Ellen Engelstad, jacobinmag.com, 24 mars 2019
Traduction et organisation du texte, Alexandra Cyr
Au moment du déclenchement de l’épidémie, le gouvernement norvégien a déclaré qu’il allait soutenir les entreprises en leur donnant des conditions pour faciliter la mise à pied de leur personnel. Les syndicats et les Partis de gauche ne l’entendaient de cette oreille. Ils ont vigoureusement contesté « l’inévitabilité » de la mesure. Ils ont gagné un plan de sauvetage qui sécurise mieux les travailleurs.euses, pas seulement leurs employeurs.euses.
Comme un peu partout en Europe, la Norvège a été durement frappée par l’épidémie du coronavirus. Après s’être trainé les pieds pendant plusieurs semaines, le 13 mars, le gouvernement est entré en action. Comme son voisin, le Danemark il a ordonné la fermeture des écoles, des garderies, et de la frontière. Il a fait la liste des travailleurs.euses essentiels comme, les infirmiers.ères, les chauffeurs.euses d’autobus et de métros, les éboueurs, les employés.es d’épicerie. Toutes ces personnes pouvaient travailler et faire garder leurs enfants dans des garderies désignées. Tous les autres, y compris dans le secteur public et les entreprises privées étaient fermement encouragés à suivre les consignes.
Devant cette situation, plusieurs sont allés se réfugier dans leurs chalets soit pour profiter d’un temps de vacances, soit parce qu’ils pensaient que c’était une manière de s’isoler. Mais souvent, ces chalets sont situés dans de petites municipalités sans grandes ressources. Les maires ont donc réclamé que l’armée vienne chasser ces nouveaux arrivants. Cette affaire de chalet qui a soulevé beaucoup de nervosité, a obligé le gouvernement à passer une nouvelle loi interdisant ces voyages sous peine d’une amende de 1,300 euros, le 15 mars.
Mais la controverse s’est étendu bien plus largement. Savoir qui payerait pour la totalité de la crise est devenu un enjeu. Le 10 mars, la coalition de droite au pouvoir a proposé une série de mesures orientées sur l’aide aux entreprises frappées par les fermetures. Elles visaient à rendre plus facile, plus rapide la mise à pied de leurs employés.es sans avoir à donner de raisons et à en réduire les coûts. Normalement, les entreprises peuvent procéder à des mises à pied dans les cas de travail saisonnier mais elles doivent verser le salaire de 15 jours de travail complets. Ensuite, l’assurance chômage prend la relève pour verser aux travailleurs.euses 62,4% de leur salaire antérieur. La proposition du gouvernement aurait ramené cette obligation à deux jours seulement et ensuite l’employé.e n’aurait reçu qu’un montant forfaitaire de 2,500 euros par mois, ce qui est un petit salaire en Norvège, et une fois les taxes et autres obligations payées, aurait pu se retrouver avec seulement 1,300 euros.
Ce plan n’a pas passé. La coalition de droite au pouvoir est minoritaire. Les Partis de gauche, les syndicats et les gens partout dans le pays ont protesté. Mme Kari Elisabeth Kaski, porte-parole en économie du Socialist Left Party, (S.V.) a déclaré : « Ce n’est qu’un cadeau fait aux riches ». Le leader du Rodt, le Parti socialiste, Bjornar Mosnes, a accusé le gouvernement d’envoyer la facture aux travailleurs.euses pendant que M.Hans-Christian Gabrielsen, dirigeant de la centrale LO a qualifié le plan de proposition injuste et inacceptable.
Malheureusement, généralement la gauche dans l’opposition se lamente ainsi sans être écoutée. Mais cette fois, ce fut différent. Le gouvernement avait prévu aider les entreprises et les banques avec des baisses de taxes et impôts et les mesure facilitant les mises à pied. Il en appelait à « l’union nationale » en insistant sur le fait que la crise rendait toutes ces mesures nécessaires. Mais cette fois, ça n’a pas pris. Aujourd’hui, la gauche travaille à des mesures d’urgence qui visent les effets sociaux du coronavirus.
Un gouvernement divisé
On doit ce revirement en grande partie à la faiblesse de ce gouvernement. La coalition est composée de trois Partis de droite. Il s’agit d’un gouvernement minoritaire depuis l’automne dernier après que le Parti d’extrême droite, le Parti du progrès, (FRP) et ses ministres aient démissionné avec tambours et trompettes au milieu d’une controverse à propos du retour au pays de combattants.es du groupe état islamique. En réalité, la véritable motivation du FRP était de retourner dans l’opposition avant les prochaines élections générales de l’an prochain. Il avait perdu beaucoup de popularité après avoir mené une politique de coupes budgétaires et de centralisation. En même temps, les Partis de gauche se renforçaient auprès de l’électorat. Ils ont aussi obligé le centre gauche du Parti travailliste à prendre des positions plus claires et permis à l’opposition de dévoiler le bluff du gouvernement au parlement.
Mais le facteur déterminant qui a permis la victoire, c’est le pouvoir du mouvement ouvrier, ses structures syndicales avec leur fonctionnement démocratique. Car, il est vite devenu évident que les syndiqué.es n’accepteraient pas de perdre une grande partie de leurs revenus pendant que les banques et les patrons bénéficieraient des largesses du gouvernement. Les leaders locaux de la centrale LO ont perçu l’atmosphère et compris qu’ils devaient s’opposer férocement à la proposition du gouvernement s’ils voulaient avoir une chance d’être réélus.es au prochain congrès.
