Édition du 19 novembre 2024

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Canada

L’assurance-médicaments au Canada – perspectives

Objet de réforme dans un système capitaliste, le régime d'assurance-médicaments du gouvernement Trudeau manque d’élan et de direction claire (à ce jour)

Ken Collier est d’avis que le régime fédéral d’assurance-médicaments– quelle que soit la forme qu’il prenne – est appelé à être jugé selon les critères suivants : est-il complet, accessible, efficace ?

Tiré de Canadian DImension

Mardi 12 mars 2024 / KEN COLLIER
Traduit par Johan Wallengren

Jusqu’en février 2024, le Canada a été sans régime d’assurance-médicaments. Et même à ce stade, les propositions relatives à un régime universel d’assurance-médicaments étaient remarquablement vagues parmi les partis politiques, sur les tribunes médiatiques et au sein des groupes militants. L’intérêt que le gouvernement avait bien voulu accorder au projet d’un régime universel d’assurance-médicaments semblait refroidi, ostensiblement pour des raisons de coûts.

À la dernière minute, le gouvernement Trudeau a annoncé une proposition d’assurance-médicaments plutôt faible et diluée, quelques jours avant la date butoir du 1er mars 2024, avec pour objectif de sauver l’entente de confiance et de soutien entre les libéraux et les néo-démocrates, en vue d’éviter une éventuelle élection que les deux partis voulaient éviter.

Le nouveau régime minimal d’assurance-médicaments sera administré par les provinces et les territoires. Il ne s’appliquera qu’aux médicaments pour le diabète et la contraception. Un plan à long terme pour élargir le système afin de couvrir d’autres médicaments suscite un faible espoir de développement des prestations dans un avenir rapproché. En attendant que la nouvelle proposition porte effectivement fruit, les régimes provinciaux d’assurance-médicaments, lorsqu’ils existent, prennent partiellement en charge les médicaments vendus dans les pharmacies locales ou en ligne ; le client « co-paie » une partie des coûts.

Ces programmes fragmentaires tels qu’ils existent s’articulent principalement autour de l’assurance comme méthode de paiement des médicaments de prescription. L’assurance est basée sur le risque calculé par une société privée telle qu’une banque ou une société d’assurance officielle. L’assureur fait le pari que les clients n’auront pas besoin de médicaments, tandis que les clients craignent d’en avoir besoin. Les assureurs ont une connaissance (plus ou moins exacte) des statistiques de risque. Un régime universel d’assurance-médicaments de qualité, comme il en existe dans de nombreux pays à économie avancée dans le monde, notamment au Royaume-Uni, en Allemagne, en Nouvelle-Zélande et en France, se fonde sur les besoins plutôt que sur les risques. Mais l’évaluation de ces besoins est aléatoire. Il s’agit souvent d’un exercice de réflexion du type « laissons le marché décider ».

La valeur d’un régime d’assurance-médicaments – quelle que soit la forme qu’il prenne – repose sur des critères/indicateurs déterminés.

Au Canada, les bénéfices que réalisent les compagnies sur les médicaments s’échelonnent entre 16 et 22 %, et peuvent même dépasser de beaucoup ces pourcentages dans certains cas. Un programme fédéral d’assurance-médicaments peut remplir toutes les fonctions, pour ce qui est de fournir des médicaments, et gérer le tout avec beaucoup moins de frais généraux. Il est possible de ménager une marge de manœuvre confortable pour couvrir les coûts administratifs et autres en empêchant d’énormes profits de refluer vers des compagnies dont bon nombre ne sont même pas basées au Canada.

Il est décevant de constater que la proposition de régime d’assurance-médicaments du début de l’année 2024 ne prévoit pas la mise en place de listes de médicaments couverts. De telles listes peuvent se résumer à un inventaire de médicaments acceptés, avec les prix correspondants, mais peuvent aussi prévoir des lieux d’entreposage des produits et des moyens de les distribuer. Les administrateurs de programme négocient des achats en gros auprès des fabricants de médicaments à des conditions beaucoup plus favorables que si les pharmacies locales ou même les grandes et très rentables sociétés franchisées dont elles dépendent faisaient cavalier seul.

