Édition du 7 mai 2024

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Asie/Proche-Orient

Le David palestinien contre le Goliath israélien

On assiste à un énième rebondissement du conflit israélo-palestinien avec toujours les mêmes constantes : colonisation israélienne en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, isolement de Gaza par le blocus maritime israélien et la misère que de ce fait doit endurer la population gazaouie et finalement la répression brutale par les autorités militaires d’occupation israéliennes des mouvements de contestation dans les territoires occupés.

La classe politique d’Israël y tire le tapis de sous les pieds des Palestiniens et Palestiniennes dans un implacable agrandissement des colonies de peuplement dans la zone C de Cisjordanie (un peu plus de 60% du pays). La faible Autorité palestinienne qui contrôle la modeste zone A en est réduite à jouer le rôle de témoin impuissant et souvent même de collaborateur avec le gouvernement de Tel-Aviv pour sauvegarder sa précaire position.
Évidemment, les puissances occidentales dans leur ensemble et les sionistes en tout genre vouent aux gémonies les mouvements islamistes palestiniens ennemis de leur protégé israélien. En ce moment, on diabolise le Hamas, responsable de l’offensive du 7 octobre dernier. Pour éviter de paraître raciste et aussi pour faire semblant de sympathiser avec la population gazaouie, on fait une distinction tranchée et assez factice entre le mouvement islamiste et cette dernière. Cela évite aussi de considérer le Hamas comme un authentique mouvement de résistance nationale.

Il faudrait nuancer. La résistance palestinienne a adopté plusieurs visages au cours de son existence : tout d’abord plutôt laïque avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) de Yasser Arafat, surtout basée dans les camps de réfugiés du Liban, ensuite, après les Accords intérimaires d’Oslo (1993), son influence s’est étendue en Cisjordanie, en particulier à Ramallah. Avec l’échec des pourparlers entre Arafat et le gouvernement de Benjamin Netanyahou, il y eut une seconde intifada, armée celle-là septembre septembre 2000- juin 2005). Elle s’est soldée par un échec pour l’essentiel du soulèvement palestinien, en partie à cause de l’appui occidental à l’État hébreu, surtout américain.

En août 2005, Israël évacue la bande de Gaza et en juin 2007, le Hamas y prend le pouvoir après des affrontements meurtriers avec le Fatah de Mahmoud Abbas, ce qui consacre la fracture de la Résistance palestinienne entre laïcs et intégristes. S’en est ensuivi l’établissement du blocus israélien qui perdure depuis. Le Hamas la gouverne depuis, ce qui a valu à ce minuscule territoire un blocus dur et constant de la part de Tel-Aviv.
Pendant ce temps, au mépris de l’esprit des Accords d’Oslo, la colonisation israélienne se poursuivait à marches forcées en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Le dépit et le désespoir grandissaient en proportion chez la population palestinienne. À Gaza, l’influence du Hamas croissait ; les mouvement islamiste n’éprouvait guère de difficultés à y recruter des militants et militantes.

Aussi, affirmer comme plusieurs le font aujourd’hui qu’il convient de distinguer le Hamas de la population de Gaza apparaît comme un raccourci commode et malhonnête sur le plan intellectuel comme politique. Vu la misère et l’avenir bloqué qui frappent sa population, en particulier les jeunes, le Hamas a garni ses rangs de combattants sans trop de difficultés. Comme toutes les organisations de résistance au cours de l’histoire, l’aile militaire du Hamas se fond dans la population "comme un poisson dans l’eau", selon l’expression devenue célèbre utilisée par Mao Zedong. Le Hamas compense son infériorité militaire par la guérilla et la dissimulation de ses groupes de combattants au sein de la population. Une vieille tactique révolutionnaire.

Est-ce à dire que le Hamas représente tous les Gazaouis et Gazaouies ? Pas nécessairement. Sur ce point capital, les attitudes de la population de Gaza sont sans doute variées. Plusieurs jeunes ayant rejoint les rangs de la milice du Hamas l’ont sans doute fait davantage pour lutter contre Israël et alléger le blocus que ce pays leur inflige que par fanatisme religieux. D’autres gazaouis n’apportent au Hamas qu’un appui modéré, certains s’opposent sans doute même au mouvement islamiste sur le plan idéologique mais n’osent pas le dire trop haut. Comme on le voit, il existe toute une gradation dans l’appui des Gazaouis face au Hamas. Si un sondage mené librement et dans toutes les règles de l’art pouvait être mené à Gaza, il nous réserverait sans doute bien des surprises...

Au fanatisme du Hamas et du Djihad islamique (les deux organisations sont à la fois alliées et concurrentes à Gaza), répond celui de la plupart des classes politiques occidentales en faveur d’Israël. S’il existe bel et bien une intransigeance islamiste vis-à-vis de l’État hébreu, c’est pareil des gouvernements occidentaux à l’endroit des Palestiniens et Palestiniennes. Au-delà des beaux mots, ils n’ont jamais rien fait pour obliger les décideurs et décideuses politiques israéliennes à négocier de bonne foi avec les représentants palestiniens. Par contre, ils ont toujours soutenu Israël dans toutes ses confrontations avec les Palestiniens, ceci avec une intensité variable mais qui ne s’est jamais démentie sur le fond.

