Édition du 17 décembre 2024

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Syndicalisme

Éducation : N'oublions les humains derrière le palmarès

De toutes les choses que le gouvernement Legault pouvait imiter, le Palmarès annuel des écoles est possiblement la pire.

Nous le disons depuis des années : une école n’est pas une usine à fabriquer des diplômés ! C’est un milieu de vie où l’instruction s’incarne en différents visages. La classe est un écosystème bien particulier. Le ministre tente de mettre de l’avant une équation voulant que la qualité d’une école, d’une cohorte ou d’un prof soit directement reliée aux résultats de ses élèves ; cette perception est trop simpliste et relève d’une vision comptable et corporatiste à l’image du secteur des affaires qui ne colle pas à la réalité sur le terrain.

Soyons clairs : nous ne sommes pas contre la collecte et l’utilisation de données pour améliorer le réseau scolaire ! Il est important, pour parvenir à des décisions éclairées, qu’elles soient basées sur des informations fiables et utiles. Ce que le « tableau de bord » présenté hier par le ministre Drainville entend réaliser va cependant beaucoup trop loin.

Nier le facteur humain

D’abord, si on en croit le ministre Drainville, les données utilisées permettraient, à terme, d’identifier des classes ou même des élèves « à risque de décrochage » afin de fournir aux profs ciblés des « services » qui permettraient à leurs élèves de « vivre de la réussite  ». Il s’agit d’une attaque frontale à l’autonomie professionnelle des profs québécois, qui pourraient voir leur enseignement perturbé par de l’ingérence non sollicitée qui viendrait nier leur expertise et leur expérience au profit de « bonnes pratiques » ou de « recettes » prétendument efficaces. Les enseignantes et les enseignants pourraient se retrouver dans des situations où ils doivent constamment prouver et objectiver leurs actions. Des actions qui, très souvent, ne peuvent être mesurées ou quantifiées parce qu’elles impliquent un facteur humain qui ne se mesure pas et que les simples données ne peuvent expliquer.

De plus, il importe de ne pas écarter des facteurs encore plus importants  pour la réussite des élèves, soit les conditions de pauvreté et de l’insuffisance des ressources.

Les dérives de la compétition entre les écoles

L’idée de mettre en compétition des écoles les unes avec les autres pour une position dans un soi-disant « palmarès », basé notamment sur les résultats des élèves, ouvre la porte à des larges dérives de manipulation des résultats pouvant avoir des conséquences négatives sur les profs mais, surtout, sur les élèves. L’évaluation ainsi que leurs résultats à ces dernières ne sont pas des récompenses ou des punitions. Il s’agit de diagnostics factuels de ce qu’ils savent ou non, de ce qu’il leur reste à apprendre, à acquérir, pour obtenir peut-être un jour un diplôme qui vaut plus que le papier sur lequel il est écrit.

Pour un gouvernement qui se targue de suivre les bonnes pratiques en gestion, le projet de tableau de bord du ministre en oublie un principe phare : la loi de Goodhart, qui stipule que « lorsqu’une mesure devient un objectif, elle cesse d’être une bonne mesure. » Si le ministre croit que les directions, ou d’autres intervenants, vont se retenir de triturer les résultats scolaires afin de mieux paraître dans le grand palmarès national, c’est qu’il vit dans un monde bien éloigné du plancher des vaches... Rappelons au passage les nombreuses interventions qu’a dû faire la FAE au fil des années pour que cesse le « gonflage des notes » par les directions d’établissement.

Finalement, le tableau de bord du ministre Drainville ouvre la porte à la création de ghettos scolaires, où des parents se verraient mis devant le choix déchirant d’envoyer leurs enfants dans leur école de quartier où les résultats – selon les indicateurs sélectionnés par le ministère – sont mitigés, ou de déménager à quelques coins de rue où telle autre école se positionne mieux dans le sacro-saint palmarès officiel. Certes, cette situation se voit déjà dans certains milieux, mais le projet du ministre ne pourra faire autrement que d’en généraliser la pratique.

Renier les principes fondateurs de l’école publique

Il y a quelque cinquante ans, nous nous sommes collectivement dotés d’un système d’éducation public qui s’appuyait sur des principes de base auxquels nous croyons toujours : l’égalité des chances, l’accessibilité universelle, la gratuité, et l’éducation comme instrument d’émancipation.

De placer, officiellement et publiquement, des écoles, des classes ou des enseignantes les unes contre les autres avec un classement digne d’une ligue sportive témoigne d’un gouvernement qui renie ces principes fondateurs et dont l’utilitarisme avoué en question d’éducation est déplorable.

Écoutez l’entrevue de Mélanie Hubert à Radio-Canada.

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