- Le recteur remet-il en question l’équilibre entre enseignement et recherche dans la tâche des professeurs ?
- Le recteur voudrait-il rémunérer les professeurs en fonction d’une hiérarchie établie arbitrairement entre les différentes disciplines ?
- Le recteur ne reconnaîtrait plus notre droit d’association ?
C’est ce qui se dégage de ce qui est rapporté des déclarations du recteur Guy Breton au journal La Presse ce samedi 25 octobre 2014. Le recteur semble en effet remettre sérieusement en question la répartition des tâches et les échelles de rémunération des professeurs.
Sans revenir sur l’ensemble des éléments de l’intervention sollicitée par le recteur auprès du chroniqueur François Vailles du journal La Presse, le texte ci-dessous dénonce certaines déclarations extrêmement étonnantes du recteur à l’endroit des professeurs que je représente.
Le recteur remet-il en question l’équilibre entre enseignement et recherche dans la tâche des professeurs ?
Dans l’article cité, le recteur Guy Breton remet en question cet équilibre en déclarant :
« Nous souhaiterions pouvoir dire : les stars de l’enseignement vont faire plus d’enseignement et moins de recherche. Et les stars de la recherche, l’inverse. Mais nous sommes limités à cause des conventions collectives. J’apprécierais avoir plus de souplesse »
Or l’Université de Montréal fonctionne sur un modèle commun à toutes les universités : un corps professoral qui fait à la fois de la recherche et de l’enseignement (à parts généralement égales), et qui participe à l’administration de l’institution.
Ce modèle équilibré et collégial met de l’avant l’enrichissement de l’enseignement par la recherche et permet aux professeurs d’assurer eux-mêmes la relève de la recherche, voire du corps professoral futur. Les profs encourageant leurs meilleurs étudiants à poursuivre des études à la maîtrise et au doctorat. Cette recette fait florès depuis des générations. Chacun sait d’ailleurs que l’Université de Montréal se démarque sur le plan national et international comme une très grande université de recherche et d’enseignement.
Cette déclaration du recteur soulève nombre de questions sans réponses :
– Pourquoi le recteur remet-il en question l’équilibre actuel entre enseignement et recherche dans la tâche des professeurs ?
– Sans mandat[*] connu ni même un débat préalable, le recteur proposerait ainsi d’établir des profils de professeurs distincts : les "enseignants" d’un côté et les "chercheurs" de l’autre ? Pour quels motifs ? Dans son entrevue à La Presse, cela semble relever d’impératifs de "production" et non pas de la mission universitaire inscrite à la Charte.
– La "souplesse" revendiquée par le recteur serait mise au service de quel projet universitaire ?
– Quelles études appuient sa nouvelle orientation ? En bon universitaire, le recteur devrait être en mesure d’étayer son projet par des études sérieuses et documentées.
Enfin, on se demande bien pourquoi le recteur prétend qu’il est "limité par les conventions collectives" qu’il a lui-même signées. De quoi parle-t-il exactement ?
Le recteur aurait-il oublié que la convention collective du SGPUM fait partie intégrante des règlements et statuts de l’Université de Montréal ? [†] Pour l’heure, sa déclaration laisse penser qu’il remet en cause également les statuts et règlements de l’institution...
Ailleurs dans le même article, lorsque le journaliste rapporte que le recteur lui a déclaré "qu’il y a moyen d’améliorer la productivité, notamment en augmentant le nombre de cours par professeur", on se dit que le recteur ignore des faits et chiffres importants :
– Divers rapports de recherche établissent que les professeurs d’université travaillent déjà en moyenne de 50 à 57 heures par semaine (Dyke et Deschenaux, 2008 ; Crespo et Bertrand, 2013 [‡]).
– Le ratio étudiant / professeurs (#ETC / # profs temps plein) de l’Université de Montréal est de 39,5 étudiants temps complet par professeur à temps complet, soit le ratio le plus élevé de toutes les grandes universités canadiennes (Almanach ACPPU 2014-2015, données de 2010-2011). La lourdeur extrême de ce ratio étudiants / professeurs de l’UdeM n’est d’ailleurs surpassée que par l’University of Ontario Institute of Technology qui compte 144 professeurs.
Il est très étonnant que là encore, le recteur ne semble pas mieux informé des chiffres ; car au sujet de ses données, l’article de François Vailles montre clairement que le recteur a avancé un nombre erroné d’étudiants, une erreur que le porte-parole Mathieu Filion a reconnue pour telle.
Le recteur voudrait-il rémunérer les professeurs en fonction d’une hiérarchie établie arbitrairement entre les différentes disciplines ?
