Édition du 17 décembre 2024

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Paix

31 mars 2010

L’Irak, dans le collimateur du Nouvel ordre mondial

Le 19 mars 2003, une coalition de pays menée par les États-Unis envahissait illégalement l’Irak sous des prétextes mensongers. Après sept années de guerre et d’occupation militaire, où en la réalisation de la promesse de George W. Bush d’une « nouvelle ère de paix et de démocratie pour le Moyen-Orient » ? Et qu’en est-il du changement d’orientation du président Obama et de son engagement à retirer ses troupes d’Irak d’ici la fin de 2011 ?

L’Irak, pays sacrifié

Les États-Unis ont l’Irak dans leur mire depuis 1972, année de la nationalisation de l’industrie pétrolière. Mais c’est en 1991, au sortir de la Guerre froide, que l’occasion s’est présentée de vraiment faire payer ce « crime » aux Irakiens et aux Irakiennes et d’en faire un exemple de ce qui pourrait arriver à tout pays décidant ainsi de soustraire ses ressources au contrôle des conglomérats occidentaux.

À la faveur de l’invasion du Koweït par l’Irak, l’empire étasunien de George Bush père inaugure alors son « Nouvel ordre mondial » par la Guerre du Golfe. Inexorablement, le terrible arsenal de mort et de destruction, alors déployé contre l’Irak, n’a jamais cessé son œuvre jusqu’à ce jour. La guerre de 1991 a détruit une grande partie des infrastructures civiles du pays. Le régime des sanctions (de 1990 à 2003) a empêché non seulement leur reconstruction mais également l’entretien des infrastructures restantes. Guerre et sanctions ont transformé l’un des pays les plus prospères de la région en pays exsangue, entraînant la mort d’environ 1,5 million de personnes, en majorité des enfants de moins de cinq ans. C’est sur cette toile de fond que s’ajoutent, à partir de 2003, l’invasion « Choc et stupeur », le saccage systématique de tous les édifices publics, la torture à Abou Ghraib, le pillonnage de Falloujah, les attentats sectaires et la mort de centaines de milliers d’autres personnes.

L’Irak aujourd’hui

Après sept années de « reconstruction », de mises en scène démocratiques et d’« aide », voici quelques points saillants qui en disent long sur les « progrès » réalisés :
 il y a plus de 4,5 millions de réfugiés irakiens, dont 2,8 millions déplacés internes ;
 400 civils irakiens meurent encore chaque mois, victimes de l’occupation et des attentats sectaires ;
 selon la Croix rouge, l’Irak est un pays de veuves et d’orphelins : 2 millions de veuves à cause de la guerre, de l’embargo, de l’occupation...
 quelque 70% des filles irakiennes ne vont plus à l’école
 la plupart des familles opère avec moins de 6 heures d’électricité par jour ;
selon Transparency International, l’Irak arrive au deuxième rang des pays les plus corrompus de la planète ;
 en novembre 2009, le ministre irakien de la planification, déclarait que les milliards de dollars dépensés en soi-disant contrats de reconstruction n’ont eu aucun impact perceptible.
 les centaines de tonnes d’uranium appauvri utilisées dans les munitions « alliées » en 1991 et en 2003 ont entraîné une hausse effarante des cas de cancer. Autre impact probable de ces armes : à Falloujah, 25 % des nouveaux-nés ont de sérieuses malformations physiques.
 
Les objectifs des États-Unis ont-ils été atteints ?

Les buts poursuivis par les États-Unis avec leur invasion et leur occupation de l’Irak ne se limitaient pas à donner une terrible leçon en ramenant le pays de Saddam Hussein au Moyen-âge. Il s’agissait aussi pour l’empire étasunien de reprendre le contrôle des ressources d’hydrocarbures de ce pays, d’éliminer une puissance régionale montante et rivale d’Israël en mettant en place un régime favorable à ses intérêts et d’établir en Irak des bases militaires permanentes pour « projeter sa force » dans toute la région.

L’administration Obama, nonobstant son opposition à cette guerre, sa conscience de son impopularité et l’annonce du retrait des troupes d’ici la fin de l’année 2011, ne pourra pas faire abstraction de ces objectifs et éviter « l’enlisement » par un simple calendrier de sortie. Or, il appert que ces objectifs sont bien loin d’être atteints. En effet, la population irakienne reste largement opposée au contrôle étranger des ressources pétrolières et à une présence permanente des troupes étasuniennes sur son territoire. Bien conscients de cette réalité, plusieurs partis politiques, tout en collaborant avec les forces d’occupation, démontrent peu d’empressement à mettre en œuvre ces objectifs. Ces mêmes « alliés » politiques poursuivent également leurs propres objectifs –parfois peu compatibles avec ceux des États-Unis – tel le rapprochement avec l’Iran.

Le pétrole

Pendant les années 1990, alors que les États-Unis, le Royaume-Uni et les Pays-Bas étaient les plus impitoyables partisans des sanctions internationales contre l’Irak, c’est à la Russie, à la France et à la Chine que le régime de Saddam Hussein faisait miroiter d’importants contrats d’exploration et d’exploitation pétrolières pour la période post-sanctions. L’invasion s’est certes avérée un moyen de couper court à ces projets. Mais la situation de l’exploitation pétrolière en Irak demeure lamentable après sept années d’occupation et les États-Unis n’ont encore réussi ni à privatiser, ni à s’assurer le contrôle de ce secteur-clé.