LO et le Parti travailliste n’avaient plus le choix : ils devaient se battre contre la coalition de droite et son plan. Le gouvernement pour sa part, devait décider s’il voulait entrer dans une bataille frontale contre le mouvement ouvrier sachant que les chances de la gagner dans l’opinion publique étaient minces ou concéder certains points aux syndicats. Il se peut que nous pensions qu’il est raisonnable, en période de crise, d’agir en unité. Mais, dans ce cas, tous les Partis de gauche ont bougé et rappelé au gouvernement que ces attaques contre les droits des travailleurs.euses n’étaient pas nécessaires ni inévitables. Le gouvernement a dû reculer.
Cela a vite déclenché des discussions entre les neuf Partis qui siègent au parlement. (…) Finalement, une nouvelle mouture de mesures, bien plus orientées vers les travailleurs.euses a été présentée. Clairement, elles donnent un rôle bien plus actif au gouvernement. Les employés.es mis.es à pied recevront la totalité de leur salaire pendant 20 jours. C’est une nette amélioration même par rapport à ce qui s’appliquait avant la crise. Mais les employeurs.euses n’auront qu’à défrayer les deux premiers jours ; les autres sont pris en charge par l’État. Cette période passée, les personnes mises à pied recevront 80% de leur salaire antérieur jusqu’à 26,000 euros et 62,4% de ce qu’elles recevaient au-dessus de cette somme.
Autrement dit, alors que les travailleurs.euses craignaient de perdre leur emploi indéfiniment, cette formule est bien moins dommageable que le plan du gouvernement le prévoyait et même par rapport à ce à quoi il fallait s’attendre avant la crise. Les mesures s’appliquent également aux personnes à bas revenus qui n’avaient pas ce droit antérieurement. Elles s’appliquent à n’importe qui dont les revenus n’excèdent pas 6,500 euros par année. C’était très important pour les employés.es à temps partiel, à contrat parce qu’elles incluent le droit à la sécurité sociale. C’est la première fois qu’une telle disposition entre en vigueur. Ces mesures sont temporaires, elles s’appliquent aux personnes mises à pied mais pas à aux congédiés.es ou aux chômeurs.euses. Mais le ROD et le Parti travailliste ont demandé qu’avant qu’elles soient officiellement adoptées, on les modifie pour qu’elles s’appliquent à tout le monde.
Une réponse coordonnée
Bien sûr que les travailleurs.euses ont d’autres retombées que le seul fait de se faire dire de ne plus du tout se présenter au travail. Par exemple, les journées payées à taux plein pour s’occuper d’un enfant malade (ont été protégées). Elles ont même été doublées passant de 10 à 20. Les mesures ont été étendues à ceux et celles qui sont moins directement protégées par les syndicats. Les travailleurs.euses autonomes, les propriétaires de petites entreprises, les travailleurs.euses de la culture et d’autres qui voient disparaitre leurs sources habituelles de revenus du jour au lendemain, recevront de l’aide de la part de l’assurance chômage une aide qui pourra aller jusqu’à 80% de la moyenne de leurs gains des trois dernières années. La limite se situera aux environs de 52,000 euros. L’aide sera donnée à compter du 17ième jour après la fin des rentrées de revenus.
Ce plan a généralement été bien accepté. Tous les Partis se pètent les bretelles et vantent leur unité même si le gouvernement en sort marqué. Mais beaucoup reste obscur depuis les conditions faites aux travailleurs.euses autonomes dont on ne sait pas si elles obligent absolument à ne pas travailler du tout jusqu’aux batailles idéologiques qui suivront, par exemple à propos des conditions de sauvetage imposées aux banques et entreprises. La gauche insiste pour que les versements de dividendes aux actionnaires soient interdits alors que la droite refuse de telles mesures en invoquant la capacité du capital à « s’autoréguler ». Le Parti travailliste est du côté les partis de gauche en faveur de l’interdiction. C’est une preuve qu’il a été poussé à gauche. Il y à peine quelques années, il aurait sans doute proclamé que le marché peut contrôler la distribution des profits et des bonus sans intervention.
Ces derniers jours donnent des signes encourageants à la gauche en Norvège. Premièrement, elle s’est montrée assez forte pour renverser le plan de sauvetage du gouvernement et en a imposé un bien meilleur. Deuxièmement, nous avons abouti à des politiques de type « État providence », c’est-à-dire le sauvetage des travailleurs.euses pas que les entreprises. Elles sont si populaires que même l’extrême droite sens le besoin de les approuver ce qui leur permet de ne pas trop s’éloigner de leur slogan : « être pour le peuple ».
Il est normal que les gens s’inquiètent de savoir comment payer les factures quand on se retrouve sans emploi. Ceux et celles qui se retrouvent sans revenus du jour au lendemain devront demander de l’aide. Comme l’a déclaré Trygve Slagsvold Vedum, le leader du Parti des fermiers (Senterpartiet) : « Ça va coûter très cher mais l’autre solution coûterait encore plus cher ». Avec ses puissantes institutions dont une confédération syndicale de 950,000 membres, dans un pays de 5 millions d’habitants.es les revendications ouvrières sont présentées avec beaucoup de pouvoir.
Les mesures adoptées s’adressent aux gens mis à pied ; il est moins question des autres. Les entreprises semblent préférer garder leurs employés.es en réserve et attendre ce qui va advenir. Mais les mises à pied vont se faire et les syndicats se préparent à répéter ce qu’elles ont fait lors de la crise financière quand les employés.es à temps plein ont été mis.es à pied et remplacés.es par d’autres travailleurs-euses temporaires à temps partiel.
Il y a encore beaucoup à faire et la droite est encore au pouvoir. Mais les derniers événements ont donné la preuve que même en temps de crise, des mesures qui améliorent les conditions de tous et toutes en défendant aussi les plus vulnérables, ne sont en définitive que « le gros bon sens ».
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