Cette politique rigide et intraitable ( il suffit d’examiner l’attitude de Biden en ce moment) fait partie du problème au même titre, et même plus encore que le fanatisme islamiste. Les deux se répondent en quelque sorte. Il importe donc de repenser la politique occidentale à ce sujet.

Il existe une vérité de base en politique : on ne choisit pas ses adversaires, on doit composer avec eux. Un minimum de réalisme conduit à négocier au moins avec la partie la plus représentative et la plus forte du camp adverse. Il s’agit d’une condition essentielle pour parvenir à la paix. Essayer d’imposer à l’autre une délégation de complaisance ne peut mener qu’à un blocage et à une perpétuation du conflit. Il faut éviter de confondre entente et capitulation.

Ainsi, la plupart des gouvernements occidentaux ont longtemps boycotté l’Organisation de libération de la Palestine sous prétexte que la centrale palestinienne ne reconnaissait pas formellement "le droit à l’existence" de l’État hébreu. Elle a finalement accédé aux exigences américaines, dont celle de la "renonciation au terrorisme". Il est vrai qu’Arafat, après le début des négociations en septembre 1993 a remis les pendules à l’heure à Washington en distinguant opportunément les notions de "terrorisme" et de droit à la résistance armée.

Les groupes islamistes occupent de nos jours une place importante en Cisjordanie et le Hamas gouverne à Gaza, comme résultat du machiavélisme israélien qui essayait de marginaliser le Fatah de Mahmoud Abbas, plus laïc et plus ouvert aux compromis, donc plus en mesure d’enlever des prétextes à Netanyahou pour poursuivre sur sa lancée colonisatrice.
On peut donc affirmer que l’extrême-droite juive sous la gouverne de Netanyahou a singulièrement renforcé son pendant islamiste dont le fanatisme lui donnait un parfait prétexte pour se refuser à tout compromis territorial. Il en résulte maintenant un "retour du boomerang" dans le front du lanceur.

Il faut en déduire que les organisations islamistes sont devenues au fil des ans des actrices incontournables sur l’échiquier compliqué du face-à-face israélo-palestinien, que ça plaise ou non.

Les politiques simplistes et intransigeantes ont ceci de paradoxal qu’elles aboutissent à embrouiller les enjeux et à en retarder la solution. Par exemple, si Washington et les grandes capitales occidentales avaient reconnu dès la décennie 1980 l’OLP comme interlocuteur privilégié et entamé des négociations sérieuses avec Arafat, on se débattrait pas dans l’impasse sanglante actuelle. Rien n’indique que cette dernière ne se reproduira pas si les gouvernements occidentaux, surtout celui des États-Unis ne changent pas de cap dans ce dossier. En dépit de la riposte israélienne, le Hamas, qui possède des racines populaires indéniables, ne pourra être anéanti, en dépit de ses pertes.

On doit donc remettre en cause l’appui inconditionnel à Tel-Aviv. Une politique plus équilibrée s’impose, comme l’avait déjà souligné Arafat à l’ONU. Il est certainement possible de procéder à un tri entre "le bon grain et l’ivraie" au sein des groupes islamistes pour intégrer les éléments les plus modérés à de futures négociations. De même, il convient de faire pression sur Tel-Aviv pour que le gouvernement cesse ses mesures vexatoires contre les Palestiniens et Palestiniennes et surtout sa colonisation.

Dans toute cette histoire explosive, les États-Unis sont à la fois juge et partie, ce qui sabote au départ toute tentative de résolution du conflit. Ils veulent conserver "la haute main" sur ce dossier. À moins d’un changement radical de l’orientation pro-israélienne de Washington, on voit mal comment les Palestiniens pourront obtenir un règlement satisfaisant de leur contentieux avec Israël, sauf si certains des alliés des États-Unis arrivent à convaincre la présidence de modifier son soutien quasi aveugle à l’État hébreu, ce qui paraît peu probable, du moins dans un avenir prévisible vu que les classes politiques occidentales partagent pour l’essentiel le sionisme américain. Peut-être que l’opinion publique dans plusieurs pays occidentaux, de plus en plus critique à l’endroit d’Israël, n’oblige ses dirigeants et dirigeantes à adopter une certaine distance critique vis-à-vis de Tel-Aviv ; ou qu’il se produise des événements majeurs imprévus qui bousculeraient la Maison-Blanche et l’obligeraient à réviser sa position dans ce dossier. Devinez juste !

Il y a fort à craindre que les affrontements Israël-Palestine ne reprennent après un certain temps.

Mais je veux terminer ce commentaire par le citation suivante : "Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer" (Guillaume d’Orange).

Jean-François Delisle

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