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Au Portugal, le premier ministre socialiste est lâché par ses anciens alliés de gauche

Le chef du gouvernement António Costa a enregistré un revers spectaculaire mercredi, mis en minorité à l’Assemblée sur sa proposition de budget pour 2022. Le scénario d’une dissolution de l’Assemblée et d’élections anticipées dès janvier se précise.

27 octobre 2021 | tiré de médiapart.fr

Le rejet du projet de budget 2022, ce mercredi en fin de journée à l’Assemblée, renforce la probabilité d’une chute imminente du gouvernement socialiste d’António Costa, en poste depuis 2015 à Lisbonne. À défaut de l’adoption d’un budget en bonne et due forme, le président de la République, Marcelo Rebelo de Sousa, avait prévenu qu’il n’hésiterait pas à dissoudre l’Assemblée.

La proposition de budget de l’exécutif a été rejetée par 117 voix (108 pour, cinq abstentions), à l’issue de deux jours de débats parlementaires qui ont surtout révélé l’ampleur du fossé qui s’est creusé entre les trois principaux partis politiques classés à gauche. « J’ai tout fait, tout ce qui était en mon pouvoir pour rendre ce budget viable [...] Le gouvernement a fait sa part [...] Je me présente devant vous avec la liberté et la sérénité de celui qui a la conscience tranquille », avait prévenu le chef de l’exécutif à la tribune de l’Assemblée, quelques minutes avant le vote.

António Costa, parfois surnommé le « coriace » dans la presse portugaise, a gouverné depuis 2015 grâce à un accord politique signé avec deux alliés politiques sur sa gauche, le Bloc de gauche (BE) et le Parti communiste (PCP) – une alliance parfois brinquebalante surnommée la « geringonça » [un bricolage]. Après sa victoire aux élections de 2019, Costa s’était ensuite lancé dans une expérience de gouvernement socialiste minoritaire, avec des soutiens au coup par coup d’autres partis, dont le BE et le PCP, mais aussi le Parti animaliste (PAN) ou LIVRE (écologistes).

Le Parti socialiste ne compte que 108 députés sur les 230 élus de l’Assemblée. Afin de faire adopter le budget 2022, il devait donc compter sur l’abstention des communistes (10) ou du Bloco (19). L’an dernier, le budget était passé sur un fil, malgré l’opposition, déjà, des élus du Bloco : le PCP, le PAN et les Verts du PEV s’étaient abstenus. Cette fois, les deux ex-alliés – qui siègent avec LFI dans le même groupe au Parlement européen – se sont rebiffés ensemble. Comme s’ils prenaient leur revanche sur Costa, après des années de frustrations et de tensions héritées des années de la geringonça.

Costa n’a pu compter que sur l’abstention des trois élus du PAN et de deux indépendants. Le socialiste se refuse à ce stade à démissionner, mais la balle est désormais dans le camp du président de la République, qui risque d’annoncer une dissolution de l’Assemblée.

Sentant le vent tourner en octobre, António Costa avait multiplié les concessions dans la dernière ligne droite, pour tenter d’amadouer, une fois de plus, l’aile gauche de l’Assemblée. Une réunion de crise s’est encore déroulée lundi soir. « Le budget que nous présentons est clairement un budget de gauche », avait martelé la ministre du travail Ana Mendes Godinho. À destination des communistes, le PS a mis sur la table une hausse du salaire minimum jusqu’à 750 euros, la gratuité progressive des crèches, ou encore un coup de pouce pour les retraites.

La “geringonça” est morte.
Catarina Martins, du Bloc de gauche

Mais le PCP a jugé ces avancées trop timorées (il réclame par exemple un salaire minimum à 850 euros). « Le Portugal n’a pas juste besoin d’un budget, mais d’une réponse gouvernementale face à des problèmes qui s’accumulent », a avancé lundi Jerónimo de Sousa, le leader du PCP, pour justifier son refus. Dans l’esprit des communistes, il était nécessaire de soutenir le gouvernement de Costa après 2015, pour tourner la page de la « troïka » et des politiques d’austérité associées au précédent exécutif de Pedro Passos Coelho.

