Édition du 12 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Que la troïka aille se faire voir. Rembourser en priorité la dette… augmente la dette !

La Grèce devait être le laboratoire des politiques de l’union européenne. Les politiques de la Troïka (Commission européenne, BCE, FMI) devaient assurer son redressement financier, économique et social. La réalité démontre tragiquement le contraire. Partout.

En Grèce, malgré tout l’énorme tapage médiatique depuis 4 ans, sur « l’effacement de la dette grecque », les chiffres indiquent que la dette grecque a augmenté de 40 points par rapport au PIB. Ce sont les politiques d’austérité imposées à la Grèce qui l’ont fait passer de 113 % fin 2009 (après les réajustements des comptes publics opérés par Georges Papandréou) à 156,9 % aujourd’hui, malgré deux « restructurations » de la dette publique grecque. Mais ces « restructurations » se sont faites à l’initiative et sous la houlette des créanciers, c’est-à-dire des banques dont les représentants assistaient à toutes les négociations. Seules ces banques en ont profité. Si la récession continue cette dette publique dépassera bientôt les 200 % du PIB. Il n’est pas possible que le peuple grec puisse la rembourser. Même l’UE pronostique qu’en 2020, elle descendrait… à 120,5 % du PIB c’est à dire plus que ce qu’elle était avant toutes les saignées qui ont ruiné la Grèce pour prétendument rembourser une dette de 113 %.

En France, contrairement à toutes les affirmations sur le « sérieux budgétaire », la dette publique augmente de 90 milliards d’euro en 2012.

En France, le poids des intérêts de la dette publique en 2012 représentait 48,8 milliards d’euros, soit 2,4 % du PIB.

Le déficit public était de 5,3 % du PIB fin 2011 et de 4,8 % fin 2012. Malgré cette baisse de 0,5 % du déficit, la dette publique a augmenté de 85,8 % du PIB à 90,2 % soit de 4,4 %. Et pourtant la France emprunte à des taux exceptionnellement bas !

Réduire le déficit pour rembourser la dette…aboutit à augmenter la dette. Et ce n’est même pas du aux taux élevés, mais au fait que le taux de croissance est inférieur à ces taux.

Pourquoi ? à cause de l’ « effet de boule de neige » qui fait augmenter automatiquement la dette publique quand le taux de croissance est inférieur au taux d’intérêts des titres de la dette publique. Environ 1/3 du montant de la dette publique française est dû à ce phénomène.

En « dépensant moins », en injectant moins dans l’économie, la croissance recule, la récession est là, les recettes baissent, et la dette augmente même quand on la rembourse à taux bas ! En fait il faut faire l’inverse, dépenser plus, investir, relancer les salaires et l’économie, pour que la croissance remplisse son rôle.

Or la croissance a été nulle cette même année et l’économie française est maintenant officiellement en récession avec deux trimestres successifs de croissance négative (- 0,2 %).

Le nombre de demandeurs d’emplois dépasse son niveau de 1997 et chaque point de croissance en dessous de 1,5 % entraîne le chômage de dizaines de milliers de personnes. L’Unedic annonce 178 000 demandeurs d’emplois en 2013, malgré les « emplois d’avenir » et les « contrats de génération ». Et 129 000 de plus en 2014 !

Enlever de l’argent de l’économie, des investissements publics, réduire en priorité le déficit aboutit au résultat inverse, là aussi, de celui qui est annoncé !

Dans un récent discours à Dijon, François Hollande affirmait que nous devions rembourser la dette publique pour deux raisons.

