Édition du 17 décembre 2024

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États-Unis

Etats-Unis. Solidarité dans la rue pour le 1er Mai

Pour le 1er Mai, des immigré·e·s, des syndiqué·es, des militant·e·s antiracistes, des étudiant·e·s et des employé·e·s à bas salaires, entre autres, ont élevé leurs voix un peu partout aux Etats-Unis pour demander de la justice ici et ailleurs. C’est d’ailleurs dans ce pays qu’a eu lieu la première célébration de la fête internationale des travailleurs.

Tiré de À l’encontre.

Cette année, le 1er mai se déroulait dans un contexte d’urgence à cause du bigot qui occupe la Maison blanche. Donald Trump veut intimider et réduire au silence ceux qui s’opposent à lui, mais les slogans qui résonnaient dans les défilés entre les gratte-ciel dans les villes états-uniennes montrent qu’il n’y réussira pas facilement.

Depuis les « méga-manifestations » qui, il y a une dizaine d’années, ont mis en échec la législation républicaine visant à criminaliser tous les sans-papiers, le 1er mai est surtout devenu une journée de mobilisation pour les droits des immigrés

Mais même si l’immigration était de nouveau à la tête de manifestation et au centre des préoccupations cette année, ce n’est pas uniquement pour des raisons de tradition. La guerre que mène l’administration Trump contre les immigré·e·s est sans doute ce qui a eu l’impact le plus drastique et immédiat sur toutes ces mobilisations.

Trump applique et renforce la législation sur l’immigration et le contrôle des douanes (Immigration and Customs Enforcement – ICE) – qui avait déjà entraîné un nombre record de déportations pendant les années Obama – en provoquant un déferlement de peur dans les communautés immigrées. Des millions de personnes vivent dans la terreur que leurs familles, leurs proches et leurs communautés puissent à tout moment être déchirés par des déportations.

C’est ainsi que le slogan « Non aux frontières, non aux nations ! Arrêtez les déportations ! » s’est à nouveau fait entendre ce 1er Mai. Mais beaucoup d’autres luttes étaient aussi représentées dans les manifestations et les rassemblements. D’ailleurs ces autres combats – entre autres pour les droits syndicaux et pour un salaire minimum de 15 dollars l’heure – touchent aussi directement les immigrés. Mais comme dans toutes les mobilisations de protestation suscitées par la montée au pouvoir de Trump, il s’en dégageait un puissant esprit de solidarité – une reconnaissance du mot d’ordre du mouvement des travailleurs qui a été inauguré lors de la première célébration du 1er mai : « An injury to one is an injury to all » (« Un préjudice infligé à l’un est un préjudice infligé à tous ».)

Cet esprit de solidarité s’est clairement manifesté depuis les premiers jours de la présidence de Trump. En effet, lorsque ce dernier a signé des ordres exécutifs (décrets) pour la construction d’un mur le long de la frontière avec le Mexique et pour interdire l’entrée des Musulmans aux Etats-Unis, cela a suscité des manifestations sans précédent dans les aéroports internationaux, où des militants se rassemblaient contre l’islamophobie et la haine anti-immigrés.

Le Los Angeles Times a fait un reportage sur le 1er mai en décrivant la manifestation qui a réuni 20’000 personnes. Le rassemblement « avait l’air d’un mélange des récentes protestations à travers le pays », avec des T-shirt des Marches des femmes du 21 janvier, des signes roses défendant les plannings familiaux et d’autres pancartes sur le changement climatique.

Les gens sont opposés à Trump pour toutes sortes de raisons, mais ils commencent à se rendre compte que nous devons tous nous unir. Lors d’un rassemblement au Union Park de Chicago, Patricia Johnson, une membre du local de la fédération des employés (AFSCME) du Northeastern University, qui se bat contre des coupes budgétaires drastiques, a déclaré : « Je vois toutes ces choses – le fait que des écoles publiques de Chicago ont été fermées, que des gens noirs ou bruns sont terrorisés par la police ou par la menace de déportation. Toutes les personnes qui ont été marginalisées sont en train d’établir des connexions. Et c’est une bonne chose qu’elles le fassent et se rendent compte que nous devons résister parce que le nombre nous donne de la force. ».

