tiré de : Entre les lignes et les mots 2020 - n°17 - 18 avril : Notes de lecture, textes, pétition, annonce
Dans plusieurs régions des États-Unis, il est ainsi avéré que le Covid-19 tue de façon disproportionnée les Noirs. Des statistiques nationales sont réclamées afin de comprendre l’ampleur du phénomène et prendre des mesures de santé publique.
Pour l’instant, elles sont publiées de manière disparate, selon les États et les villes. Ces chiffres fragmentaires ne permettent pas de comprendre si une inégalité spécifique au Covid-19 est à l’œuvre, ou si cette disproportion reflète avant tout les inégalités socio-économiques et d’accès aux soins qui affectent les Noirs.
L’État de New York, par exemple, plus gros foyer américain de l’épidémie, ne publie pas de statistiques par ce que les Américains appellent « race » et ethnicité (Noir, Blanc, Asiatique, Hispanique…), une composante qui apparaît pourtant sur les formulaires de recensement.
Mais d’autres structures locales publient des chiffres alarmants : dans l’Illinois, les Noirs représentent 14% de la population mais 42% des décès de l’épidémie. A Chicago, c’est 72% des morts, alors qu’ils représentent moins d’un tiers des habitants : des disparités qui « coupent le souffle », a déclaré la maire de la ville, Lori Lightfoot.
En Caroline du Nord, 31% des morts étaient Noirs, contre 22% de la population. En Louisiane, où se trouve La Nouvelle-Orléans, la disproportion est plus grande encore : 33% des habitants sont Noirs mais 70% des morts l’étaient.
On tente de trouver des explications en amont de l’épidémie. « Nous savons que les Noirs sont plus susceptibles d’avoir du diabète, des maladies du cœur et des poumons », a dit le médecin en chef du gouvernement fédéral Jerome Adams, lui-même Afro-américain. Or ces comorbidités augmentent le risque de complications du Covid-19.
Adams a parlé de ses propres problèmes de santé pour illustrer le problème qui affecte sa communauté ; « Je l’ai déjà dit, je fais moi-même de l’hypertension. J’ai une maladie du cœur et j’ai déjà passé une semaine en réanimation à cause d’un problème cardiaque. Je fais de l’asthme et je suis pré-diabétique. J’illustre ce que c’est de grandir pauvre et noir en Amérique. »
En pleine épidémie, il manque encore des études rigoureuses et de dimension nationale. Mais il est bien établi que les quartiers pauvres et noirs ont moins de médecins et des hôpitaux de moindre qualité. Que les couvertures médicales des emplois de service sont inférieures à d’autres emplois mieux rémunérés. Un phénomène de discrimination a aussi été vérifié selon lequel les patients noirs se voient prescrire moins d’examens et de consultations avec des spécialistes que les blancs.
Georges Benjamin, président de l’Association américaine de santé publique (APHA), explique aussi que les Noirs, aux Etats-Unis, sont plus exposés au coronavirus que des populations plus aisées, dans leur vie quotidienne ou leur travail. « Cette population fait plus face au grand public », dit-il. « Ils sont plus souvent chauffeurs de bus, ils prennent plus les transports en commun, ils travaillent plus dans les maisons de retraite, les magasins et les supermarchés ». La distanciation sociale est plus compliquée lorsqu’on habite des quartiers plus denses, des logements plus petits. Quant au télétravail, il est souvent impossible, en raison des types d’emplois. Et se faire livrer des courses à domicile est souvent un luxe. Ce phénomène n’est évidemment pas réservé aux États-Unis mais il y prend un caractère plus étendu.
Les témoignages se multiplient sur la moindre accessibilité de sites de dépistage dans les quartiers pauvres. « Beaucoup d’Américains noirs et d’autres communautés de couleur n’ont pas le privilège de pouvoir se confiner à la maison », ont écrit des centaines de médecins et l’organisation de défense des minorités Lawyers’ Committee for Civil Rights dans une lettre au secrétaire américain à la Santé. Il somment les autorités sanitaires fédérales de « publier immédiatement des données ethniques et raciales » sur le dépistage et la prévalence du Covid-19, afin de déterminer où des moyens supplémentaires doivent être envoyés.
Historiquement les catastrophes naturelles et les épidémies aggravent le fardeau des maladies dont souffrent les minorités discriminées. Ce fut le cas déjà à la Nouvelle-Orléans, lors de l’ouragan Katrina en 2005.
Plus loin encore, lors de l’épidémie de grippe espagnole en 1918, les politiques de discrimination légales de l’époque signifiaient que les Noirs recevaient des soins de moindre qualité ou n’en recevaient pas du tout.
Actuellement, il existe déjà des grosses différences d’espérance de vie selon l’origine ethnique.
A Chicago, par exemple, on enregistre un écart de neuf ans entre l’espérance de vie des résidents noirs et blancs, avec plus de 3000 décès en excès chaque année chez les Afro-américains.
Le coronavirus pourrait creuser ce fossé alors même que Trump met en œuvre une gestion catastrophique de l’épidémie.
C’est un immense programme de lutte contre les inégalités, dont celles de santé, qui doit être imposé afin de mettre fin à ce drame sanitaire terrible.
MEMORIAL 98
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