29 jnavier 2024 | tiré de Reporterre.net
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Dessin Erwann Richard
Le péril climatique planétaire est peut-être encore plus menaçant qu’on le pensait jusqu’alors. Ou peut-être pas. Pour en être sûr, il y a urgence à améliorer les modèles climatiques pour en résorber les plus grosses lacunes. Mais ce défi patine, faute de financements adéquats. C’est le message qu’ont asséné dans la revue Nature Climat Change, le 18 janvier, une douzaine de chercheurs étasuniens et européens.
Ce qui focalise leurs inquiétudes : le pergélisol. Aussi appelé permafrost, ce terme désigne les terres gelées en permanence. Elles contiennent énormément de matière organique, qui libère de fortes quantités de carbone dans l’atmosphère, à mesure que le changement climatique provoque leur dégel.
Une bombe climatique difficile à évaluer
« De nombreuses études de terrain et de laboratoire ont fourni des résultats solides montrant que les émissions de gaz à effet de serre issues du pergélisol étaient en train d’accélérer », alerte Christina Schädel, chercheuse au Woodwell Climate Research Center, aux États-Unis, et autrice principale de l’article.
Ce dernier rappelle les chiffres vertigineux qui sont en jeu : le pergélisol contiendrait environ deux fois plus de carbone que l’on en trouve actuellement dans l’atmosphère. Et la région arctique se réchauffe extrêmement vite, quatre fois plus rapidement que la moyenne mondiale. L’ennui, c’est que les chercheurs ont énormément de mal à anticiper à quelle vitesse ces territoires complexes pourraient relâcher leur carbone. Les estimations vont de 22 milliards à 524 milliards de tonnes de CO2 qui pourraient passer du pergélisol vers l’atmosphère d’ici la fin du siècle.
À mettre en parallèle avec le budget carbone qu’il nous reste : pour espérer limiter le réchauffement global à 1,5°C, il ne faudrait pas émettre plus de 275 milliards de tonnes de CO2, selon le Global Carbon Project. La large incertitude planant sur la quantité d’émissions à venir via le pergélisol est donc très problématique : selon le chiffre retenu, on passe de moins d’un dixième à près du double de ce budget.
« L’urgence absolue » de meilleurs modèles
La communauté scientifique a bien conscience de cet enjeu, puisqu’elle identifie le pergélisol comme l’une des importantes boucles de rétroaction climatique, qui pourraient accélérer le réchauffement : plus il fait chaud, plus ces terres dégèlent et envoient dans l’atmosphère des gaz à effet de serre, qui accentuent le réchauffement, donc le dégel... et ainsi de suite.
Le dernier rapport du Giec prend d’ailleurs en compte les émissions liées au pergélisol dans ses estimations du budget carbone restant, mais souligne que de grandes incertitudes persistent sur la quantité et la temporalité du relâchement de ce carbone. Surtout, notent les chercheurs dans Nature Climate Change, ces estimations se fondent sur des études solides, mais le carbone du pergélisol est très peu intégré aux modèles globaux, qu’on appelle les modèles du système Terre (ou Earth System Models, ESM).
Le risque est donc de sous-estimer les interactions et rétroactions liées à ces émissions possibles à l’échelle planétaire. D’où « l’urgence absolue », selon eux, d’améliorer les modèles. Or, cette mission prioritaire se trouve entravée par un manque de moyens et par la manière même dont la science est financée. La plupart des grands projets le sont sur la base de contrats de trois ans, ce qui laisse trop peu de temps aux chercheurs pour se former, développer et améliorer des ESM avant de devoir partir vers de nouveaux projets, expliquent-ils.
« Les chercheurs doivent aller chercher des bouts de financements ici et là, ce qui ralentit considérablement le travail »
Une plainte qui rejoint celle des nombreux directeurs de laboratoires de recherche français, qui dénoncent la précarisation de leur travail et l’absence de postes pérennes. « Nous avons des programmes de recherche européens sur cinq ans ou des programmes et équipements prioritaires de recherche qui se développent maintenant sur dix ans, mais la majorité des chercheurs doit tout de même travailler sur des programmes de trois ou quatre ans », confirme Philippe Bousquet, directeur du laboratoire des sciences du climat et de l’environnement à l’université Paris-Saclay.
« Aux États-Unis, ils sont davantage habitués à cette précarité des financements. Que même eux en aient marre, c’est un vrai signal qu’on atteint une limite », ajoute-t-il. Ce que nous confirme également Christina Schädel : « Pour le moment, on n’a pas les financements nécessaires pour répondre à tous les besoins. Les chercheurs doivent aller chercher des bouts de financements ici et là, ce qui ralentit considérablement le travail ».
« Nous avons besoin de projets de recherche plus longs pour pouvoir récolter des données et améliorer les modèles sur le long terme. Avoir des financements plus consistants pour les chercheurs leur permettrait de se concentrer sur leur recherche au lieu de courir après les dollars pour tenter de survivre quelques années de plus », soupire Christina Schädel.
« Il faut environ 10 millions de dollars par modèle »
Développer et améliorer des ESM mobilise en outre de nombreuses compétences et une multitude de domaines de recherches. Il faut des modélisateurs compétents, les ressources informatiques adéquates et l’expertise scientifique. Autant d’éléments qui existent déjà, mais qui nécessitent de trouver plusieurs millions de dollars pour pouvoir embaucher ces chercheurs et leur donner les moyens de développer des modèles, écrivent les auteurs de l’article. « Il faut environ 10 millions de dollars par modèle », compte Christina Schädel.
La fonte du pergélisol peut entraîner des glissements de terrain. Flickr / CC0 1.0 Deed / US Geological Survey
Les moyens nécessaires sont à la hauteur de la complexité de l’objet d’étude. Le pergélisol est constitué de terrains très hétérogènes, difficiles à modéliser. La plupart des modèles actuels prévoient par exemple que les terres s’assèchent après la fonte des glaces qu’ils contiennent, en contradiction avec les observations qui montrent par endroit la survenue d’inondations, voire l’apparition de nouveaux lacs après un dégel. À cette variété de situations s’ajoutent des changements abrupts. La fonte entraîne une érosion, voire des affaissements de terrains, qui ont pour effet d’augmenter de 40 % les émissions de carbone de ce pergélisol, indique l’étude publiée dans Nature Climat Change.
Un sujet majeur pour le prochain rapport du Giec
La structure du pergélisol, la mosaïque de lacs, failles, terrains accidentés, joue sur le gaz qui sort et sur le destin du changement climatique. La plus fine modélisation de ces phénomènes est notamment cruciale pour comprendre en quelle proportion la matière organique de ces sols va se libérer sous forme de CO2 ou de méthane (CH4), gaz au pouvoir réchauffant sur un siècle vingt-huit fois plus important que le CO2.
« On avance pas à pas. Les premiers modèles climatiques, dans les années 1970, représentaient juste l’atmosphère et l’océan, qui était réduit à une sorte de mare profonde. Puis, on a ajouté les surfaces continentales, la végétation… Il manque encore le pergélisol, qui est un sujet majeur pour le prochain rapport du Giec », complète Philippe Bousquet.
De nombreux autres défis attendent d’ici là les modélisateurs. La manière dont les plantes vont davantage pousser avec le dégel du pergélisol ou l’impact des mégafeux sur cette végétation et ces sols font partie des problèmes à ajouter à la liste des interrogations.
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