La nécessité d’agir s’est manifestée clairement lors des mobilisations dans les campus. Celles-ci étaient souvent organisées pour préparer les manifestations qui auraient lieu plus tard dans la journée au niveau des villes. Par exemple à l’Université du Maryland (UMD) à College Park, sept groupes provenant du campus et engagés dans différents combats ont travaillé ensemble pour organiser une action pour le 1er Mai ; ils ont trouvé un accord préalable sur sept revendications, dont celle de faire de l’UMD un campus de sanctuaire (pour la protection des migrant·e·s).

La question des sanctuaires (lieux qui refusent de dénoncer les sans-papiers aux autorités fédérales et de les expulser) est devenue pressante sur les campus à mesure que ICE s’acharne et menace même des étudiants qui sont censés être protégés sous le programme DACA (Deferred Action for Childhood Arrivals) mis en oeuvre par Obama.

Les origines du 1er mai remontent à la grève générale nationale de 1886 pour la journée de huit heures et cette tradition a été ranimée aux Etats-Unis en 2006 lors du soulèvement de travailleurs immigrés qui ont été très nombreux à se mettre en grève ou à s’absenter du travail lors des protestations du 1er Mai. Etant donné ces références historiques et l’urgence qu’il y a à s’opposer aux attaques de Trump, il y avait eu plus tôt cette année de grands espoirs que la participation aux protestations du 1er mai serait massive qu’il y aurait une vague de grèves et d’actions sur les places de travail. Mais ces espoirs ne se sont pas réalisés. Les protestations les plus importantes qui ont eu lieu dans des villes états-uniennes comptaient au plus des dizaines de milliers de manifestants, ce qui représente une mobilisation significative, mais beaucoup moins nombreuse qu’en 2006. De même, le nombre de personnes qui se sont absentées du travail, même s’il est impossible de le calculer de manière précise, n’a pas du tout été aussi important.

A Philadelphie, environ 1’000 enseignants, soit un sur huit des enseignants des écoles de la ville, ont appelé à une protestation du 1er mai contre l’échec de la ville à négocier depuis presque 4 ans un contrat avec le syndicat des enseignants. D’après certaines informations, l’action était dirigée par des membres du Caucus of Working Educators.

Mais cette action est restée l’exception lors de ce 1er Mai. A Chicago, par exemple, la participation n’a atteint qu’une fraction de la « méga-marche » du 1er mai 2006, lorsque des centaines de milliers de travailleurs se sont absentés de leurs lieux de travail et ont submergé pendant des heures le centre-ville.

Une des raisons principales qui a restreint le nombre de participants aux évènements du 1er Mai a été la crainte de l’offensive Trump. Antonio Gutierrez, membre Organized Communities Agains Deportation, a expliqué : « Beaucoup de gens ont peur des déportations et des raids effectués aux domiciles ». Cela est vrai même à Chicago, où le maire, Rahm Emanuel [démocrate], prétend que la ville ne coopère pas avec l’application du décret sur l’immigration. D’après Gutierrez, cela est tout à fait faux. Dans un discours prononcé lors d’un des rassemblements à Chicago, il a dénoncé le département de police de Chicago pour avoir partagé sa base de données sur des prétendus membres de gangs avec ICE.

D’après Elsa Lopez, qui milite avec l’organisation collective de Casa Michoacan région du Mexique les touche aussi (…) Ma fille a très peur d’être déportée, alors qu’elle est née ici. »

Tout comme dans d’autres villes, une poignée de partisans racistes de Trump sont venus harceler les manifestants, et bien entendu la grande presse a rapporté leur position, même s’ils étaient beaucoup moins nombreux que les manifestants. A Los Angeles, les groupes de droite ont même chanté « Ice Ice Baby », du rappeur Vanilla Ice, entre deux volées d’insultes racistes.

En contraste, Crecencio Bacilio a transmis la dignité des manifestants du 1er mai alors qu’il marchait avec son épouse et ses trois fils. Bacilio a fermé son magasin de fruits pour participer au 1er mai. Il a expliqué que même si le fait de perdre les revenus d’une journée posait problème : « Surtout cette année, il nous faut participer à cette lutte. Pour faire savoir aux gens que nous ne sommes pas des criminels. Nous travaillons dur et nous allons nous battre jusqu’au bout ».

A Chicago, quelques 15’000 personnes représentant plus de 100 organisations différentes pour les droits des immigrés, des syndicats, des groupes antiracistes et d’autres organisations politiques et des travailleurs, ont affronté les averses intermittentes pour défiler ensemble en solidarité avec les travailleurs et travailleuses immigrés.