1°) Parce que c’était moral. Mais quelle morale y a-t-il à ce que le peuple grec ait vu son niveau de vie diminuer de 35 % en 4 ans (c’est la chiffre le plus modéré, l’Institut du travail, proche des syndicats grecs indique 50 %), son taux de chômage dépasser 27,6 % pour rembourser les banques qui ont spéculé sur la dette publique grecques. Quelle morale y a-t-il à ce que les Irlandais subissent une telle régression sociale pour rembourser une dette publique qui a bondi de 25 % du PIB en 2007 à 117 % en 2012 uniquement pour éviter la faillite aux banques irlandaises qui avaient alimenté pendant près de 10 ans la spéculation immobilière ? Quel morale y a-t-il à rembourser une dette publique française qui trouve son origine, avant tout, dans la baisse des impôts des plus aisés et surtout des sociétés (69 milliards d’euros de niches fiscales, par an, à destination des grands groupes selon le rapport de juillet 2010 du député UMP Gilles Carez) ? Quelle morale y a-t-il a fermer des hôpitaux, à réduire le montant des retraites et des allocations familiales, à augmenter la TVA, à réduire les dépenses des collectivités publiques alors que l’absence de toute harmonie fiscale de l’Union européenne se traduit par un manque à gagner de 40 à 90 milliards d’euros par an du fait de la fraude fiscale ?

2°) Parce qu’autrement, le taux de notre dette publique augmenterait. C’est le contraire. La récession, nous venons de le voir, risque d’avoir un effet bien pire.

Aucun bilan n’a été tiré de la politique de « rassurer les marchés ». Jeter des steacks aux requins-banksters ne les éloigne pas, ils s’accrochent au navire Europe. Ce bilan est terrible : une triple catastrophe, sociale, économique et même budgétaire puisque presque partout, les dettes publiques augmentent. Nous sommes très loin du discours du Bourget et de ce que François Hollande déclarait alors : « mon véritable ennemi, c’est le monde de la finance ».

Il ne faut pas non plus se réjouir, comme le font certains, des « taux bas » auxquels la finance privée, actuellement, prête à la France et ce, pour deux raisons :

1°) L’écart de taux (le spread) entre l’Allemagne qui bénéficie des taux les plus bas et un pays comme l’Italie dont les taux varient (à 10 ans) entre 5 et 7 % montre tout simplement que l’euro n’est pas considéré par les investisseurs comme une monnaie fiable. Pourquoi ? Parce qu’à la différence des Etats Unis il n’y a pas de budget fédéral digne de ce nom (1 % contre plus de 20 % du PIB) qui apporte la moindre garantie à ces investisseurs. Parce que la BCE n’a pas le droit de racheter directement, lors de leurs émissions (sur le marché primaire) et sans « conditionnalités » (celles qui ont plongé la Grèce, le Portugal, l’Espagne dans le marasme actuel) les titres des dettes publiques. Parce qu’il n’y a aucune politique économique, fiscale ou sociale commune du fait du traité de Lisbonne qui impose l’unanimité du Conseil pour les deux dernières et qui a remplacé la première par la « concurrence libre et non faussée ».

2°) Les marchés financiers commencent à se rendre compte (malgré leurs lunettes néolibérales) que la généralisation de la récession ne garantit en rien leurs créances. Ils peuvent donc, sous le coup de n’importe quel évènement (accentuation de la crise sociale en Espagne, de la crise politique en Italie…) se remettre à exiger des taux d’intérêts très élevés pour les dettes des pays du Sud et rien, strictement rien, ne dit qu’il ne traiteront pas la France comme telle si son économie s’enfonce dans la récession.

Il n’y a qu’une solution, c’est que la BCE prête directement aux états et sans « conditionnalités » anti sociales. Au contraire, que les « conditions » soient l’embauche, la restauration du droit du travail, la hausse des salaires, la redistribution des richesses pour la relance.

Sinon l’Union européenne va dans le mur. Le « sursaut » c’est maintenant !

En Italie la récession est déjà installée avec une croissance négative de – 2,4 % en 2012. Le chômage atteint 11,5 % de la population active. Le « Mouvement 5 étoiles » a obtenu 25 % des voix aux dernières élections législatives et le pays est aujourd’hui dirigé par une coalition instable du Parti démocrate et du parti de Silvio Berlusconi. Les marchés financiers sont à l’affût, prêts à augmenter leurs taux d’intérêt dès la moindre crise politique.

