Dans ce message – que nous reproduisons intégralement ci-dessous (en espagnol) –, signé du Sous-Commandant Marcos et rédigé dans son style inimitable, celui-ci réplique à ceux qui l’avaient accusé, il y a six ans, lors de la précédente élection présidentielle, d’avoir fait battre le candidat de gauche Andrés Manuel López Obrador, du Parti de la révolution démocratique (PRD).
Marcos y décrit également les progrès de tous ordres, et notamment en matière de santé et d’éducation, dans les villages et territoires contrôlés par l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN). Il annonce aussi la reprise de contact avec tous les amis des zapatistes et en particulier avec tous les mouvements d’ « indignés » qui ont proliféré ces deux dernières années à travers le monde. Dans un but précis : construire une « alternative non institutionnelle de gauche ».
Communiqué du Commandement général de l’Armée de Libération National Zapatiste Mexique
l’EZLN annonce les prochaines étapes : Communiqué du Comité révolutionnaire autochtone clandestin - Commandement général de l’Armée de Libération National Zapatiste Mexique
Au peuple du Mexique,
Aux peuples et gouvernements du monde,
Frères et soeurs,
Camarades,
Le 21 décembre 2012, dans les premières heures du matin, nous nous sommes mobilisés à plusieurs dizaines de milliers d’indigènes zapatistes et nous avons pris, pacifiquement et silencieusement, cinq municipalités du sud-est de l’État mexicain du Chiapas.
En traversant les villes de Palenque, Altamirano, Las Margaritas, Ocosingo et San Cristobal de las Casas nous vous avons regardé et nous nous sommes regardés en silence.
Nous n’apportons pas un message de résignation.
Nous n’apportons pas la guerre, la mort et la destruction.
Notre message est un message de lutte et de résistance.
Après le coup d’état médiatique qui vient de propulser l’ignorance au pouvoir fédéral, une ignorance mal dissimulée et encore plus mal maquillée, nous nous sommes montrés pour leur faire savoir que s’ils ne sont jamais partis, nous non plus.
Il y a 6 ans, une partie de la classe politique et intellectuelle a cherché quelqu’un qu’elle pouvait rendre responsable de sa défaite. À cette époque, dans les villes et les collectivités, nous luttions pour la justice dans un Atenco* qui, alors, n’était pas encore à la mode.
A cette époque, ils nous ont calomniés, puis ont tenté de nous réduire au silence.
Malhonnêtes et incapables de voir qu’ils sont eux-mêmes le levain de leur propre ruine, ils ont essayé de nous faire disparaître à coups de mensonges et de silence complice.
Six ans plus tard, deux choses sont claires :
– Ils n’ont pas besoin de nous pour échouer.
– Nous n’avons pas besoin d’eux pour survivre.
Nous, qui ne sommes jamais partis, contrairement à ce que tous les medias ont essayé de faire croire, nous nous manifestons à nouveau, comme les autochtones zapatistes que nous sommes et que nous continuerons d’être.
Ces dernières années, nous nous sommes renforcés et nous avons considérablement amélioré nos conditions de vie. Notre niveau de vie est plus élevé que celui des communautés autochtones environnantes inféodées au pouvoir officiel, qui reçoivent des aumônes qu’elles gaspillent en alcool et autres sottises.
Notre habitat s’améliore sans détruire l’environnement avec des routes étrangères à sa nature.
Dans nos villages, la terre qui autrefois servait à engraisser le bétail des ranchs et des propriétaires terriens, sert maintenant à faire pousser du maïs, des haricots et des légumes qui agrémentent nos repas.
Notre travail nous donne la double satisfaction d’avoir de quoi vivre honorablement et de contribuer à la croissance collective de nos communautés.
Nos enfants vont à une école qui leur enseigne leur propre histoire, celle de leur pays et du monde, ainsi que la science et les techniques nécessaires, pour grandir sans trahir leurs origines.
Les femmes zapatistes indigènes ne sont pas à vendre comme des marchandises.
Les Indiens du PRI [parti traditionnellement dominant au Mexique] fréquentent nos hôpitaux, nos cliniques et nos laboratoires parce que, dans ceux du gouvernement, il n’y a ni médicaments ni matériel médical ni médecins ni personnel qualifié.
