Édition du 7 mai 2024

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Écosocialisme

Le Red Deal : une action autochtone pour sauver la Terre

Le livre The Red Deal : Indigenous Action to Save our Earth est un manifeste et un mouvement issu de la résistance autochtone et de la lutte décoloniale pour libérer tous les peuples et sauver notre planète. Écrit par le collectif autochtone The Red Nation et lancé en 2019, Le Red Deal : une action autochtone pour sauver la Terre est un programme politique pour la libération et la justice climatique qui émerge de la plus ancienne lutte de classe des Amériques, la lutte des peuples autochtones pour gagner leur souveraineté, leur autonomie et leur dignité.

29 novembre 2022 | tiré des Nouveaux Cahiers du socialisme
https://www.cahiersdusocialisme.org/le-red-deal-une-action-autochtone-pour-sauver-la-terre/

Le texte suivant est une version condensée de l’introduction du livre [1]. Elle a paru en français sur le site de Progressive International [2] au mois d’avril 2021.

Le colonialisme a privé les peuples autochtones, et toutes celles et ceux qui en sont affectés, des moyens de se développer selon leurs besoins, leurs principes et leurs valeurs. Cela commence par la terre. Nous sommes devenus des « Indiennes et des Indiens » uniquement parce que nous possédons le bien le plus précieux pour les colons : la terre. Le justicier, le policier et le soldat se dressent souvent contre nous, contre nos liens avec la terre et contre la justice. La « restitution de la terre » fait peur aux colons. Mais comme nous le montrons ici, il s’agit de la politique environnementale la plus saine pour une planète qui est au bord de l’effondrement écologique total. La voie à suivre est simple : c’est la décolonisation ou l’extinction. Et cela commence par la restitution des terres.

En 2019, le mouvement environnemental dominant, largement entre les mains des libéraux des classes moyennes et supérieures du Nord global, a adopté comme leader symbolique une adolescente suédoise qui a traversé l’Atlantique en bateau pour rejoindre les Amériques. Mais nous avons nos propres héroïnes et héros. Les protectrices et les protecteurs de l’eau à Standing Rock ont inauguré une nouvelle ère de défense militante de la terre. Ces femmes et ces hommes sont les porte-drapeaux de notre génération. L’année des protecteurs de l’eau, 2016, a également été l’année la plus chaude jamais enregistrée, et elle a enclenché un autre type de mouvement pour la justice climatique. Alexandria Ocasio-Cortez, elle-même protectrice de l’eau, a lancé sa candidature au Congrès – et elle a gagné – alors qu’elle se trouvait dans les camps de prière de Standing Rock. En 2019, avec le sénateur démocrate Ed Markey, elle a proposé un Green New Deal. Il faut dire que Standing Rock faisait partie d’une constellation de soulèvements menés par des Autochtones à travers l’Amérique du Nord et le Pacifique occupé par les États-Unis : Dooda Desert Rock (2006), Unist’ot’en Camp (2010), Keystone XL (2011), Idle No More (2012), Trans Mountain (2013), Enbridge Line 3 (2014), Protect Mauna Kea (2014), Save Oak Flat (2015), Nihígaal Bee Iiná (2015), Bayou Bridge (2017), O’odham Anti-Border Collective (2019), Kumeyaay Defense Against the Wall (2020) et 1492 Land Back Lane (2020), parmi beaucoup d’autres.

Chaque mouvement s’élève contre des projets coloniaux et financiers d’extraction. Mais ce qui est souvent minimisé, c’est la puissance révolutionnaire que représente la résistance autochtone : se poser en gardiens et créer des relations justes entre les mondes humain et non humain sur une planète complètement dévastée par le capitalisme. L’image des protecteurs de l’eau et le slogan « Water is Life ! » (L’eau, c’est la vie !) constituent les catalyseurs du mouvement pour la justice climatique de cette génération. Ce sont deux positions politiques fondées sur la décolonisation, un projet qui ne concerne pas exclusivement les Autochtones. Quiconque a franchi les portes des camps de prière de Standing Rock, qu’elle ou il soit autochtone ou non, est devenu une ou un protecteur de l’eau. Chacune et chacun ont ramené les braises de ce potentiel révolutionnaire dans leur communauté d’origine. Les protecteurs de l’eau étaient en première ligne pour distribuer une aide aux communautés dans le besoin tout au long de la pandémie. Les femmes et les hommes protecteurs de l’eau étaient dans les rues de Seattle, de Portland, de Minneapolis, d’Albuquerque et de nombreuses autres villes au cours de l’été 2020, alors que les postes de police brûlaient et que les monuments au génocide s’effondraient. L’État répond aux protecteurs de l’eau, celles et ceux qui protègent et défendent la vie, par un barrage continuel de matraques, de crimes, d’entraves et d’armes chimiques. Si ce n’était pas le cas auparavant, nos yeux sont maintenant ouverts : la police et l’armée, poussées par la rage des colons et de l’impérialisme, freinent le mouvement pour la justice climatique.

