Que la CAQ conclut des accords confidentiels, y compris à l’Assemblée nationale, ne surprend personne. L’absence de transparence est l’une des marques de fabrique du Gouvernement Legault (refus de communiquer les analyses des sites proposés à Northvolt, sur les taux d’arsenic de la Fonderie Horne, les pressions sur les juristes de l’État pour valider des avis juridiques etc.).
Les députés prennent-ils les militant.es pour des andouilles ?
Ce type de "deal confidentiel" a en revanche de quoi profondément agacer les militant·es de Québec solidaire. On rappellera par exemple que le 9 décembre 2023, soit le lendemain de l’adoption « accélérée » de la loi 15, QS publiait un communiqué dans lequel les députés en charge du dossier « santé » se félicitaient de leur travail :
« Grâce au travail acharné de Guillaume Cliche-Rivard et du leader parlementaire Alexandre Leduc, Québec solidaire est parvenu à arracher trois améliorations in extremis au projet de loi 15 ».
Et le député Cliche-Rivard poursuivait, de manière convaincue, « si la CAQ nous avait laissés faire notre travail jusqu’au bout, nous aurions pu limiter les dégâts ».
À moins de supposer que le député Cliche-Rivard n’était pas au courant de l’entente conclue par son leader afin d’accélérer l’adoption du projet de loi 15 - ce qui soulèverait alors des questionnements encore plus graves sur le fonctionnement du groupe parlementaire - les deux députés de QS prennent ouvertement leurs militant·es pour des andouilles.
Sur le fond, on rappellera que le PL.15, le « 2e plus gros projet de loi de l’histoire du Québec après le Code civil », transforme en profondeur le système de santé. Il a ainsi été dénoncé par les centrales syndicales comme une réforme « bureaucratique », « managériale » qui remet en cause « profondément les relations de travail et les catégories d’emplois » et qui encourage la privatisation du système de santé.
La réforme du système de santé contre la protection des ainé.es ?
Et qu’a obtenu le leader parlementaire Alexandre Leduc en échange de ce passage en force d’une réforme qualifiée par les syndicats comme « la plus grande opération de centralisation en santé de l’histoire du Québec » ?
On ne s’attardera pas ici sur l’humiliation du leader de QS, qui a vu ses petites combines dévoilées au grand jour. Certain·es pourront partager son opinion selon laquelle il « n’est pas très élégant (…) pas digne de la fonction » d’un ministre, de trahir une magouille parlementaire ; on retiendra quant à nous le discrédit que ce type d’entente confidentielle avec la droite réactionnaire jette sur les partis de gauche en général.
Mais il convient d’insister sur le fond de ce « deal » qui a justifié d’accélérer les « dégâts » dans le système de santé.
En échange, le leader de la gauche parlementaire a donc obtenu que soit discuté à l’Assemblée nationale un projet de loi visant à protéger les ainé·es qui vivent sous le seuil de pauvreté ; sans aucune garantie, évidemment, que le texte soit adopté. Le Premier ministre, le Ministre de la justice, la Ministre de l’Habitation, ont d’ailleurs immédiatement fait savoir dans les médias qu’ils n’appuyaient pas le projet.
Et que contient ce projet de loi ? Il prévoit principalement d’élargir la protection des locataires ainé·es contre certaines évictions, en abaissant l’âge des bénéficiaires de 70 ans à 65 ans. C’est une mesure certainement bénéfique pour des ainé.es qui risquent de se retrouver à la rue ou en CHSLD et dans tous les cas complètement déraciné.es. On rappellera cependant que selon une étude réalisée par Me Benjamin Paré, le dispositif actuellement en vigueur n’a été invoqué au tribunal avec succès que par une soixantaine de locataires entre 2016 et 2022, soit dix par an. Rien d’étonnant alors à ce qu’en 2016, les députés de la CAQ les plus proches des associations de propriétaires aient également voté en faveur l’adoption de cette loi, qui ne change rien ou presque mais qui peut faire croire que l’Assemblée se préoccupe du sort des ainé·es.
Certes, les petits ruisseaux font les grandes rivières et l’abaissement de l’âge des bénéficiaires à 65 ans permettrait évidemment d’augmenter le nombre de potentiels bénéficiaires. Mais ce projet apparait très limité, très conservateur et il ne réglera en rien l’incapacité de payer les loyers des ainé·es, les fermetures de RPA, les discriminations dont sont manifestement victimes les ainé·es en matière d’accès à un logement etc.
Surtout, ce n’est certainement pas avec ce type de magouilles parlementaires et de projet de loi que Québec solidaire réussira à mobiliser à gauche et à construire une opposition crédible aux politiques réactionnaires de la CAQ, que ce soit en matière de logement ou de santé. D’autant moins quand certains députés de QS, y compris un de ses porte-paroles, s’évertuent dans le même temps à reprendre à leur compte le discours raciste du Gouvernement caquiste qui ne cesse de marteler que la crise du logement, comme la crise dans le système de santé sont le fait des étrangers, des étrangères, des migrant·es temporaires, des demandeurs et demandeuses d’asile et de leurs enfants.
Camille Popinot
31 mars 2024
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