« L’objectif de ce livre est d’établir la généalogie des chiffres invoqués, en pointant les épisodes les plus marquants d’un débat récurrent, qui vient périodiquement buter sur des problèmes théoriques et méthodologiques. Ces obstacles n’ont été contournés que par une sorte de bric-à-brac méthodologique ». Michel Husson ne se contente pas de dénoncer les idéologies sous-jacentes. Il fait une judicieuse incursion dans cette « littérature technique », présente les incohérences, les lacunes scientifiques, les impasses méthodologiques. Il souligne les « écarts » entre les buts proclamés de faire reculer le chômage et les réalités des politiques menées : « Elles conduisent au contraire à étendre le champ de la précarité et à disqualifier ce que pourraient être de véritables outils de lutte contre le chômage, à savoir la réduction du temps de travail et la création ex nihilo d’emplois socialement et écologiquement utiles. La condition d’un retour au plein emploi n‘est pas l’acceptation d’une dégradation de la condition salariée ».
Michel Husson détaille les chiffres avancés sur les impacts prévisibles de la suppression des allégements de cotisation sociales (800.000 emplois), de la hausse du Smic, examine l’idée que les entreprises créeraient plus d’emplois si le coût du travail baissait… Il parle, entre autres, de la « formation du consensus » autour d’une élasticité coût-emploi, d’un « schéma théorique évanescent », de l’absence de « bouclage » macroéconomique, de l’oubli du coût du capital, de « calculs de coin de table », d’endovalidation…
L’auteur critique la « notion » de chômage volontaire, d’économie comme « science, au même titre que la physique », la « mathématisation de l’économie »… Il parle de « savants fous », de postulats récusables, de résultats hautement discutables, de chiffres fabuleux…
Je souligne particulièrement les paragraphes sur la non prise en compte des effets « de substitution entre travail et capital », l’extrapolation des comportements interentreprises à l’ensemble de l’économie, le poids des institutions sur la scientificité des études, « la volonté manifeste de gonfler l’impact des allégements, anticipant ainsi l’argumentaire patronal », le smic et les emplois dits non-qualifiés, la censure des appréciations différentes, ou les retours à la macro-économie…
J’ai notamment été intéressé par le chapitre sur les 35 heures, la « minimisation ridicule de la contribution des 35 heures aux créations d’emplois », la citation presque pour rire « Nous ne pouvons pas conclure avec certitude que l’impact global de la réforme des 35 heures ait été proche de zéro. Cependant, nos résultats sont certainement compatibles avec cette interprétation ». L’auteur souligne le fait que depuis 20 ans, « les créations nettes d’emploi correspondent pour l’essentiel à la période des 35 heures », la nécessaire prise en compte des modalités de la réduction du temps de travail…
En conclusion, l’auteur revient sur les chiffres creux, l’absence d’effet rétroactif, « toutes les études utilisent un cadre théorique où le coût relatif du capital et du travail a un effet sur l’ensemble des combinaisons productives installées, et non pas seulement sur le contenu en emploi des nouvelles capacités de production », le bouclage macroéconomique, les liens entre critique technique et critique politique. Les propos de l’auteur sont particulièrement incisifs : « fondements prétendument scientifiques », « véritable bric-à-brac », « invraisemblable fatras méthodologique », « version totalement abâtardie et bancale de la théorie », « voile d’ignorance »…
Michel Husson termine sur une question, « Comment créer des emplois ? ». Il indique qu’« aucun emploi n’a jamais été crée par des baisse de « charges » » et que seule la réduction du temps de travail et la création d’emplois public ont pu et pourraient le faire.
Il est important que des chercheurs et chercheuses décortiquent les formules assenées, soulignent la faible base scientifique et les incohérences des formules répandues, détaillent les impasses des méthodes de faussaires…Le travail de Michel Husson est donc plus que nécessaire. A chacun-e de s’approprier les analyses pour ne pas en rester à la critique, par ailleurs nécessaire, de l’idéologie sous-jacente des apôtres d’une médiocre scientificité et de la négation des rapports d’exploitation…
Et comme l’a écrit l’auteur dans son introduction à la réédition du livre de Nicolas Boukharine : L’économie politique du rentier : Objectivité sociale « La critique de l’idéologie économique est donc nécessaire, y compris sous ses aspects techniques, mais elle doit avant tout mettre en cause la représentation (ou plutôt la négation) des rapports sociaux capitalistes qui en est le fondement essentiel ».
Michel Husson : Créer des emplois en baissant les salaires ?
Editions du Croquant, Bellecombe-en-Bauges 2015, 140 pages, 9 euros
Didier Epsztajn
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