A mesure que les gens se rassemblaient dans Union Park, les différents contingents se mélangeaient, aux côtés de nombreuses personnes ou familles portant des pancartes artisanales qui mettaient en évidence l’incroyable envergure de la manifestation.

Des membres du syndicat Unite Here ; de Black Lives Matter et des militants de Fight for 15 (lutte pour les 15 dollars l’heure), des membres du syndicat des enseignants de Chicago, une douzaine de personnes portant des cœurs rouges brisés avec une pancarte où l’on pouvait lire : « Nos familles sont brisées » ; une femme qui affichait avec défi une pancarte qui proclamait : « Vous ne pouvez pas opprimer des gens qui n’ont plus peur » – tous ces gens sont venus ensemble en formant un mur de solidarité contre le projet raciste de frontière de Trump.

Deux jeunes hommes ont raconté que le restaurant mexicain où ils travaillaient était fermé pour le 1er mai. L’un d’entre eux a expliqué : « Nous venons de toutes sortes d’horizons différents, et pourtant il y a un sens de communauté ». Son camarade de travail a poursuivi : « Il est incroyable de voir comment tout le monde se réunit. Je ne suis pas un immigré illégal, je suis né ici, mais j’ai remarqué qu’il y a beaucoup de gens comme moi qui sont ici pour montrer leur soutien. Ils savent que c’est un problème. Nous avons tous nos petits mondes où nous vivons, mais nous sommes venus ensemble pour avoir un impact. »

Quelques heures avant le rassemblement prévu pour 13 heures, d’autres actions se sont déroulées à travers la ville, avec le matin des rassemblements ses enseignants et des étudiants de plusieurs écoles publiques de Chicago, ainsi que des rassemblements d’étudiants dans les campus des collèges.

Bridget Broderick, membre de la Coalition de Chicago pour le 1er mai – groupement qui avait organisé l’événement – a évoqué ce que la mobilisation avait été accompli : Pendant des années, sous Obama, il n’y avait pas eu beaucoup de formations de coalitions pour le 1er mai. Cette année il y a eu une tentative délibérée de rassembler les forces qui avaient par le passé lutté pour les droits des immigrés avec d’autres forces, telles que les syndicats et certaines luttes qui avaient émergé plus récemment, comme Black Lives Matter, Black Youth Project, les mouvements contre la brutalité policière et Fight for 15.

Dans ce sens, ce 1er mai a été puissamment politique. Il n’y a évidemment pas eu autant de participants que lors des manifestations pour les droits des immigré·e·s en 2006, mais il nous montre comment il faut s’organiser dans les collectivités qui sont attaquées, notamment celles d’immigré·e·s qui risquent la déportation. C’était positif de voir tous ces groupes ensemble pour décider de ce qu’il fallait faire.

A San Francisco, quelque 5’000 personnes ont manifesté le 1er Mai pour soutenir les droits des immigrés et des travailleurs, le cortège a marché de la place Justin Hernan à travers le centre-ville jusqu’au Centre civique.

Les syndicats sont venus en force, surtout les enseignants représentés par la American Federation of Teachers (AFT, membres de l’Union internationale des employés des services – SEIU 1021 – et les membres du Syndicat international des dockers. Il y avait aussi des groupes de militants de droits des immigré·e·s, des étudiant·e·s et des organisations de gauche. Un des moments marquants de la marche a été le contingent socialiste de 75 associations organisé conjointement par l’International Socialist Organization (ISO), Democratic Socialists of America (DSA) et Socialist Alternative (SA).

Lorsqu’on a demandé à Lisa Mestayer, une militante de la campagne Justice for Alex Nieto et qui vit à San Francisco depuis qu’elle est arrivée du Nicaragua à l’âge de 4 ans, pourquoi elle participait à la manifestation, elle a répondu : « Je le dois à mon avenir et je le dois à mon passé d’immigrée et d’enfant d’immigrés. En tant que mère de trois garçons, je suis là parce qu’ils ont besoin de moi et qu’ils ont besoin d’apprendre à se montrer et à être présents dans le mouvement. »

Daisy, une étudiante au San Francisco State, a dit qu’elle est venue pour honorer ses parents, qui ont immigré aux Etats-Unis, mais aussi « parce que nous avons des camarades de classe qui n’ont pas de papiers et qui ont peur d’être ici, nous n’allons donc pas laisser ces étudiants sans papiers rester seuls ici. »

Article publié sur le site Socialistworkers.org, le 3 mai 2017 ; traduction A l’Encontre

Alan Maass

International Socialist Organization
www.socialistworker.org

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