Le Mouton NOIR fêtera dans quelques mois ses 18 ans, malgré toutes les difficultés, financières et autres, qu’il a rencontrées à travers les années. Ce n’est pas rien. Si cet événement a de quoi réjouir, il semble opportun de rappeler que c’est après s’être vu refuser la publication d’un article par l’éditeur des deux hebdomadaires de Rimouski que Jacques Bérubé a eu l’idée, en 1995, de fonder un journal qui, très rapidement, prendra position dans divers dossiers, dont celui de la salle de spectacle de Rimouski. Si Le Mouton NOIR est d’abord né de la volonté de favoriser la prise de parole citoyenne dans les médias, faisant de la liberté de pensée et de la liberté d’expression ses principaux chevaux de bataille, force est d’admettre que son arrivée dans le paysage médiatique a agi comme contrepoids à un phénomène qui, depuis le début des années 1970, n’a cessé de prendre de l’importance : la concentration de la presse. Un contrepoids bien modeste si on le compare aujourd’hui à des empires médiatiques comme Québecor ou Power Corporation, mais qui vaut son pesant d’or.
Au printemps 2008, le Conseil de presse du Québec, dont le rôle est d’assurer le droit des citoyens à une information de qualité, entamait une tournée des régions afin d’obtenir l’avis du public sur l’état de la situation médiatique dans la province. Les doléances face à l’état de l’information étaient multiples : sensationnalisme, asservissement du contenu à des impératifs économiques, uniformisation de l’information malgré la multiplication des plateformes de diffusion, disparition de la parole éditoriale, sous-représentation des régions dans les médias nationaux, qui ont pourtant le pouvoir d’influencer, voire d’établir l’ordre du jour des gouvernements, concentration de la presse, etc. Des préoccupations qui ont trouvé des échos dans le rapport du Groupe de travail sur le journalisme et l’avenir de l’information au Québec, présidé par Dominique Payette et publié en 2011. En un mot, l’avenir de l’information au Québec, comme dans la plupart des pays industrialisés, est préoccupant.
Le paradoxe, comme l’a très bien souligné Dominique Payette, c’est que la production d’information d’intérêt public est aujourd’hui impartie à des entreprises privées dont l’objectif premier est la recherche de profits. D’un côté, on trouve le droit des citoyens d’accéder à une information de qualité diversifiée, nécessaire au bon fonctionnement de toute démocratie, de l’autre, des entreprises qui, dans bien des cas, cherchent à produire de l’information au plus bas coût possible. Dans leur récent ouvrage L’information : la nécessaire perspective citoyenne, Raymond Corriveau, ancien président du Conseil de presse du Québec, et Guillaume Sirois, rappellent que l’information n’est pas une marchandise comme une autre en ce sens qu’elle n’appartient ni aux entreprises, ni aux gouvernements, mais aux citoyens. Or, d’après ces deux auteurs, la position des citoyens et celle des entreprises de presse seraient à l’heure actuelle irréconciliables, ces dernières ayant renoncé à « leur mission sociale d’expression démocratique pour devenir de simples instruments de profits ».
Dans ce contexte, l’existence d’un journal indépendant comme Le Mouton NOIR revêt une importance cruciale dans le paysage médiatique bas-laurentien mais aussi, plus globalement, québécois. Certes, ses collaborateurs n’ont pour la plupart aucune formation en journalisme, mais ils ont le mérite d’oser une opinion qui ne fait pas toujours consensus, de proposer un autre point de vue, de se pencher sur des enjeux qui autrement seraient peu ou pas couverts par les médias régionaux et nationaux. Ce faisant, ils participent activement à l’exercice démocratique et contribuent à construire une « intelligence territoriale », pour reprendre l’expression de Raymond Corriveau et Guillaume Sirois. Non, Le Mouton NOIR n’est pas économiquement rentable, mais il l’est socialement et culturellement. La formule est de Jacques Bérubé. Il n’est pas indifférent de noter, du reste, qu’après 18 ans d’existence, la mission du Mouton NOIR n’a pas changé. Les gouvernements se succèdent, les nouvelles viennent et vont, mais le combat, lui, demeure le même.
Un des dangers qui guette Le Mouton NOIR, c’est qu’on le tienne pour acquis, comme on tient pour acquis la démocratie. Distribué gratuitement aux quatre coins du Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie, on le ramasse distraitement sans trop se rendre compte que chaque nouvelle parution est un petit miracle. On peut souhaiter que l’État appuie davantage la presse indépendante, mais en attendant que ce jour arrive, c’est à nous tous que revient la responsabilité de soutenir Le Mouton NOIR. Tout le monde ne partage pas les idées qu’on y retrouve, et c’est tant mieux, car la démocratie, c’est précisément la liberté d’être d’accord ou non. Plus que des idées, Le Mouton NOIR défend la liberté d’expression. Mais cette liberté a un prix. Alors que nous entamons notre campagne de financement annuelle, nous vous invitons à renouveler votre appui.
1. De par son mode de fonctionnement, il s’avère cependant illusoire de penser que le Conseil de presse du Québec peut protéger les citoyens face à des médias avares de profits. C’est sur une base volontaire que les entreprises de presse, qui assurent 60 % du financement de l’organisme, adhèrent au Conseil, dont les décisions, du reste, ne sont pas contraignantes. De plus, depuis 2009, les radios et télévisions privées n’en font plus partie, tout comme Québecor qui a claqué la porte de l’organisme l’année suivante.
2. Raymond Corriveau et Guillaume Sirois, L’information : la nécessaire perspective citoyenne, Presses de l’Université du Québec, 2012, p. 8.