Édition du 17 décembre 2024

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Québec

Le problème de la CAQ avec l’avenir

Par Emiliano Arpin-Simonetti

La pandémie de COVID-19 a rabattu l’horizon de notre avenir. En plongeant des millions de personnes dans une situation de vulnérabilité, sinon de détresse à la fois physique et psychologique, sociale et économique, la question des besoins de base a pris une place prépondérante dans les choix politiques. Les gouvernements se sont vus forcés d’en tenir compte plus que jamais et le gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ), mené par François Legault, ne fait pas exception, sa réponse à la crise semblant d’ailleurs lui avoir attiré, jusqu’ici, la sympathie de la population, à en croire les sondages.

Tiré de la revue Relations no 811 actuellement en kiosque.

Le problème de la CAQ avec l’avenir, toutefois, ne vient pas de cette situation extraordinaire qui la force à répondre en urgence à des besoins immédiats. Il est beaucoup plus profond et rien ne le révèle autant que l’attitude générale du parti face à la transition écologique. La plus récente mouture du Plan pour une économie verte du gouvernement caquiste, exposée dans les médias en septembre dernier, l’illustre de manière désolante. Selon des experts comme Normand Mousseau ou Pierre-Olivier Pineault, ce plan ne permettrait même pas d’atteindre la moitié de la cible de réduction de gaz à effet de serre (GES) établie par le gouvernement du Québec, soit une réduction de 37,5 % par rapport au niveau de 1990 d’ici 2030. Ces efforts nettement insuffisants seraient en outre anéantis par plusieurs projets soutenus par le gouvernement, en particulier le troisième lien autoroutier entre Québec et sa Rive-Sud et le projet GNL Québec. Ce dernier prévoit en effet l’installation d’un pipeline et la construction, au Saguenay, d’une usine de liquéfaction de gaz naturel provenant de l’Ouest canadien et issu de la fracturation hydraulique. Il émettrait à lui seul quelque 8 millions de tonnes de GES par année, si on ne tient pas compte de la combustion du gaz ni des fuites, qui feraient exploser le bilan[1].

Non content d’en voir la réalisation accélérée par une consultation publique décriée pour son caractère partial, voire bâclé, le gouvernement investirait vraisemblablement, sous différentes formes, d’importantes sommes d’argent public dans ce projet. Hydro-Québec viendrait même y contribuer à hauteur de plusieurs millions de dollars par une réduction de tarifs d’électricité. En d’autres mots, avec GNL Québec, non seulement le gouvernement engagerait-il résolument le Québec sur la voie des énergies fossiles, mais il détournerait en plus de l’énergie renouvelable et des sommes considérables vers cette filière climaticide.

Devant pareille irresponsabilité et une telle incohérence, certains ont accusé le gouvernement Legault d’être carrément climatosceptique. Or, le problème n’est pas qu’il nie les changements climatiques, mais qu’il affiche face à ceux-ci une désinvolture qui trahit une incapacité à inscrire l’action gouvernementale dans un horizon de sens dépassant le business as usual et la croissance économique à tout prix. Il semble incapable de s’extraire d’une temporalité néolibérale dans laquelle l’avenir n’est qu’une promesse de rendement à court terme permettant de consommer un présent aplati, vidé de sa substance. L’impératif d’accélération du temps qui meut le capitalisme est son mantra : rien, pas même une pandémie mondiale, ne doit ralentir outre mesure la roue de l’économie à laquelle ce gouvernement a visiblement attelé sa réélection.

Le projet de loi 66 visant la relance de l’économie du Québec – même s’il est moins odieux à certains égards que sa première mouture rejetée en juin – illustre clairement ce tropisme. Il expose aussi le penchant du gouvernement caquiste pour le démantèlement des garde-fous réglementaires et démocratiques qui protègent la société contre le rouleau compresseur d’une économie qui profite d’abord à quelques gros joueurs et considère la destruction environnementale comme un simple dégât collatéral du Progrès.

À des lieues de la précipitation et de la cécité écologique du gouvernement, le travail mené par de nombreux groupes sociaux démontre pourtant qu’il est possible de penser l’économie différemment, de façon à répondre à l’urgence climatique et aux inégalités sociales – si cruellement mises en lumière et aggravées par la pandémie. Le projet Québec ZéN (Zéro émission nette) du Front commun pour la transition énergétique en est la preuve éloquente. Cette vaste coalition d’organismes, de syndicats, d’ONG, de citoyennes et de citoyens présents sur l’ensemble du territoire québécois et représentant quelque 1,7 million de membres a réussi à produire une feuille de route visant à mener le Québec à la carboneutralité d’ici 2050. Et malgré la lenteur des processus réellement démocratiques, une deuxième mouture plus détaillée a été rendue publique cet automne, soutenant des chantiers de transition juste à travers le Québec.

Cette initiative – et tant d’autres – sont la preuve que des pas lents mais assurés vers l’avenir valent mieux qu’une course effrénée vers l’abîme. Le gouvernement Legault ferait bien de s’en inspirer.

Note

[1] Voir Jean-Thomas Léveillé, « Projet Énergie Saguenay. Au moins deux fois plus polluant que prévu, selon un chercheur », La Presse, 26 octobre 2020.

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