Lorsque le gouvernement légifère sur des programmes, les règlements définissent le financement et précisent qui est censé faire le travail, en plus de mettre en place un moyen de mesurer le succès et de jauger les responsabilités des différents niveaux de gouvernement.

La recherche et le développement visant à améliorer l’assurance-médicaments reposent actuellement presque entièrement sur les laboratoires et les bureaux des compagnies pharmaceutiques. Des centres de recherche et de développement de taille modeste et généralement sous-financés au sein d’universités et d’hôpitaux financés par l’État jouent également un rôle. Pour s’y retrouver dans toutes les données, statistiques et autres informations recueillies, la recherche et l’analyse centralisées sont un moyen d’éviter la duplication des données et les recherches répétées dans les mêmes dossiers. Faute de telles mesures, un financement décousu et périodique engendrera plus de révisions à la baisse et de retards de financement, problèmes accompagnés d’une moindre disponibilité au niveau du marché et des possibilités de transport contribuant à des épisodes chaotiques de progressions subites, de dévoiements et même de reculs par rapport aux objectifs.

De nos jours, les tests de qualité et d’efficacité des médicaments sont effectués par des compagnies privées qui cherchent à obtenir des brevets afin de les vendre à des fins lucratives, ce qui permet de financer la prochaine génération de médicaments. Ces tests sont plutôt aléatoires et conditionnés par le marché. Même les « médicaments miracles » risquent de ne jamais voir le jour s’ils ne se vendent pas bien. Et le potentiel de vente dépend en grande partie des prix que la population est en mesure de payer, plutôt que de la qualité et de l’effectivité. Les efforts de promotion coûteux constituent un autre facteur de renchérissement du marché des prescriptions privées. Il suffit de regarder brièvement la télévision ou de parcourir les médias pour se voir servir des messages publicitaires sur des médicaments, et nous contribuons tous à les financer.

Un régime d’assurance-médicaments, pour être viable, doit être régi par des tests gérés et consolidés par des instances gouvernementales. Un tel régime doit reposer sur un accès aux médicaments fondé sur leur qualité plutôt que sur les efforts promotionnels des compagnies pharmaceutiques.

La gestion d’un programme d’assurance-médicaments efficace doit nécessairement être supervisé par un ministère, le ministre responsable et, dans certains cas, un organe législatif. Des organismes administratifs indépendants peuvent paraître opérer équitablement – ils sont censés être impartiaux et ne pas subir d’influence extérieure indue. Or, l’expérience nous montre qu’il n’en est rien. Un fonctionnement optimal, dans le respect de la mission et des principes à appliquer, suppose que les autorités soient réceptives et que remonte vers elles les informations sur les desiderata et besoins par le biais de débats publics, d’élections et, malheureusement, de lobbying. Il est à noter que la législation canadienne actuelle tente d’imposer la transparence en révélant les sujets des personnes qui s’y livrent et l’identité de celles-ci, l’étendue et la durée des activités de lobbying et les sommes dépensées dans le cadre de celles-ci. Les lecteurs motivés ont de quoi passer des week-ends entiers à dévorer les documents afférents.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui relève des Nations unies, de même que certains autres organismes, fournissent, dans toute la mesure du possible, des informations pertinentes au niveau mondial. L’OMS incite les décideurs à utiliser les données scientifiques et autres, les chiffres comparatifs, ainsi que toutes ressources disponibles. Un programme canadien d’assurance-médicaments reposant sur des bases saines ne saurait opérer efficacement qu’en coopérant pleinement avec l’OMS et en consacrant le temps et les fonds nécessaires à cette démarche.

Les médicaments pour la santé mentale et le traitement des maladies mentales devraient constituer un élément important du dispositif. Les militaires, la Gendarmerie royale du Canada, les Premières nations canadiennes et les programmes spéciaux de lutte contre le cancer seront gagnants s’ils peuvent bénéficier d’un programme d’assurance public couvrant les médicaments d’ordonnance. Les besoins en médicaments particuliers destinés à soigner les « maladies rares et orphelines » devraient probablement aussi en faire partie.