Le Red Deal

Le Green New Deal (GND, New Deal vert), qui ressemble en tous points à l’écosocialisme, offre une réelle chance de galvaniser le soutien populaire aux deux causes. Bien qu’il soit anticapitaliste dans l’esprit et qu’il fasse référence pour la forme à la décolonisation, il doit aller plus loin, tout comme les mouvements qui le soutiennent.

C’est pourquoi The Red Nation a lancé le Red Deal en 2019, lequel se concentre sur les droits autochtones issus des traités, la restitution des terres, la souveraineté, l’autodétermination, la décolonisation et la libération. Nous n’envisageons pas le Red Deal comme un contre-programme du Green New Deal, mais plutôt comme un dépassement de celui-ci. Il est « rouge » parce qu’il donne la priorité à la libération autochtone et à une position de gauche révolutionnaire. Comme nous le montrons dans les pages suivantes, cette plateforme n’est pas seulement destinée aux peuples autochtones.

Le Green New Deal a le potentiel de relier chaque lutte pour la justice sociale – accès au logement, soins de santé gratuits, éducation gratuite, emplois verts – au changement climatique. De même, le Red Deal place l’anticapitalisme et la décolonisation au centre de chaque lutte pour la justice sociale, aussi bien que contre le changement climatique. La nécessité d’un tel programme est ancrée à la fois dans l’histoire et l’avenir de cette Terre ; elle implique la transformation radicale de toutes les relations sociales entre les humains et la Terre.

Un plan d’action collectif

Ce qui suit est un plan d’action collectif pour le climat fondé sur quatre principes que nous avons élaborés après de nombreux dialogues, discussions et commentaires de la part des membres des communautés autochtones et non autochtones, de nos camarades, de nos proches et de nos compagnes et compagnons de voyage.

1. Ce qui crée la crise ne peut la résoudre

Le désinvestissement était une stratégie populaire lors du soulèvement en opposition à l’oléoduc Dakota Access (#NoDAPL) en 2016 [3]. Les protecteurs de l’eau ont alors appelé les masses à désinvestir les institutions financières qui subventionnaient l’oléoduc. Le Red Deal poursuit cet appel au désinvestissement des industries des combustibles fossiles, mais nous allons un peu plus loin. Nous nous inspirons des traditions abolitionnistes noires pour appeler au désinvestissement des institutions du domaine carcéral comme la police, les prisons, l’armée et l’impérialisme frontalier, en plus du désinvestissement des combustibles fossiles.

2. Le changement par le bas et à gauche

Il est important de rappeler que le Green New Deal n’a été possible que parce que sa principale partisane, Alexandria Ocasio-Cortez, a été conscientisée et politisée par le soulèvement contre Dakota Access. Les peuples autochtones sont, et ont toujours été, à l’avant-garde de la lutte pour la justice climatique. Nous ne reculerons pas sur les demandes du GND pour une vie digne ni sur la nécessité de mettre le leadership des peuples autochtones au centre de ce combat. En fait, nous devons aller plus loin. Nous devons mettre tout le poids du pouvoir populaire derrière ces revendications pour une vie digne. Le pouvoir du peuple, c’est la force organisée des masses, un mouvement pour reconquérir notre humanité et nos relations légitimes avec la Terre. Le pouvoir populaire ne renversera pas seulement l’empire, mais il construira un nouveau monde à partir de ses cendres, un monde où plusieurs mondes auront leur place.

3. Les politiciennes et les politiciens ne peuvent pas faire ce que seuls les mouvements de masse peuvent faire

Les États protègent le capital et ses gardiens : la classe dirigeante. Ils ne protègent pas le peuple. Les réformistes qui font appel à l’État pour le changement compromettent notre avenir en s’alignant sur les intérêts de la classe dirigeante.

Nous refusons tout compromis. Mais nous croyons en une réforme d’un type différent, une réforme non réformiste qui ne se limite pas à ce que le statu quo offre, mais qui défie fondamentalement la structure de pouvoir existante en priorisant, en organisant et en élevant les besoins et les demandes des masses.
Nous ne voulons pas améliorer le système en appliquant des politiques venant d’en haut ; nous voulons le détruire, que ce soit à petit feu ou dans un brasier majeur, dans le but de le remplacer. Notre philosophie de la réforme consiste donc à réattribuer la richesse sociale à celles et ceux qui la produisent réellement : les travailleuses et les travailleurs, les pauvres, les peuples autochtones, les femmes, les personnes migrantes, les gardiennes de la Terre et la Terre elle-même. Cette restitution de la richesse sociale implique l’autonomisation de celles et ceux qui ont été dépossédés. Elle peut se faire en construisant un mouvement de masse qui a le pouvoir et l’influence nécessaires pour récupérer les ressources de la classe dominante et les redistribuer aux personnes dépossédées.