En Espagne, les remèdes de la Troïka et de Manuel Rajoy ont amené le peuple espagnol dans la même impasse dramatique que la Grèce.

Au Portugal, les 12 septembre 2012 et le 9 mars 2013, les plus grands manifestations d’Europe (l’équivalent de 11 millions de manifestants en France) ont freiné les sales plans de la troïka en faisant peur à l’oligarchie portugaise et à Angela Merkel ! « Un parfum de révolution des oeillets règne ». Pareil mouvement de tous les peuples européens est la seule solution !

L’Allemagne est elle « en avance » grâce aux mesures anti sociales de Gerhart Schroder comme l’a affirmé le Président Hollande au 150e anniversaire du SPD à Leipzig ?

L’Allemagne elle-même subit le poids de la récession avec une croissance limitée à 0,7 % en 2012. Au premier trimestre 2013, cette croissance n’est plus que de 0,1 %. Angela Merkel recueille les fruits de sa politique : la récession se généralise en Europe car le TSCG a généralisé l’austérité. L’Allemagne est le pays qui la plus forte dette d’Europe.

Elle ne trouve donc plus de clients pour exporter sa production en Europe mais aussi en Chine qui achète moins de machines-outils à l’Allemagne parce qu’elle peut moins vendre de produit de consommation à l’Union européenne.

Le faible taux de chômage de l’Allemagne trouve son explication dans deux facteurs qui ne sont pas vraiment positifs.

Le premier de ces facteurs est le non renouvellement des générations. Pour assurer le renouvellement des générations, le taux de fécondité doit être égal à 2,1 %, or il n’est que de l’ordre de 1,3 % à 1,4 % en Allemagne depuis plusieurs décennies. Très peu de jeunes allemands arrivent donc chaque année sur le marché du travail.

Le deuxième facteur d’explication et l’augmentation des « emplois atypiques » à 400 euros par mois (ou moins). Ces emplois sont maintenant 7,9 millions.

L’Allemagne, si elle suit le même chemin subira la même augmentation de ses taux d’intérêts. Et rien ne garantit que l’Allemagne ne suive pas le même chemin pour une raison très simple : plus de 50 % de ses exportations se font dans l’Union européenne. Si la récession se généralise en Europe (ce qui est le cas avec des politiques d’austérité menées simultanément), l’Allemagne n’y échappera pas. Pour le moment les marchés financiers se réfugient derrière les « réformes structurelles » c’est-à-dire la baisse du coût du travail. Mais cette baisse entraînera la baisse de la demande et finira par accentuer encore la récession.

Considérer que les pays européens pourront alors exporter leurs productions n’a guère de sens : qui achèterait ces production ? Les « classes moyennes » des pays émergents ? Il leur faudra déjà consommer l’augmentation de la production de leurs propres économies qui ne trouve plus d’acheteurs en Europe du fait de la généralisation de la récession. Les habitants des Etats Unis avec la politique d’euro cher et d’interdiction des aides publiques aux entreprises européennes alors que les Etats-Unis mènent une politique du dollar faible et aide leurs entreprises quand ils le jugent opportun ?

Le chômage augmente à pas de géant dans tous les pays qui ont à subir les « remèdes » de la Troïka

Le taux de chômage dépasse 27 % de la population active en Grèce et en Espagne, il atteint 17,5 % au Portugal et 15 % en Irlande. 26 millions de chômeurs en Europe !

Aucun peuple européen n’est à l’abri des plans de destruction sociale de la Troïka, des « conditionnalités » imposées par le Mécanisme européen de stabilité (MES : lequel, au passage, a été lui même « déclassé » de sa note « A » par les agences de notation) à tout pays qui demande l’appui de la BCE pour mettre fin à la spéculation des marchés financiers sur les taux d’intérêt de sa dette publique.

Gérard Filoche et Jean-Jacques Chavigné

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