Le livre de Marie France Labrecque permet de « voir plus clairement les intersections de classe, de race et de genre sur lesquelles s’appuie le capitalisme transnational ». Dans son introduction, l’auteure insiste sur la méthode : « S’il existe un fonds commun de misogynie derrière tous les féminicides, il importe de les contextualiser le mieux possible » ou « En replaçant les meurtres de femmes dans leur contexte, j’espère éviter d’essentialiser le phénomène, c’est-à-dire de l’attribuer à des caractéristiques inhérentes aux acteurs ». Il convient donc saisir « un ensemble de facteurs sociaux sur une multiplicité d’échelles qui favorisent les dynamiques locales » pour comprendre les réalités et les modifier.
Table des matières :
Préface de Diane Lamoureux
Introduction
Chapitre 1 : Ciudad Juárez : ville frontalière
Chapitre 2 : Féminicides ou assassinats de femmes ?
Chapitre 3 : Défendre les droits humains des femmes et interpeller l’État
Chapitre 4 : Comprendre les féminicides
Conclusion
Ciudad Juarez est une ville à la frontière des États-Unis et du Mexique, frontière, faut-il le rappeler non ouverte pour les mexicain-ne-s qui souhaiteraient aller au nord. Frontière surlignée par le « mur de la mort » sur plus de cent kilomètres. Dans cette zone sont implantées de très nombreuses maquiladoras, aux syndicats charros, dans le cadre de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) qui « a créé de meilleures possibilités pour la circulation du capital et pour les entreprises, ainsi que de nouvelles modalités d’exemption d’impôts… ». Droit du capital mais non droit au syndicalisme pour les centaines de milliers de salarié-e-s. Libre circulation du capital mais pas pour les êtres humains, le néolibéralisme en pleine action. Sans oublier les cartels de la drogue largement favorisés par la politique de prohibition et la corruption généralisée permise par cet argent sale mais respectable dans son recyclage par les institutions financières.
L’auteure débat des définitions : fémicide « assassinat de femmes et de filles parce qu’elles sont des femmes », féminicide comme crime d’État « La mise en cause de l’État constitue le cœur de cette définition et c’est en ce sens qu’elle va plus loin que celle de fémicide ».
L’auteure souligne que « les définitions du féminicide ouvrent sur deux voies convergentes et complémentaires ; celle de l’analyse intersectionnelle de la violence qui se base sur la prise en compte simultanée de la classe, du genre et de la race, et celle des revendications sur le plan légal et institutionnel qui confrontent plus directement l’État ».
Les analyses de l’auteure sont particulièrement riches, et ne se laissent pas réduire aux caractéristiques statistiques qui gomment les spécificités des violences envers les femmes.
J’ai notamment apprécié les analyses du chapitre « Comprendre les féminicides », l’insistance mise sur « les différentes formes de violence que peuvent subir les femmes sont interreliées », le « continuum de la violence » et les liens entre fonctionnement du système capitaliste, réellement existant dans ses versions néolibérales, mexicaines et étasuniennes et l’impunité pour les auteurs de ces féminicides.
« Si la misogynie et la haine des femmes sont généralisées, la façon dont elles s’expriment est tributaire d’un ensemble de facteurs qu’il est urgent de circonscrire si l’on souhaite éradiquer la violence contre les femmes ».
Marie France Labrecque : Féminicides et impunité. Le cas de Ciudad Juarez
Editions écosociété, Montréal (Québec) 2012, 194 pages.