Tiré de Ma CSQ cette semaine.
En début de semaine, le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a lancé avec fierté son « Tableau de bord en éducation ». Bonne ou mauvaise initiative ? La réponse courte pourrait être : ça dépend de l’objectif poursuivi et de l’usage qui en sera fait. Attention de ne pas s’égarer en chemin !
Pour le moment, les données présentées dans le tableau de bord étaient pour la plupart déjà disponibles, mais éparpillées et difficiles à trouver. Le tableau de bord a donc au moins le mérite de les rassembler en un seul endroit. Ce n’est pas sans rappeler la belle époque où l’on pouvait recevoir chaque année le cahier des indicateurs de l’éducation de la part du ministère. Selon les dires du ministre Drainville, l’information disponible serait enrichie au fil du temps, ce qui pourrait s’avérer utile pour affiner nos perspectives sur le réseau.
Se baser sur les faits et non sur les perceptions
Le besoin d’informations pour mieux connaitre les défis auxquels fait face le système d’éducation est reconnu depuis longtemps. C’est essentiel pour orienter les décisions du ministre de l’Éducation, tout comme celles des centres de services scolaires (CSS) et des établissements d’enseignement.
L’accès aux données pour la recherche est tout aussi fondamental pour raffiner la compréhension des enjeux de l’éducation. Cet accès a été amélioré il y a quelques années grâce aux services d’accès aux données de recherche de l’Institut de la statistique du Québec, qui comprennent les données de l’éducation[1]. Ce meilleur accès pour les chercheurs, combiné au tableau de bord en éducation, contribue assurément à une plus grande transparence.
Cela étant dit, l’accès à des données est pertinent dans la mesure où il permet une plus grande connaissance et une meilleure compréhension des phénomènes.
Les dangers de comparer
D’aucuns diront que comparaison rime avec amélioration, mais cela rime aussi avec compétition et pression, avec tous les revers que cela peut avoir pour l’éducation, pour les gens qui y travaillent, pour les élèves et leurs parents. Si l’on ne fait pas attention, le nouveau tableau de bord du ministre de l’Éducation pourrait causer plus de tort que de bien.
Cette crainte est à mettre en relief avec l’adoption récente de nouvelles dispositions législatives qui font en sorte que les directions générales des centres de services scolaires seront dorénavant nommées sur recommandation du ministre, qui obligent les CSS à conclure des ententes annuelles de gestion et d’imputabilité et permettent au ministre de renverser une décision d’un CSS, s’il est d’avis que cette décision n’est pas conforme aux cibles, aux objectifs et aux orientations qu’il établit.
Le retour de la « gestion axée sur les résultats »
Tout est en place pour inciter fortement les gestionnaires du réseau de l’éducation à démontrer qu’ils « ont de bons résultats » dans le tableau de bord. Plus la pression pour atteindre des cibles de réussite est forte, plus on pousse à de mauvaises pratiques. Il n’y a alors qu’un pas à franchir pour orienter le travail des enseignantes et enseignants vers l’évaluation, plus que vers l’apprentissage, ou encore pour faire pression afin qu’ils modifient leurs notes de manière à avoir de « bons chiffres » pour le tableau de bord, entre autres exemples.
Finalement, pour reprendre les mots d’un chercheur qui a abondamment étudié ce type de gestion en éducation, Christian Maroy, « l’école n’est plus définie comme une institution qui est un milieu de vie, mais comme une organisation mobilisée sur des résultats[2] ».
Les « bonnes écoles » ou les « mauvaises écoles »
La crainte de voir primer la compétition et la pression par la lorgnette du tableau de bord est aussi soutenue par l’idée lancée par le ministre d’instaurer éventuellement un palmarès des écoles. Les limites de ce genre d’exercice ont maintes fois été démontrées. Cela ne permet pas de prendre en compte les défis fort différents auxquels font face les écoles et ne rend pas justice aux efforts et au travail effectué pour soutenir la réussite de toutes et tous, peu importe sa condition personnelle et sociale. Pour certaines équipes-écoles, cela peut avoir un effet profondément démobilisant.
Un palmarès ne ferait qu’encourager une compétition malsaine entre les écoles. Offrir quelques données quantitatives disparates aux parents, est-ce la meilleure façon de leur fournir l’information sur l’éducation de leurs enfants ? En quoi cela permet de vraiment connaitre le milieu scolaire ?
Inviter les parents à consulter le projet éducatif de l’école et à s’impliquer davantage au sein de celle-ci peut leur permettre d’obtenir une information beaucoup plus riche. Cela permet de s’approprier les valeurs mises de l’avant, de comprendre le contexte dans lequel l’école évolue, les grandes orientations en matière d’instruction, de socialisation et de qualification, ainsi que les objectifs qui guident le travail de l’équipe-école.
En résumé, des écoles plus transparentes et des décisions mieux éclairées par les faits, c’est oui. Une pression accrue sur les milieux et un détournement des données en vue de placer les écoles en compétition les unes avec les autres, c’est non. Espérons que le ministre n’ira pas de l’avant avec ce projet de palmarès. À ce dernier, qui s’étonne que cette idée soit dénoncée par les partenaires du réseau de l’éducation ce serait peut-être une bonne idée d’entamer un dialogue avec eux pour mieux comprendre leurs réticences.
Notes
[1] Les données de l’éducation maintenant disponibles pour les chercheurs (statistique.quebec.ca)
[2] JARRAUD, François (2021). « Christian Maroy : l’école à l’épreuve du pilotage par les résultats », Le Café pédagogique [En ligne] (1er mars). [cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2021/03/01032021Article637501796627464444.aspx].
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