Édition du 19 novembre 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet du 2 novembre

Les résistances sociales, la morosité et les Carrés rouges … en Europe

De passage en Europe la semaine passée, j’ai été frappé par le portrait grave et sans complaisance présenté lors d’un colloque pour « repenser l’émancipation ». Des camarades français, suisses, grecs, belges, anglais, portugais étaient là pour expliquer l’intensité des attaques contre les classes populaires, notamment contre les jeunes, les retraités et les immigrants. On connaît les indicateurs de cette crise (taux de chômage de 50 % pour les jeunes, coupures de budget de 20 sinon de 40% dans les services publics, augmentations de taxes et d’impôts, etc.). Mais ce qui m’a saisi est l’ambiance d’impasse politique qui semble sévir partout.

Au premier plan, il y a la montée d’une « nouvelle » droite beaucoup plus agressive qu’avant. Cette « nouvelle » droite n’est pas si « nouvelle » que cela, mais elle inclut maintenant ce qui était considéré il n’y a pas si longtemps comme des fascistes pestiférés. Ainsi en France, le Front national est en train de devenir « respectable ». Aux Pays-Bas et dans les pays scandinaves, l’extrême-droite se « relooke », en laissant de côté les aspects sulfureux (antisémitisme, militarisme), pour se présenter comme LA force capable de rétablir « la loi et l’ordre ». Et ça marche souvent avec des scores qui vont du 15 au 25 %. Ces formations restent aussi extrêmes sur leurs objectifs fondamentaux et représentent un adversaire redoutable pour les mouvements sociaux et la gauche.

Mais la montée de la droite, c’est aussi dans les partis politiques anciennement du « centre » ou du « centre-droit », comme l’UMP (France), les conservateurs et les libéraux en Angleterre, le CDU en Allemagne, etc. Ces partis qui ont été grosso modo « keynésiens » fonctionnaient sur la base de compromis avec l’opposition social-démocrate, mais maintenant, on passe à autre chose. Sous Sarkozy, cette droite « ordinaire » s’est démarquée avec des politiques antipopulaires et de nouveaux dispositifs pour punir, surveiller, contrôler (proches du néo-conservatisme états-unien ou canadien). Dans ce climat de confrontation, c’est toute une architecture de pouvoir héritée du cadre de l’après-guerre qui est en train d’être liquidée. Tout cela, au nom du rétablissement de l’économie, une économie saignée à blanc par la financiarisation et les opérations spéculatives toutes teintées de haute corruption menées par une bourgeoisie mondialisée d’une arrogance sans limite.

Avec tout cela, l’ancienne social-démocratie est littéralement effondrée. C’est « réglé » en Espagne, en Italie et en Angleterre où ces partis recyclés dans le néolibéralisme ont été honteusement battus aux élections des dernières années, pas tellement parce que la droite a avancé, mais parce que les électeurs et les électrices de la social-démocratie ont déserté. Certains sont allés vers la « gauche de la gauche » ou aux Verts, d’autres vers la droite populiste, beaucoup ont tout simplement pris le chemin de l’abstention. La droite réussi à « gagner » avec 25-30 % de l’électorat, en jouant à plein sur les registres du populisme réactionnaire et en profitant de la scandaleuse connivence des médias.

Reste la France, pays des luttes sociales et de l’activisme politique. Comme chacun sait, c’est le Parti Socialiste (PS) qui a gagné les récentes élections, mais de justesse. Beaucoup de gens ont voté par rejet de la voyoucratie de Sarkozy. Mais avant l’élection, François Hollande et les autres ténors du PS disaient qu’ils allaient gouverner « correctement », en respectant l’orthodoxie néolibérale. Et c’est effectivement ce qui arrive. Le PS fait à peu près la même chose que les autres gouvernements en Europe, sauf quelques mesures pour sauver l’honneur, comme des augmentations d’impôts pour le 1 %. Mais la presse « financière » se moque de cela en disant que de toute façon, dans le contexte de l’Union européenne, ces mesures sont sans effet puisque les ultra-riches vont déplacer leur fric ou leurs sièges sociaux dans des paradis fiscaux ou simplement dans le pays d’à côté où les taux de taxation sont plus bas. Depuis son intronisation, Hollande ne cesse de dire une chose et son contraire. Cela ne vous rappelle-t-il pas quelque chose ???