Réputé être un des moins chers à extraire, le taux d’extraction actuel du pétrole irakien est de 2,4 millions de barils par jour alors qu’il était de 2,6 millions de barils par jour à la veille de l’invasion (donc sous les sanctions) et de 3,5 millions de barils par jour dans les années 1970s.
Le 30 juin et le 1er juillet 2009, des contrats de service pour l’exploitation des six plus grands gisements de pétrole (représentant près de 40 % des réserves inventoriées en Irak) et de deux champs gaziers peu développés ont été mis aux enchères. Si les compagnies ExxonMobil, Shell et BP ont eu une part du gâteau, il en a été de même pour la compagnie russe Lukoil et surtout pour la compagnie chinoise CNPC, qui en est ressortie principale exploitante en Irak. La compagnie française Total a été la grande perdante...

Les élections

Il est encore trop tôt pour savoir si le résultat des récentes élections en Irak sera favorable à la réalisation des objectifs des États-Unis et dans quelle mesure. Rappelons cependant que le gouvernement de Nouri Al-Maliki s’était récemment montré peu enclin à suivre leurs diktats en ce qui concerne les contrats pétroliers, les relations avec l’Iran et les relations avec les provinces majoritairement sunnites. Ainsi il avait procédé à des arrestations massives peu avant les élections, visant en particulier des membres des Conseils de l’Éveil, ces milices sunnites auparavant payées par les États-Unis pour cesser leurs attaques contre les forces d’occupation. Et il avait déclaré qu’il ne permettrait pas à l’ambassadeur des États-Unis, Christopher Hill, d’outrepasser sa mission diplomatique.

Iyad Allaoui, dont la coalition a remporté, de peu, le plus grand nombre de sièges au futur Parlement, était connu comme « l’homme de la CIA ». Le 30 juin 2004, c’est à lui que les rennes du pouvoir avaient symboliquement été confiées lors du départ du « vice-roi » Paul Bremer, qui avait gouverné l’Irak à coups de décrets télécopiés depuis Washington pendant un an. Maintenant décrit comme le « candidat laïc », le succès d’Allaoui est cependant tributaire du sectarisme qui prévaut en Irak, puisqu’il a surtout fait le plein des votes des secteurs sunnites qui avaient boycotté les dernières élections législatives. Mais il y a encore loin entre les 91 sièges de sa coalition et les 163 requis pour assurer une majorité parlementaire et la coalition d’Al-Maliki, avec ses 89 sièges, pourrait peut-être plus facilement sceller les alliances requises.

Ingérence militaire et politique

Alors que cela est en contradiction avec la volonté affirmée d’un retrait de leurs troupes d’ici la fin de 2011, les États-Unis ont mis en place en Irak plusieurs immenses bases militaires dont les installations n’ont pas l’air temporaires. Mentionnons, par exemple le Camp Anaconda, une base militaire située à Balad, à 60 km au nord de Bagdad. Sa population compte plus de 20 000 personnes, incluant des milliers de contractuels et des employés de soutien originaires de divers pays ; les militaires y ont accès à une piscine olympique, des salons de massage, des restaurants (tels Subway, Burger King, Pizza Hut) et même un concessionnaire automobile. Tout récemment, en mars 2010, le Général David Petraeus, responsable du Central Command, a indiqué au Congrès que les États-Unis pourraient installer un Quartier Général additionnel dans le nord de l’Irak après septembre 2010.

L’Accord sur le statut des forces militaires étasuniennes en Irak prévoit que les troupes étasuniennes demeurent hors des centres urbains et que toutes les opérations militaires se mènent avec l’approbation du gouvernement irakien. Mais en pratique, sur le terrain, des « conseillers » militaires étasuniens sont implantés partout à travers les Forces de sécurité irakiennes, choisissant les cibles, dirigeant les opérations et les appuyant au besoin de bombardements aériens massifs.

Finalement, la mainmise des États-Unis sur l’Irak est aussi politique. Leur méga-ambassade à Bagdad, située près des édifices gouvernementaux au cœur de la « Green Zone » fortifiée et d’où essaiment des centaines de « conseillers » et d’experts en « gouvernance » pose effectivement aux Irakiens et aux Irakiennes la question de qui exerce réellement le pouvoir dans leur pays. Cette ambassade a coûté 700 millions de dollars et est dix fois plus grande que toute autre ambassade étasunienne dans le monde !

Quel avenir pour l’Irak ?

Il y a en ce moment environ 100 000 soldats étasuniens en Irak, sans compter plus de 110 000 mercenaires privés. Au regard de la faible consolidation de leurs objectifs stratégiques en Irak, nous considérons comme illusoire la promesse d’un retrait prochain de toutes les forces armées étasuniennes du pays. Il y aura certes des cérémonies, des beaux discours et de grands déploiements médiatiques pour marquer le départ de certains effectifs. Mais le scénario le plus probable c’est qu’une force d’occupation militaire importante demeurera en Irak pour plusieurs années encore, mais de façon déguisée. Des troupes de combat et de lutte anti-insurrectionnelle qui au lieu de se retirer verront leur mission transformée en « entraînement et en accompagnement » des Forces de sécurité irakiennes (deux milliards de dollars ont déjà été alloués à cela pour 2011). Des troupes étrangères auxquelles on donnera le statut de troupes « visiteuses » et qui demeureront dans leurs bases actuelles. Et, vraisemblablement, un accroissement du nombre de mercenaires et d’autres « contractuels privés » pour compenser en partie pour les effectifs militaires retirés.

La fin de l’occupation militaire de l’Irak n’est donc pas pour bientôt. Pas plus que l’exercice d’une démocratie véritable ou un réel début de reconstruction. Quant à la perspective d’une justice réparatrice envers ce pays volontairement détruit, saccagé et appauvri, elle semble à des années-lumière dans le contexte international actuel.

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