L’an dernier, le caractère exceptionnel de la pandémie de Covid les avait encore incités à s’abstenir sur le budget, pour ne pas ajouter une crise politique à l’urgence sanitaire. Mais cette fois-ci, la donne semble différente, alors que l’UE commence à verser des fonds liés à la relance post-Covid. Ne pas s’opposer au budget, a insisté Jerónimo de Sousa, reviendrait à « abdiquer sur tout ce que nous, communistes, considérons comme transcendantal ».

Le PS avait aussi défendu un statut pour un « service national de santé », censé faire en sorte que des médecins du service public ne soient plus contraints d’aller travailler en parallèle dans le privé. Il avait aussi proposé une revalorisation modeste des indemnités en cas de licenciement, ou encore une hausse du salaire pour les heures supplémentaires (au-delà des 120 premières heures déjà réalisées sur une même année). À destination du PAN, le Parti animaliste, Costa s’était engagé à interdire les corridas aux mineurs de moins de 16 ans.

Si le rejet des communistes s’est confirmé tardivement, celui du Bloco se profilait depuis mi-octobre. Catarina Martins (que Mediapart avait déjà interviewée ici) avait fait partde son « extrême déception », contant l’absence de volonté du PS de négocier sur les neuf propositions formulées par le Bloco (en matière de sécurité sociale, de code du travail, etc). Sans surprise, les efforts du PS depuis 2015 pour apparaître comme la formation qui, tout à la fois, relance l’économie, mais sait aussi tenir « les comptes publics en ordre », conformément à l’orthodoxie budgétaire voulue par les traités européens, ont fini par braquer des pans de la gauche.

Costa et Martins, en particulier, semblent désormais très éloignés. À la tribune mercredi, Martins a encore dénoncé les « investissements anémiques » programmés par l’exécutif. « La geringonça est morte à cause de l’obsession du PS de la majorité absolue », a-t-elle insisté, allusion au manque d’initiative du parti de Costa pour négocier le budget avec d’éventuels partenaires de gauche. « La geringonça n’a plus de pieds pour avancer », a ironisé, de son côté, le conservateur Rui Rio, leader de l’opposition.

A priori, la perspective d’élections anticipées en janvier 2022 – au lieu d’octobre 2023, selon le calendrier officiel – n’arrange pas grand monde. D’abord parce que la campagne à venir pourrait coïncider avec le déploiement du gros des fonds européens post-Covid (« le programme de récupération et de résilience », dans le jargon gouvernemental). Ensuite parce que le principal adversaire de Costa, le Parti social-démocrate (droite), est divisé sur son leadership, avec des élections internes prévues le 4 décembre, pour départager qui de Rui Rio, l’actuel maire de Porto, ou de Paulo Rangel, un eurodéputé, conduira la formation aux prochaines législatives.

Même l’extrême droite de Chega, emmenée par l’ex-commentateur de football André Ventura, connaît des remous, et organise dans la précipitation un congrès, sans doute début décembre, pour désigner de nouveau Ventura à sa présidence. En cas de législatives anticipées, le scénario politique reste ouvert. Des sondages fragiles donnent encore Costa vainqueur. Mais les élections municipales organisées en septembre ont valeur d’alerte pour le PS portugais.

Les socialistes ont certes remporté ce scrutin local, avec près de 33 % des votes (cinq points en deçà du score de 2017, sur fond de forte abstention). Mais ils ont perdu l’un de leur fief, la mairie de Lisbonne, qu’ils détenaient sans discontinuer depuis 2007. Déjouant les sondages, l’ancien commissaire européen Carlos Moedas, candidat du PSD, l’a emporté dans la capitale, porté par une coalition plus large de partis de droite et centre-droit. Le PS a aussi enregistré des revers à Coimbra (grande ville universitaire du centre du pays) ou Funchal (archipel de Madère). Si la droite parvient à renouveler ce type d’alliances élargies au niveau national, à l’approche d’un futur scrutin, elle pourrait bousculer le PS.

Ces municipales s’étaient par ailleurs révélées douloureuses pour le Bloco, et encore davantage pour le PCP, une formation réputée pour son ancrage local solide. C’est sans doute aussi cette contre-performance dans les urnes qui explique le raidissement du PCP dans la dernière ligne droite des discussions budgétaires avec le PS, à l’origine de la crise politique actuelle.

Lepeltier Ludovic

Blogueur sur le site de Médiapart.

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