Notre culture s’épanouit, non pas isolément, mais en s’enrichissant du contact avec les cultures d’autres peuples du Mexique et du monde.
Nous gouvernons et nous nous gouvernons nous-mêmes en privilégiant toujours la conciliation sur la confrontation.
Et tout cela nous l’avons fait tout seuls car, non seulement le gouvernement, les politiciens et les médias qui les accompagnent ne nous ont pas aidés, mais ils nous ont combattus et nous avons dû résister à toutes sortes d’attaques.
Nous avons démontré, une fois de plus, que nous sommes qui nous sommes.
Notre présence a été longtemps silencieuse. Aujourd’hui, nous ouvrons la bouche pour dire que :
Premièrement – Nous réaffirmons et renforçons notre appartenance au Congrès National Indigène, espace de rencontre des peuples autochtones de notre pays.
Deuxièmement -. Nous allons reprendre contact avec les compagnons qui ont adhéré à la Sixième Déclaration de la Jungle de Lacandón, au Mexique et dans le monde.
Troisièmement -. Nous tenterons de construire les ponts nécessaires aux mouvements sociaux qui ont surgi et continueront de surgir, non pas pour les diriger ou les supplanter, mais pour apprendre d’eux, de leur histoire, de leurs chemins et de leurs destins.
Pour cela nous avons constitué des équipes formées d’individus et de groupes de différentes régions du Mexique pour soutenir les Commissions de la 6e Déclaration et les Commissions Internationales de l’EZLN ; ces équipes de soutien deviendront des courroies de transmission entre les bases de soutien zapatistes et des individus, groupes et collectifs qui adhérent à la Sixième Déclaration au Mexique et dans le monde entier, et qui continuent de vouloir et d’oeuvrer à la construction d’une alternative de gauche non institutionnelle.
Quatrièmement -. Nous maintiendrons la même distance critique que par le passé vis à vis de la classe politique mexicaine dans son ensemble, qui prospère aux dépens des besoins et des espoirs des gens humbles et simples.
Cinquièmement - En ce qui concerne les mauvais gouvernements fédéraux, étatiques et municipaux, exécutifs, législatifs et judiciaires, et les médias qui les accompagnent, nous déclarons ce qui suit :
Les mauvais gouvernements de tout le spectre politique, sans aucune exception, ont fait tout leur possible pour nous détruire, nous acheter, nous soumettre. PRI, PAN, PRD, PVEM, PT, CC et le futur parti RN, nous ont attaqués militairement, politiquement, socialement et idéologiquement. Les grands médias de communication ont essayé de nous faire disparaître, d’abord en nous calomniant de façon servile et opportuniste, puis en faisant preuve d’un silence complice. Ceux que ces médias servaient et qui les faisaient vivre, ne sont plus et ceux qui leur ont succédé à présent ne dureront pas plus que leurs prédécesseurs.
Comme nous l’avons prouvé le 21 décembre 2012, ils ont tous échoué. Il revient donc aux instances fédérales exécutives, législatives et judiciaires de décider si elles vont continuer dans la voie de la contre-insurrection qui n’a donné aucun résultat à part les mensonges maladroits et débiles des médias ou bien si elles vont reconnaître et respecter leurs engagements en accordant aux Indigènes les droits constitutionnels et culturels inscrits dans les « Accords de San Andrés » signés par le gouvernement fédéral en 1996 alors dirigé par le parti qui détient à nouveau le pouvoir exécutif aujourd’hui.
Il reste au gouvernement de l’État à décider s’il y a lieu de poursuivre la stratégie malhonnête et méprisable de son prédécesseur si corrompu et menteur qu’il a pris l’argent du peuple du Chiapas pour s’enrichir, lui et ses complices, et acheter sans vergogne la voix et la plume des médias, plongeant ainsi le peuple du Chiapas dans la misère pendant que les forces de la police et des paramilitaires essayaient d’empêcher les communautés zapatistes d’améliorer leur organisation sociale ; ou bien, si, au contraire, avec justice et sincérité, l’Etat acceptera de respecter enfin notre existence et de se rendre à l’idée qu’une nouvelle forme de vie sociale est en train de fleurir dans le territoire zapatiste du Chiapas, au Mexique. C’est une floraison qui attire d’ailleurs l’attention des honnêtes gens partout sur la planète.
