Édition du 29 octobre 2024

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Monde du travail et syndicalisme

France - Indexation des salaires : une mesure économique nécessaire

Jonathan Marie, membre du collectif d’animation des Economistes atterrés, enseignant-chercheur en macroéconomie à l’université Sorbonne Paris Nord, défend la nécessité de restaurer l’indexation des salaires, mesure portée dans son programme par le Nouveau Front Populaire.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Le Nouveau Front Populaire fait de l’indexation des salaires sur l’inflation l’une de ses mesures phares. D’un point de vue politique, cette promesse fait sens car la baisse du pouvoir d’achat est un des motifs du vote en faveur de l’extrême droite, bien que celle-ci n’ait effectué aucune proposition sérieuse pour la contrecarrer.

La promesse de l’indexation est importante : elle indique aux travailleurs que les augmentations futures des prix n’auront pas les mêmes conséquences négatives sur leur pouvoir d’achat que celles enregistrées depuis 2021.

L’indexation des salaires est-elle pour autant justifiée économiquement ?

Oui, dans la situation économique actuelle qui n’est pas celle des années 1970 : le pouvoir de négociation des travailleurs est affaibli. Cet affaiblissement s’est accompagné d’une diminution de la part des revenus du travail dans le PIB, aujourd’hui à un niveau historiquement faible. L’inflation récente a encore accru cette distorsion.

L’indexation fournit dès lors un filet de sécurité : le pouvoir d’achat lié aux revenus du travail serait stabilisé par l’indexation, un mécanisme légal et automatique, alors que les travailleurs ont progressivement perdu la capacité d’obtenir collectivement, par la négociation, des augmentations de salaires. En soutenant ainsi le pouvoir d’achat, l’indexation réduit les risques d’une récession économique, qui s’accompagnerait d’une augmentation du chômage. L’indexation généralisée limite aussi la smicardisation de l’économie française (le rattrapage au niveau du Smic de nombreux salaires du bas des grilles de rémunération, car le Smic est lui indexé) : la Dares a évalué à la fin de 2023 que 17,3% des salariés français étaient rémunérés au Smic, contre 12% en 2021 et 14,5% en 2022.

L’indexation est une mesure défensive : ce n’est pas elle qui provoque l’augmentation des prix. Il n’y a donc pas lieu de craindre une fameuse boucle prix-salaires. D’ailleurs, les économies européennes comme la Belgique, qui ont conservé contrairement à la France une indexation généralisée, n’ont pas connu de trajectoire inflationniste foncièrement différente depuis 2021 [1].

L’indexation se justifie aussi sur un horizon de plus long terme par le fait que l’inflation récente est due à des évènements externes, en particulier la difficile reprise de la production mondiale après la crise sanitaire et les évènements géopolitiques comme la guerre en Ukraine. Ces chocs de prix peuvent s’accompagner de boucles prix-profits, révélant que les plus grandes entreprises sont en mesure d’augmenter leurs profits.

L’inflation est surtout liée à la trop forte dépendance de nos économies à la globalisation. Cette dépendance excessive s’exprime aussi par les pénuries de médicaments, ou par les dégâts environnementaux liés aux transports des marchandises au long cours. Réduire la probabilité que de nouvelles vagues inflationnistes se produisent nécessite donc de relocaliser certaines activités et de limiter la dépendance aux matières premières importées (notamment énergétiques). Cette évolution doit se faire en articulation avec les impératifs écologiques. Elle requiert des investissements massifs, publics comme privés, qui doivent être financés. Pour cela, la politique monétaire de la Banque centrale doit être accommodante, menée de manière à limiter le niveau des taux d’intérêt directeurs. Or, la BCE a répondu à l’inflation récente en augmentant les taux d’intérêt, affaiblissant la possibilité de financer les investissements indispensables à la bifurcation. Elle veut freiner l’inflation par le ralentissement de l’économie : comme les salariés sont moins en mesure d’obtenir des hausses de salaires, à cause de la montée du chômage, les entreprises sont moins tentées d’augmenter les prix si la demande se trouve réduite. Mais les causes structurelles de l’inflation ne sont pas corrigées : de nouvelles augmentations des prix des biens importés provoqueront à nouveau des vagues inflationnistes !

Une telle politique monétaire serait justifiée, selon ses promoteurs, par le fait que l’inflation doit être combattue pour limiter les pertes de pouvoir d’achat. Mais si les salaires sont indexés, comme on l’a déjà écrit, les effets sur le pouvoir d’achat des travailleurs sont amortis et l’argument en faveur d’une politique monétaire qui génère de la stagnation économique et du chômage, et qui est contradictoire avec les financements des investissements écologiques, tombe.

L’indexation des salaires est alors aussi légitimée par le fait que c’est une mesure qui s’articule avec la bifurcation écologique qui requiert, pour être financée, une politique monétaire qui n’ait pas pour objectif de créer du chômage pour lutter contre l’inflation. La transformation de nos modes de production et de consommation pourrait générer ponctuellement des tensions inflationnistes qui ne doivent pas peser sur les salariés. Attaquer sérieusement les causes de l’inflation exige bien des mesures de réduction de la dépendance aux importations, pas une politique monétaire restrictive.

L’indexation des salaires est un outil légal de défense des revenus du travail. L’indexation des salaires est actuellement prohibée par le code monétaire et financier (voir les articles L.112-1 à L112-4). Modifier ce cadre règlementaire et légal pour indexer les salaires réduirait la capacité des dirigeants des entreprises à augmenter leurs profits au détriment des revenus du travail en cas de choc de coût sur les importations. Activer cette possibilité est nécessaire car l’inflation est toujours l’expression de rapports sociaux concernant la répartition du revenu. A fortiori dans les périodes de fortes turbulences économiques et sociales comme actuellement, le libre fonctionnement du marché n’est pas en mesure de stabiliser le pouvoir d’achat et de faciliter une répartition moins injuste socialement. C’est à la politique macroéconomique et sociale d’exercer cette fonction d’autant plus indispensable que, dans un monde soumis au changement climatique, l’inflation pourrait être durablement plus élevée que les niveaux auxquels on s’était habitué depuis les années 1990.

Pour maintenir le pouvoir d’achat des travailleurs et permettre le financement d’un réel engagement contre les dégradations environnementales, l’indexation des salaires est un instrument de la politique économique qui doit être activé et qui limitera les effets des contraintes de tous ordres que va imposer la nécessaire bifurcation écologique.

[1] Selon Eurostat, si en mai 2024 le taux d’inflation estimé par l’IPCH est de 4,9 % en Belgique contre 2,6 % en France comme dans la zone Euro, en moyenne depuis janvier 2022, l’inflation a été de 6,16 % en rythme annuel chaque mois dans la zone Euro pour 5,88 % en Belgique et 5,27 % en France.

https://blogs.mediapart.fr/les-economistes-atterres/blog/250624/indexation-des-salaires-une-mesure-economique-necessaire

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