent la ville et la mobilité de ses habitants.

Et, si certaines initiatives sont antérieures à la décision d’attribution de la Coupe du monde au Brésil et des JO de 2016, « il est indéniable que cela a accéléré le processus », ajoute Rafael Soares.

Le Maracanã ne fait plus le pleinLe stade de Rio a lui-même fait l’objet de nombreux travaux dans le cadre de la Copa et abaissé sa capacité à 78 000 places assises. Là aussi, la contestation a été importante pour éviter la destruction de plusieurs lieux proches, notamment une piscine, une école et un bâtiment occupé depuis de nombreuses années par des Indiens, le peuple indigène du Brésil.

La contestation a débouché sur la modification de certains plans. Certains projets de destructions ont même été abandonnés, mais rien n’est encore fixé sur l’avenir qui sera réservé au « bâtiment indien » après que ses occupants ont été délogés manu militari par les forces de l’ordre. Une partie de la favelaattenante au stade a également été expropriée.

Et, si, selon une étude récente, le stade du Maracanã serait la troisième attraction touristique de Rio, il peine désormais à se remplir lors des classiques du championnat. Avec des tarifs minimums oscillant entre 30 et 40 reais (entre 9 et 12 €, pour un salaire minimum d’un peu plus de 200 €), le match entre Fluminense et Flamengo qui s’est tenu ce week-end a seulement attiré 30 000 spectateurs, à peine plus d’un tiers de la capacité totale du Maracanã. La veille, le match entre Botafogo et Criciùma avait seulement accueilli 5 000 spectateurs…

Sécurité : l’armée mobiliséeAvec les travaux de mise en conformité de la Fifa, le stade a dû réduire sa voilure pour offrir désormais 78 000 places assises, alors qu’il a accueilli plus de 200 000 visiteurs dans les années 50. « C’est dommage pour le côté populaire du football et de ce stade mythique », témoigne Ricardo, supporter de Fluminense. D’ailleurs, un sondage datant de la mi-février montre que 85,4 % des Brésiliens pensent qu’il y aura des manifestations pendant la Copa, bien que 80 % estiment que personnellement ils n’y prendront pas part.

La présidente du Brésil, Dilma Roussef, a par ailleurs annoncé que le Brésil était préparé pour « assurer la sécurité de ses citoyens et des visiteurs. Si besoin, nous mobiliserons aussi les forces armées ». À trente jours de l’événement sportif le plus populaire du monde, le contexte reste tendu. Les militaires, effectivement, aideront la police pour assurer la sécurité. Mais les différents courants contestataires y voient un coup de projecteur des médias du monde entier sur la réalité de leur pays, parfois loin des paillettes et du rêve d’une possible sixième étoile pour la Seleção brésilienne.

Thomas Belet

Blogueur sur le site de Mediapart.

http://blogs.mediapart.fr/blog/thomasbelet/

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