Édition du 7 mai 2024

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Brésil

OGM et violence : l’entreprise agrochimique suisse Syngenta sur la sellette

Un paysan sans terre a été tué par un garde de la société suisse. Il protestait contre l’usage d’OGM dans une zone protégée. Selon le gouverneur du Paraná et les mouvements sociaux, Syngenta devrait quitter le pays.

Le 21 octobre 2007, une milice privée est intervenue violemment sur un site d’expérimentations transgéniques de Syngenta-Brésil. Résultat : deux morts, un des assaillants et le dirigeant du Mouvement des travailleurs ruraux sans terres (MST) Valmir Mota de Oliveira « Keno » (lire ci-dessous). Avec d’autres paysans, dont certains furent blessés lors de l’affrontement, « Keno » participait à l’occupation d’un site appartenant à la succursale brésilienne de la société suisse Syngenta, à Santa Tereza do Oeste (à 540 kilomètres de Curitiba, dans l’Etat méridional du Paraná). Après ces événements tragiques, l’entreprise agrochimique suisse – numéro trois mondial des semences commerciales – se retrouve sur le banc des accusés. Le 26 octobre dernier, les mouvements sociaux brésiliens ont demandé expressément à Syngenta de quitter le Brésil en l’accusant d’être responsable de crimes humains et écologiques.

Militante dans le coma

D’après divers organismes brésiliens de défense des droits humains, les événements se sont déroulés ainsi. Dimanche 21 octobre, un groupe de 150 paysans du MST et de la Via Campesina occupent au petit matin un domaine appartenant à Syngenta pour dénoncer la culture illégale de semences transgéniques de soja et de maïs et l’impunité dont bénéficie l’entreprise. Six heures plus tard, peu après midi, une quarantaine de membres d’une milice privée arrivent en voiture sur les lieux. De sang-froid, ils assassinent de deux balles en pleine poitrine « Keno » et blessent quatre autres paysans. Egalement blessée de trois balles et battue sauvagement par les vigiles, Izabel Nascimento de Souza se trouve aujourd’hui dans le coma, entre la vie et la mort. Deux autres dirigeants du MST, qui avaient pu se cacher, ont échappé à la mort.

Ces événements relèvent de la chronique d’un assassinat annoncé. Trois jours auparavant, le 18 octobre, une délégation de la Commission des droits humains et des minorités du Congrès brésilien avait participé à une audience publique à Curitiba. Cette séance avait pour but de prendre connaissance des dénonciations relatives à l’action de milices privées dans le Paraná.

Syngenta et ses milices

Selon la Commission de la Pastorale de la Terre – liée à l’Eglise catholique du Brésil – le Paraná détient le record brésilien, pour l’année 2006, du nombre des conflits pour la terre (76). Les grands propriétaires fonciers, regroupés au sein de l’Union démocratique rurale et de la Société rurale de l’Ouest, « organisent des groupes paramilitaires camouflés en entreprises de vigiles pour effectuer des expulsions illégales, menaçant quotidiennement la vie des travailleurs ruraux et créant un climat de terreur dans l’Etat de Paraná », affirme un rapport rédigé par l’ONG Terre de droits et la Pastorale de la Terre. Ce document avait été analysé par la commission parlementaire lors de sa séance spéciale tenue à Curitiba.

Menaces en juillet

Bien que Syngenta nie que les employés de la société de vigiles présents sur son champ expérimental aient l’autorisation d’être armés, sa responsabilité a déjà été engagée lors de faits similaires. Le 20 juillet, dans la même localité, diverses familles habitant le campement du MST ont été « gravement menacées par des vigiles fortement armés, engagés par la multinationale Syngenta », indique le rapport susmentionné. Selon la plainte déposée par les familles auprès de la police, « les vigiles de l’entreprise Syngenta envahirent le terrain et y restèrent environ quarante minutes », en tirant des balles de gros calibre.
Six des exigences présentées par les plaignants aux autorités législatives durant la session du 18 octobre à Curitiba se sont avérées prémonitoires. Le texte demandait notamment qu’une enquête impartiale soit menée sur la formation et l’engagement de ces milices privées et sur l’origine des armes en leur possession...