Vous allez dire que je ne suis pas réjouissant, mais attendez, je n’ai pas fini ! Presque partout, des coalitions de gauche (la « gauche de la gauche ») ont été mises en place en Allemagne (Die Linke), aux Pays-Bas (Parti socialiste), au Portugal (Bloc de gauche) et en France où existent deux partis, le NPA et le Front de gauche (FG). Au début prometteuses, ces initiatives sont actuellement dans une mauvaise passe. En Allemagne, les classes populaires et moyennes votent « utile », donc pour l’ancienne social-démocratie, en espérant que cela sera moins pire ! En France, le NPA se déchire à la suite de chicaneries internes pendant que le FG peine à se démarquer de l’image négative associée au Parti communiste (une des composantes du FG). La présence électorale stagne, les adhésions aussi, de même que la capacité d’intervenir dans les luttes. Au Québec, on dirait simplement, « ça va mal à la shop »…

Bon, est-ce la fin du monde ? Pas vraiment, même si une certaine odeur de catastrophe se fait sentir un peu partout, et qui rappelle les années où l’Europe s’est engouffrée dans une série d’apocalypses (et dont elle s’est sortie finalement). Il y a quand même d’autres scénarios et surtout d’autres projets en cours. D’abord, les mouvements sociaux restent forts, y compris des organisations plus traditionnelles comme les syndicats qui sont capables de temps en temps de « monter au front », comme on l’a vu en France il y a à peine deux ans, et maintenant en Grèce et en Espagne. Et il y a les mouvements sociaux de plus récente génération, comme les indignados en Espagne, capables de saisir l’opinion populaire, sans compter l’innombrable galaxie des altermondialistes et des écologistes qui font de « petites » batailles qui sont souvent « grandes » de leurs impacts et de leur effets d’entraînement. C’est particulièrement frappant sur le plan de l’environnement où des coalitions inédites réussissent à bloquer de démentiels « projets de développement ». On observe aussi le renforcement des mouvements des « sans » (sans papier, sans abri, sans droit) qui sont également des mouvements des immigrantEs qui résistent de plus en plus aux pratiques répressives et qui réussissent à gagner la sympathie de secteurs de plus en plus larges de la population.

Sur le plan politique, malgré la morosité ambiante, ça travaille fort. Beaucoup de gens ont les yeux tournés vers Syrisa en Grèce, devenu le deuxième parti de ce pays. Cette formation relativement nouvelle a surmonté bien des clivages et a coalisé non seulement le mécontentement mais une nouvelle volonté de s’organiser. Est-ce une tendance ou une exception, il est tôt pour le dire. Voyons voir ce que feront prochainement les Français (toujours champions en politique) pour requinquer leurs coalitions de gauche.

Pour terminer et cela pourra vous réchauffera le cœur : devinez ce qui inspire une grande quantité de militantEs en Europe en ce moment ?!?! Si vous cherchez, ne cherchez pas trop, car ce sont les Carrés rouges, la grève étudiante qui a gagné (il faut le dire), la montée de Québec Solidaire, la résistance contre le gaz de schiste, et tant d’autres choses. Tout cela est maintenant largement connu et j’oserais dire, admiré à une échelle que je n’aurais pas soupçonnée ! Aux touristes traditionnels, attendez-vous à voir des futéEs ou des morduEs de la politique qui vont vous visiter et essayer de comprendre « comment on fait cela »…

Tant mieux pour nous !

Bien que, si on y pense, il faudra se forcer encore plus et aller plus loin pour ne pas être relégués par le tourbillon de l’histoire ! C’est possible …

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