Une décision prise par le gouvernement du Québec risque de peser lourd sur la santé des populations de plusieurs pays émergents. Cette décision est passée pratiquement inaperçue dans les médias du Québec alors que la campagne électorale fédérale battait son plein. Il s’agit d’une garantie de prêt de 58 millions de dollars, consentie par décret à la compagnie Balcorp, pour la relance des opérations de la mine Jeffrey à Asbestos.
C’est ainsi que l’entreprise pourra produire environ 200 000 tonnes d’amiante chaque année à destination de plusieurs pays d’Asie, où les dispositions assurant la santé et la sécurité des travailleurs sont quasi inexistantes. D’ailleurs, l’automne dernier, une délégation réunissant des victimes de l’amiante et des représentants d’associations de travailleurs de l’Inde, de la Malaisie et de la Corée s’est rendue au Québec afin de démontrer, preuves à l’appui, que le minerai n’est pas utilisé de façon sécuritaire dans leurs pays. Je revois ces images de travailleurs indiens manipulant de l’amiante dans une décharge publique portant un simple foulard pour toute protection.
Comment notre gouvernement peut-il se faire complice d’une entreprise dont on prétend que le produit sème la mort dans d’autres pays ? Je comprends que pour les gens de la région d’Asbestos, il s’agisse d’une importante question au plan du développement économique. Après tout, pour cette région, c’est un projet créateur d’environ 500 emplois. Ce n’est pas rien. Comment réagirions-nous si on remettait en question un investissement créant autant d’emplois dans Lanaudière ? Lorsqu’il est question du pain et du beurre, il arrive parfois que les beaux principes de solidarité humaine prennent le bord.
Le gouvernement devrait pourtant être au-dessus de ces considérations locales et arbitrer ce genre de question en tenant aussi compte de l’impact de la décision sur la santé des populations d’ici et d’ailleurs.
Le gouvernement du Québec a fait fi des représentations des travailleurs étrangers. Il a aussi passé outre aux recommandations de ses propres experts de la santé publique. Fait assez rare, les 18 directeurs de la santé publique du Québec, y compris celui de la région de l’Estrie ont pris position publiquement pour dénoncer le projet. Les DSP estiment que l’augmentation de l’usage de l’amiante chrysotile au Québec se soldera par une augmentation des maladies reliées à l’amiante chez les travailleurs et dans la population en général. Selon les médecins, cela entraînera des coûts sociaux et financiers dont il aurait fallu tenir compte dans l’analyse du dossier de relance de la mine. Si les médecins jugent dangereuse l’utilisation de l’amiante au Québec, imaginez ce que ça peut être dans des pays où aucune de nos normes ne s’applique. Même la prestigieuse revue médicale The Lancet exhortait le gouvernement québécois à refuser de s’engager dans le projet de relance de la mine. Je ne suis pas un spécialiste de la santé, mais il me semble que des avis aussi fermes auraient dû être écoutés par nos dirigeants.
Le refus du gouvernement de permettre à une commission parlementaire d’étudier le projet laisse à penser que les dés étaient pipés d’avance. Pourtant, une motion adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale réclamait la tenue d’une commission parlementaire pour faire suite à l’avis des responsables de la santé publique.
Pour aider à passer la pilule, le ministre Clément Gignac affirme que de nouveaux contrôles seront exercés pour s’assurer que l’amiante québécois sera utilisé de façon sécuritaire dans les pays importateurs. On a de la misère à inspecter convenablement nos viaducs qui s’effondrent, alors imaginez l’inspection à l’étranger. Ce qu’on ne dit pas trop fort, non plus, c’est que ce contrôle ne s’appliquera qu’aux établissements qui reçoivent le produit directement du Québec. C’est ce qu’on en fera après qui inquiète ! L’amiante qui se décompose en fines particules se retrouvera éventuellement dans les usines, les écoles, les dépotoirs et dans les habitations de fortune des bidonvilles de Calcutta et Bombay. Dans le monde, on estime que plus de 100 000 personnes meurent chaque année des suites de maladies reliées à l’utilisation de l’amiante.
Vraiment, j’ai honte de voir mon pays se montrer aussi insouciant à l’égard de la vie humaine. Allons au bout de la logique du développement économique à tout crin, ajoutons les cercueils à nos produits d’exportation.
L’Action - Opinion - André Nadeau
Publié le 14 Mai 2011 http://www.laction.com/Opinion/Andre-Nadeau/2011-05-14/article-2504214/Exporter-la-mort/1