Il appartiendra aux autorités locales de décider si elles vont continuer longtemps encore à avaler les mensonges que les organisations anti-zapatistes ou prétendument "zapatistes" leur racontent pour qu’elles attaquent nos communautés, ou si ces autorités vont enfin utiliser l’argent qu’elles ont pour améliorer la vie de tous leurs administrés.
C’est au peuple du Mexique qui s’implique dans les luttes électorales et la résistance, qu’il appartiendra de décider s’il nous voit toujours comme des ennemis ou des rivaux sur qui décharger sa frustration engendrée par des fraudes et une violence qui, finalement, nous affectent tous, et si dans sa lutte pour le pouvoir il va continuer à s’allier avec ceux qui nous persécutent ; ou bien s’il reconnaît enfin en nous une autre façon de faire de la politique.
Sixièmement - Dans les prochains jours, l’EZLN, à travers les Commissions de la 6e Déclaration et les Commissions Internationales annoncera une série d’initiatives, civiles et pacifiques, pour continuer à marcher avec les autres peuples natifs du Mexique et du continent et avec ceux qui au Mexique et dans le monde résistent et luttent à partir de la base et à gauche.
Frères et soeurs,
Camarades,
Avant, nous avions la chance de bénéficier d’une attention honnête et noble de la part de divers médias. Nous avions exprimé notre reconnaissance alors. Mais leur attitude a changé notablement par la suite.
Ceux qui pensaient que nous n’existions que grâce aux médias et que le siège de mensonges et de silence qu’ils avaient élevé autour de nous aurait raison de nous, se sont trompés. Nous avons continué d’exister sans caméras, ni micros, ni stylos, ni oreilles, ni regards.
Nous avons continué d’exister quand ils nous ont calomniés. Nous avons continué d’exister quand ils ont essayer de nous museler. Et nous voici, nous existons toujours.
Notre chemin, comme nous venons de le démontrer, est indépendant de l’impact médiatique, il repose sur le fait d’intégrer le monde et tout ce qu’il contient, sur la sagesse indigène qui guide nos pas, sur la conviction inébranlable que notre dignité est en bas et à gauche.
À partir de maintenant, nous allons choisir nos interlocuteurs, et, sauf exception, nous ne pourrons être compris que par ceux qui ont marché avec nous et qui continuent de marcher avec nous, sans céder à la pression médiatique ni à la mode du temps.
Ici, non sans beaucoup d’erreurs et de difficultés, nous avons mis en place une autre manière de faire de la politique. Très rares sont ceux qui auront le privilège de l’expérimenter et d’apprendre directement d’elle.
Il y a 19 ans, nous les avons surpris en prenant leurs villes dans le feu et le sang. Aujourd’hui, nous avons recommencé mais sans armes, sans mort, sans destruction.
De la sorte, nous nous différencions de ceux qui, quand ils détiennent le pouvoir, sèment la mort chez ceux qu’ils gouvernent.
Nous sommes les mêmes qu’il y a 500 ans, 44 ans, 30 ans, 20 ans, les même qu’il y a quelques jours.
Nous sommes les Zapatistes, les plus petits, ceux qui vivent, luttent et meurent dans le coin le plus reculé du pays, ceux qui ne renoncent pas, ceux qui ne se vendent pas, ceux qui ne se soumettent pas.
Frères et sœurs,
Camarades,
Nous sommes les Zapatistes, et nous vous embrassons.
Démocratie ! Liberté ! Justice !
Depuis les montagnes du sud-est mexicain.
Pour le Comité clandestin révolutionnaire indigène - Le Commandement général de l’Armée zapatiste de libération nationale,
Sous-commandant Marcos.
Mexique. Décembre 2012 – Janvier 2013.
Note :
* Profitant de l’échéance des élections présidentielles du 2 juillet 2006, le sous-commandant Marcos sort de 5 ans de clandestinité totale pour lancer son « Autre Campagne » de 6 mois à travers les 31 états du Mexique. La brutale répression policière d’Atenco, va l’obliger à prolonger son séjour dans la capitale, malgré un climat de plus en plus tendu et une situation d’impasse politique.
(traduction Alter-Info)