4. De la théorie à l’action

De la Maison-Blanche aux PDG des multinationales, les patrons dirigent le monde et le pillent sans limites. Étant donné l’effarante destruction et mortalité que quelques individus infligent à des milliards de personnes, il est étrange qu’aucune gauche unifiée n’ait émergé dans le Nord global pour constituer une réelle menace pour les patrons. Au cours des dernières années, nous avons assisté à des rébellions populaires massives contre l’industrie des combustibles fossiles, contre la violence policière, contre les politiques d’immigration racistes et contre l’exploitation des travailleuses et travailleurs, mais rien n’a été fait pour créer un mouvement de masse uni. Nous pensons que la lutte pour des réformes non réformistes visant à restaurer la santé de nos corps et de la Terre sera le véhicule le plus puissant pour construire rapidement un mouvement de masse capable de s’attaquer aux patrons. Mais nous ne pouvons pas simplement être contre quelque chose, nous devons être pour quelque chose.

Nous construirons nos propres politiques à partir de l’action de la base qui cherche à se prendre en charge et à se soutenir mutuellement. En nous organisant autour de réformes non réformistes pour le logement, la sécurité et la souveraineté alimentaires, la justice en matière de violence domestique et de genre, la prévention du suicide, la restitution des terres, et plus encore, nous pouvons et nous allons construire des infrastructures de libération. Comme le Black Panther Party l’a décidé à un certain moment de son histoire, The Red Nation réalise que nous devons entreprendre dès maintenant des actions réalistes et fondées sur des principes qui contribueront à renforcer de façon cumulative notre capacité de révolution dans le futur. Nous ne devons pas ignorer la vérité : nous n’avons pas encore la capacité de révolution, sinon nous aurions vu un mouvement de masse unifié naître de la remarquable énergie révolutionnaire de la dernière décennie. Et pourtant, il nous reste très peu de temps pour y parvenir. C’est la contradiction et le devoir de notre génération : la décolonisation ou l’extinction.

La libération n’est pas une abstraction, elle est une nécessité et un droit qui appartient aux humbles peuples de la Terre. Comment allons-nous la concrétiser ? Nous ne rejetterons pas les occasions de nous organiser, de faire de l’agitation politique et de construire le pouvoir du peuple dans les espaces de surveillance de l’État comme les prisons, les services à l’enfance, les hôpitaux et les salles de classe qui sont conçus pour déshumaniser et déresponsabiliser les personnes. L’État prend pour cibles les pauvres et les travailleurs parce que ces femmes et ces hommes représentent la plus grande menace pour son existence. Nous ne laisserons plus l’État nous voler nos proches ou nous vider de notre pouvoir. Nous devons « submerger » l’État, de l’intérieur et de l’extérieur, en multipliant les menaces jusqu’à ce qu’il s’effondre.

Nos réformes non réformistes utiliseront de nouvelles approches. Elles prendront la forme de réseaux de banques de semences autochtones où des milliers de personnes agricultrices vouées à une agriculture durable partagent, échangent et nourrissent leurs communautés. Elles ressembleront à des victoires aux élections municipales où les candidates et candidats de gauche mettent en œuvre une plateforme populaire pour le climat et la justice sociale aux échelles municipale et régionale. Elles ressembleront à des camps d’exploration ou à des résolutions de conseils tribaux qui rejettent les accords coloniaux sur l’eau en s’associant à d’autres nations autochtones pour bloquer tous les efforts du gouvernement et des entreprises visant à transformer l’eau en marchandise. Quelle que soit l’approche empruntée, nous devons simplement nous mettre au travail.

The Red Nation [4]


[1Le livre The Red Deal : Indigenous Action to Save our Earth peut être acheté en ligne à : <www.commonnotions.org/the-red-deal> .

[2<https://progressive.international/w...> . La traduction a été revue par Colette St-Hilaire et les NCS.

[3On pourra lire dans le n° 18, des Nouveaux Cahiers du socialisme, 2017 : « La lutte de Standing Rock. I – La leçon de Standing Rock » par Julian Brave NoiseCat et « II – Les prochaines étapes. Entrevue avec Kandi Mossett » par Sarah Jaffe.

[4The Red Nation, La Nation rouge, est une coalition anticapitaliste et anticoloniale de militantes et militants éducateurs, étudiants et organisateurs communautaires autochtones et non autochtones qui prônent la libération des Autochtones. Elle s’est formée aux États-Unis pour lutter contre la marginalisation et l’invisibilité des luttes autochtones au sein des structures dominantes de justice sociale, et pour mettre au premier plan la destruction et la violence envers la vie et les terres autochtones. Voir : <www.therednation.org> ; .

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