Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Social-démocratie

A force de virages, le risque est parfois de ne plus savoir où donner de la tête.

La « schröderisation » de François Hollande.

Voilà plusieurs jours maintenant qu’un mot hante Paris, écrit la SÜDDEUTSCHE ZEITUNG, le mot « tournant ». Moins d’Etat-providence, plus de marché, plus de concurrence et de responsabilité de chacun. Après 20 mois de turbulences à l’Elysée, le président, dit-il, s’est enfin décidé à prendre un cap que d’autres sociaux-démocrates ont emprunté bien avant lui, qu’il s’agisse de ses coreligionnaires aux Pays-Bas et en Scandinavie, mais aussi le Britannique Tony Blair sans oublier, bien sûr, Gerhard Schröder. Et c’est ainsi, rappelle à son tour son confrère de la FRANKFURTER ALLGEMEINE ZEITUNG, que le président François Hollande a notamment annoncé qu’il voulait mettre la société française en mouvement, exactement comme le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder l’avait fait 10 ans plus tôt en dévoilant son programme de réforme au Bundestag. En clair, l’Europe pourrait donc être le témoin d’une nouvelle métamorphose : la « schröderisation » de François Hollande.

Reste que ce virage mérite néanmoins un petit rappel historique, précise à nouveau la SÜDDEUTSCHE ZEITUNG, cité par le Courrier International. Durant les derniers mois de son mandat, Nicolas Sarkozy ne tarissait pas d’éloges au sujet du modèle allemand. Il l’a défendu auprès de ses compatriotes à sa façon, c’est-à-dire obsessive. Et pourtant, s’ils étaient effectivement nombreux à reconnaître la réussite économique de leur voisin, ils avaient du mal à accepter de devoir en permanence se reporter à l’exemple allemand. A l’époque, François Hollande, lui, mettait au contraire l’accent sur les failles de ce modèle, promettant aux Français qu’ils pouvaient trouver leur solution à eux, avec de bonnes garanties sociales et à l’abri des excès de la mondialisation. C’est même ainsi qu’il a été élu. Sauf qu’un an et demi et une succession de mauvais résultats économiques plus tard, le président a changé brutalement de cap pour faire comme l’Allemagne et plaide désormais pour un Etat plus économe, une réduction des dépenses et une meilleure compétitivité des entreprises.

Or à Berlin, nombre de journaux dont la TAGESZEITUNG conseille vivement à François Hollande de ne pas adopter, justement, le modèle allemand. Aujourd’hui, écrit le journal, beaucoup d’Allemands se sentent vainqueurs : tandis que l’Europe s’enlise dans la récession, les citoyens de la République fédérale voient les exportations exploser et les chiffres officiels du chômage baisser. En clair, regarder la France, dit-il, nous remplit de joie, car chaque chômeur de plus corrobore notre opinion que l’Agenda 2010 mené sous Gerhard Schröder et inspiré par Peter Hartz était la bonne chose à faire. Et pourtant, l’adoption par la France de la ligne allemande serait catastrophique pour l’Europe entière, poursuit le journal. Et la TAZ toujours de préciser : car ce n’est pas la France qui a échoué, dit-il, c’est l’Allemagne. Dans la splendeur de son autosatisfaction, l’Allemagne agresse avec son idée sempiternelle de nous sommes les meilleurs. C’est elle l’agresseur et notamment parce qu’elle fait du dumping salarial. Autrement dit, pour pouvoir exister face aux Allemands, les Français qui avaient adopté, dit-il, la bonne attitude en augmentant les salaires en fonction de la productivité n’auraient plus d’autres choix pour être compétitifs que de réduire à présent leurs salaires. Avec des conséquences fâcheuses puisque la baisse des dits salaires entraînera une baisse de la demande, provoquant une nouvelle récession. Les prix baisseront et l’Europe sombrera définitivement dans la déflation. Et le journal d’en conclure, que la France adopte aujourd’hui l’agenda allemand n’est pas une bonne nouvelle et c’est même un très mauvais présage.

D’autant que l’autre virage annoncé cette fois-ci Outre Rhin a de quoi laisser perplexe, puisqu’en prononçant hier son premier discours de politique générale depuis sa réélection, Angela Merkel a elle annoncé, au contraire, un virage social en corrigeant les excès des réformes libérales et en replaçant la justice sociale au cœur de sa politique. Dans un discours d’une heure devant les députés, précise LE TEMPS de Genève, la chancelière a dit vouloir mettre les gens au cœur de son action en énumérant ses projets, au premier rang desquels l’instauration d’un salaire minimum, mais aussi une réforme des retraites permettant aux ouvriers ayant cotisé durant quarante-cinq années de partir à la retraite à 63 ans au lieu de 67 actuellement.

Aussitôt d’ailleurs, l’ancien chancelier Gerhard Schröder, justement, qui avait envisagé en son temps la retraite à 67 ans mais n’avait pu la mettre en œuvre à cause des réticences de sa base, s’est mêlé au débat. Interviewé par le BILD ZEITUNG, il dénonce une réforme qui envoie complètement le mauvais signal, dit-il, aux partenaires européens à qui l’Allemagne réclame depuis le début de la crise des réformes structurelles. Pas de quoi émouvoir en revanche la ministre SPD du Travail, laquelle entend à présent mettre rapidement sur pied sa réforme, qui devrait entrer en vigueur vers le milieu de l’année et coûter quelque 2 milliards d’euros par an au contribuable.

D’où la conclusion du journal, avec une Angela Merkel au programme toujours allégé par les conséquences de sa chute en ski de fond et malgré la faiblesse d’une opposition réduite aux seuls groupes des Verts et des néo-communistes de Die Linke, le camp chrétien-démocrate semble désormais bien pâle en ce début de mandat. Du moins, pour tous les As des coups de volant à droite.

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