Le régime fédéral d’assurance-médicaments, quelle que soit la forme qu’il prenne, est appelé à être jugé selon les critères suivants : est-il complet, accessible, efficace ? Les solutions envisagées pourraient être aussi simples que le système actuel d’assurance-médicaments de la Colombie-Britannique, qui n’offre qu’une certaine couverture pour les prescriptions, ou inclure toutes les caractéristiques mentionnées ci-dessus.

Gestion d’un régime d’assurance-médicaments

Le fait est que l’assurance-médicaments est un objet de réforme dans un système capitaliste. Un autre fait est que l’économie est dominée par le capital financier, ce qui fait que le potentiel de profit oriente une grande partie des décisions. Et pas seulement le profit. De nos jours, le potentiel doit impliquer des perspectives de profit plus considérables qu’auparavant et supérieures à ce que les concurrents peuvent réaliser dans le système. L’assurance-médicaments vise en partie à empêcher que l’argent ne soit retiré du système de médicaments sur ordonnance sous la forme de profits, en particulier de profits excessifs, quoi que cela puisse signifier dans l’esprit des planificateurs et de la classe politique.

Lorsque les libéraux minoritaires ont négocié l’entente de soutien et de confiance avec le NPD et ont commencé à discuter de l’assurance-médicaments, ils ont demandé une consultation par l’intermédiaire d’une commission d’experts, de parties prenantes et de certains autres intervenants, ce qui a abouti au rapport Hoskins. Alors que les médias nationaux étaient focalisés sur une question centrale « Pouvons-nous nous le permettre ? » – une concession à leurs téléspectateurs et lecteurs, les contribuables assiégés – celle-ci pouvait être considérée comme acceptable si formulée de la bonne façon.

D’où pourrait bien venir l’argent ? On peut relever dans le rapport Hoskins des éléments critiques de ce point de vue :

• Le gouvernement devrait s’efforcer de capter et de réorienter tout ou partie de ce flux de financement.

• Des taxes spécifiques, telles que la TPS, devraient être augmentées.

• Une nouvelle taxe ou prime à payer par tout le monde devrait être imposée.

• La fiscalité générale devrait être utilisée pour financer l’assurance-médicaments de la même manière que l’assurance-maladie.

Abstraction faite des détails et points présentés, il n’est pas surprenant que le choix de la taxation générale ait été fait. Docteur Eric Hoskins présidait le conseil. Il avait été ministre dans un précédent gouvernement libéral de l’Ontario et la majorité trouvait que c’était une bonne idée que les des députés décident comment dépenser l’argent des contribuables, parce qu’ils ont beaucoup moins d’influence sur la façon dont les revenus de la fabrication et de la distribution des médicaments sont répartis si on laisse la prérogative au marché privé.

L’un des résultats très publics de cette démarche a été de présenter l’assurance-médicaments comme un coût pour les contribuables, plutôt que comme une ligne du grand livre comptable au titre des frais généraux administratifs et opérationnels. Un poste budgétaire aussi important que la vente au public de médicaments sur ordonnance est beaucoup moins sujet à des réductions et à des augmentations que ne le serait la décision du parlement en matière de politique fiscale et de dépenses.

Nous avons donc une proposition de programme, non encore présentée comme un projet de loi, avec essentiellement deux éléments à mettre en œuvre sous une forme que ceux d’entre nous qui se penchent sur la politique sociale appellent « gradualisme décentralisé ». En tant qu’objet de réforme dans un système capitaliste, le projet manque d’élan et de direction claire.

Ken Collier est un professeur retraité de travail social, de politique sociale et d’économie qui s’est récemment installé à North Bay, en Ontario. Il est actif au sein du Conseil des Canadiens, de la Coalition ontarienne de la santé et d’autres organisations. Il effectue des recherches et rédige des articles pour des publications progressistes militantes et axées sur la recherche.

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