Pesticide mortel et semences stériles

(Sergio Ferrari & Benito Pérez)

Le conflit entre Syngenta et les organisations sociales n’est pas limité au seul Brésil. L’une des pierres d’achoppement est constituée par le Paraquat, un herbicide extrêmement toxique, vendu par Syngenta dans plus de 100 pays. Commercialisé sous le nom générique de Gramoxone, ce produit représente une part importante des bénéfices réalisés par la transnationale bâloise, numéro un mondial des produits phytosanitaires. Née en 2000 de la fusion des divisions agrochimiques de Novartis et du consortium anglo-suédois AstraZeneca, Syngenta a déclaré en 2006 un bénéfice net avoisinant les 900 millions de dollars.

Or, au dire de nombreuses ONG, cet « herbicide non sélectif » serait non seulement dangereux pour l’environnement, mais aussi pour les personnes et serait même à l’origine de « milliers de morts ». Depuis cinq ans, une campagne internationale demande le retrait du Paraquat. Sans grand succès.

Signe clair d’expansion, Syngenta vient d’ouvrir de nouvelles installations en Chine. Actuellement, seuls une dizaine de pays ont interdit ou limité sévèrement l’usage de l’herbicide contesté.

En mai 2007, plusieurs organisations asiatiques, africaines et européennes ont présenté une dénonciation contre Syngenta auprès des Nations Unies pour non respect du code de conduite édicté par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO, sigles en anglais). Son article 3.5 appelle en effet à éviter l’usage de certains pesticides extrêmement toxiques. En juillet 2007, la Cour européenne de justice s’est à son tour prononcée contre l’utilisation de ce produit.

L’autre pomme de discorde entre les ONG et Syngenta concerne les recherches menées par la société suisse sur les plantes transgéniques dites « Terminator ». En mars 2006, une vingtaine d’organisations paysannes, de coopération et environnementales exigeaient dans une lettre adressée au Conseil fédéral qu’il s’engage pour leur interdiction à l’échelle mondiale. « Stériles », ces semences ne permettent qu’une seule récolte, rendant ainsi le paysan dépendant de son fournisseur. « L’unique objectif de cette technologie vise à dominer le marché des semences et à assurer le contrôle de l’alimentation mondiale... ce qui implique une violation du droit humain à l’alimentation », écrivaient alors les ONG.

Au même moment, la technologie Terminator faisait l’objet de débats et de réflexions, lors de la 8e conférence de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique, tenue précisément à Curitiba, au Brésil. Pour l’occasion, le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST) et la Via Campesina avaient déjà occupé symboliquement des sites de Syngenta à Santa Tereza do Oeste pour protester contre « la semence illégale de soja et de maïs transgéniques », comme l’a rapporté Swissinfo. La tension entre le MST et la Syngenta portait alors sur 120 hectares plantés de semences expérimentales, se trouvant dans la zone protégée du Parc national Iguazú. Fin 2006, le gouverneur de l’Etat du Paraná avait décrété l’expropriation de ces terres et l’Institut brésilien de l’environnement infligé une amende d’un demi million de dollars à la multinationale suisse pour avoir violé la loi.

Des recours juridiques, des campagnes publicitaires et des offensives médiatiques ont jusqu’ici permis à Syngenta d’échapper aussi bien aux procédures judiciaires qu’aux ordres d’expropriation.


RISAL - Réseau d’information et de solidarité avec l’Amérique latine
URL : http://risal.collectifs.net/

Source : Le Courrier (http://www.lecourrier.ch/), Genève, 3 novembre 2007.

Mots-clés : Brésil Écologie

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