Les sionistes et les pro-israéliens nous servent toujours des arguments similaires pour justifier leur position et dénigrer leurs opposants, au point que c’en est lassant de devoir les démonter sans cesse. Au pire, ces idées reçues tiennent de l’imposture intellectuelle, au mieux de demi-vérités ou de demi-mensonges, choisissez.
Commençons par le premier argument le plus répandu et qui a le plus longtemps prévalu, celui d’Israël comme seule démocratie au Proche-Orient. Formellement, c’est vrai. Le but des fondateurs de l’État hébreu consistait à fournir enfin une patrie aux Juifs et Juives persécutés, coiffée d’un régime libéralo-électoral. Mais pour ce faire, ils ont délogé de force une bonne partie de la population d’origine arabe établie là depuis toujours. Ils l’ont ainsi transformée en peuple exilé dans les pays voisins. Que ces gens-là et leurs descendants veuillent récupérer les terres dont ils ont été chassés et y reprendre leur place est légitime et se comprend très bien. Ça n’a rien à voir avec de "l’antisémitisme" comme certains partisans de l’État d’Israël l’affirment de manière plus ou moins détournée. Les Palestiniens refusent d’acquitter la facture de l’Holocauste. Ils n’ont rien contre les Juifs en soi mais ils prennent légitimement les armes contre les gens qui les ont dépossédés en 1947-1948 ; ceux de Cisjordanie et de Jérusalem-Est, conquis par Israël en 1967, font pareil. Tous en ont contre la colonisation israélienne qui y étend ses tentacules chaque jour davantage.
On pointe ensuite l’extrémisme de certaines organisations de résistance palestinienne (le Hamas et le Hezbollah), tout comme on a démonisé autrefois l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), présidée par Yasser Arafat. Il serait impossible de négocier avec ces groupes "pas parlables". L’OLP a finalement accédé pour l’essentiel aux exigences américaines lors des Accords d’Oslo conclus en septembre1993 dans un contexte de semi-capitulation palestinienne, notamment en reconnaissant, selon la formule éculée, "le droit d’Israël à l’existence", ce qui équivalait à renoncer aux territoires confisqués par les sionistes en 1947-1948. Mais pour faire court, la colonisation israélienne en Cisjordanie et à Jérusalem-Est s’est poursuivie d’abord au ralenti, puis s’est accélérée après l’arrivée au pouvoir en 2009 de Benjamin Netanyahou. La politique expansionniste israélienne et le blocage du processus de paix qui s’en est ensuivi a discrédité auprès de la population palestinienne les modérés et renforcé les "extrémistes". Avec les résultats que l’on connaît...
En réalité, beaucoup des pro-israéliens soutiennent avant tout le nationalisme israélien, mais ils sont trop hypocrites pour en convenir. Pour se justifier, ils dénigrent les régimes politiques arabes qui entourent Israël, lequel formerait par comparaison une oasis démocratique.
Mais il faut admettre que les notions de liberté et de bonheur sont relatives, variant dans le temps et l’espace ; tout dépend des critères que l’on utilise pour les définir. Oui, Israël est un État démocratique, mais qui s’est édifié sur les ruines de l’ancienne Palestine arabe. Dans ce contexte, comment les Palestiniens pourraient-ils accepter une paix avec Israël qui ressemblerait à une capitulation ? Encore une autre...
D’ailleurs, en matière de politique étrangère, plusieurs pays occidentaux n’ont pas de leçons à donner aux Arabes. Le colonialisme européen notamment a pesé lourd sur ce qu’aujourd’hui on nomme le Tiers-Monde. Un impérialisme économique, commercial et parfois militaire y a de nos jours succédé, ce qui devrait interdire aux dirigeants occidentaux de prétendre donner des leçons de liberté aux sociétés arabes.
Que cela plaise ou non, les organisations vues comme extrémistes et intraitables forment un des visages de la résistance palestinienne ; les tenir à l’écart équivaut à empêcher tout un pan de la population palestinienne de participer aux futures négociations de paix (qui finiront bien par venir un jour). Il existe une vérité fondamentale en politique, tant étrangère qu’intérieure : on ne choisit pas ses interlocuteurs. Ils sont là et il faut s’en accommoder. On doit donc laisser les Palestiniens et Palestiniennes choisir librement leurs représentants qui participeront aux négociations de paix.
Le problème majeur réside dans le fait que la plupart des classes politiques occidentales et au premier chef l’américaine, traditionnelle protectrice de l’État hébreu tentent depuis des décennies d’imposer au peuple palestinien une paix à rabais. Cette politique contraste avec l’infinie complaisance qu’elles démontrent envers leur protégé israélien. Cette complaisance, à sa face même constitue une bonne partie du problème, mais elle commence peut-être à se fissurer.
Pour conclure, nous ne sommes pas en présence d’une lutte entre la démocratie israélienne et l’autoritarisme palestinien, mais entre l’expansionnisme israélien et la volonté d’émancipation d’un peuple dépossédé.
Jean-François Delisle
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