L’autre déclaration du recteur à laquelle nous voulons réagir est rapportée dans la même chronique du journal La Presse. Guy Breton y remet explicitement en cause la structure salariale des professeurs de l’Université de Montréal :
« À McGill, il n’y a pas de syndicat de professeurs, donc le versement de meilleurs salaires aux profs-vedettes en finance ou en génomique est plus facile. Nous, on est très encadrés par les conventions collectives, ce qui fait qu’un prof d’informatique et un prof d’histoire ont des salaires similaires ».
La structure salariale des professeurs de l’Université de Montréal existe depuis une quarantaine d’années. Cette structure est fondée sur l’équité de traitement entre les collègues professeurs. Pourquoi le recteur remet-il cela en question ? Quel mandat a-t-il reçu pour le faire ? Est-ce une nouvelle position du Conseil de l’Université, alors que l’administration de l’UdeM refuse depuis des mois de faire connaître son offre salariale aux professeurs à la table de négociation ?
Cette déclaration rapportée sur les salaires est sidérante de la part du plus haut responsable administratif de l’Université de Montréal. Car ce dernier insinuerait alors que les professeurs de certaines disciplines "choisies" mériteraient une rémunération supérieure par rapport à d’autres professeurs de disciplines jugées de "second ordre", sinon dévalorisées. Or selon nos traditions, le recteur doit agir comme le primus inter pares. Comment peut-il tenir de tels propos au sujet de ses collègues ?
Par ailleurs cette position sur la rémunération des professeurs est contradictoire avec les engagements officiels du recteur. Car Guy Breton a signé en 2010 un contrat de travail qui abolissait l’échelle salariale spéciale des médecins-professeurs, instituant ainsi une échelle unique pour tous les professeurs. Mais d’où vient cette volte-face et sur quoi se fonde-t-elle ? Le recteur veut-il véritablement une rémunération "à la tête du professeur" ? Devons-nous comprendre aussi que le recteur s’est institué juge de la valeur des différentes disciplines des soixante départements de l’Université ? Que son administration veut pouvoir décider "qui vaut combien" ?
Chose certaine, les professeurs que je représente n’accepteront jamais d’être rémunérés de façon arbitraire ou idéologique.
Un tel double standard fait malheureusement déjà partie des habitudes de la maison. Car lorsque l’administration de l’UdeM demande des subventions gouvernementales, elle met en relief l’importance du travail d’encadrement des professeurs aux cycles supérieurs, de manière à obtenir des subventions plus importantes. En négociation avec le SGPUM, la direction de l’UdeM refuse pourtant depuis 20 ans de reconnaitre la charge d’encadrement dans le calcul de la charge annuelle de chaque professeur.
Le recteur ne reconnaîtrait plus notre droit d’association ?
On aura noté que le recteur souhaiterait qu’il n’y ait pas de syndicat de professeurs à l’Université de Montréal ! Cette déclaration est peu respectueuse du droit des salariés de s’associer en vertu des Chartes et des lois en vigueur. Mais disons simplement que désormais chacun des professeurs se le tiendra pour dit !
Quant aux arguments qui fonderaient les désirs du recteur de chambarder de manière radicale à la fois les tâches et la rémunération des professeurs de l’Université de Montréal, ils ne sont pas connus.
Personne n’ignore cependant que l’intervention publique du recteur Guy Breton survient en pleine négociation pour le renouvellement de la convention collective des professeurs.
L’article de La Presse s’intitulait La bataille de Guy Breton. Mais après lecture, on se demande alors : Contre qui le recteur mène-t-il bataille ? Contre le gouvernement ? Ou alors contre les professeurs et professeures de l’Université de Montréal ?
Au nom des 1350 professeurs de l’Université de Montréal que nous représentons, nous dénonçons avec vigueur les déclarations récentes du recteur au sujet des tâches, des salaires et du droit d’association des professeurs de l’Université de Montréal.
Jean Portugais
Président du SGPUM
27 octobre 2014.
[*] Rappelons que la Charte de l’Université de Montréal précise que le recteur "exécute les décisions des corps" soient l’Assemblée universitaire, la Commission des études et le Conseil de l’Université. Comme le recteur n’a pas reçu de mandat des deux premières instances, a-t-il été mandaté par le Conseil de l’Université pour cette nouvelle position ? Ou bien ne s’agit-il que de déclarations individuelles ? Ou bien ira-t-il rejoindre le club des personnes mal citées par les journalistes ?
[†] Extrait de la convention collective SGPUM : "Il est entendu que l’Université doit, dans l’exercice de ses pouvoirs, respecter les dispositions de la présente convention collective qu’elle doit adopter comme partie intégrante de ses Statuts et Règlements, selon la décision (AU 709.1) de l’Assemblée universitaire du 17 novembre 1975."
[‡] Dyke, N. & Deschenaux, F. (2008) Enquête sur le corps professoral québécois : faits saillants et questions. Montréal : Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université. Rapport 2013RP11 Faculty workload in a research intensive university : A case study par M. Crespo & D. Bertrand, CIRANO juin 2013.