Tout récemment, il a construit un nouvel étage à sa tour en balayant du revers de la main l’idée même que la Vérificatrice générale du Québec puisse se pencher sur les impacts de sa réforme qui chamboule tout notre système de santé et de services sociaux.
Enlever les piles du détecteur de fumée
Trois anciens hauts fonctionnaires du réseau de la santé ont fait appel à la Vérificatrice générale afin de lui demander de poser un regard neutre sur la réforme du ministre Barrette et ses effets sur les services aux patients. Le ministre a répondu par une fin de non-recevoir.
C’est peu étonnant quand on sait les efforts qu’il déploie pour s’assurer du strict minimum en matière de rétroaction indépendante sur ses projets. Non seulement les comités d’usagers voient leur capacité d’action restreinte par la loi 10, mais le ministre a aussi annoncé l’abolition du poste de Commissaire à la santé et au bien-être (CSEB), dernier acteur indépendant en santé qui analysait les politiques en santé, la qualité des services et la performance du système.
Pour être certain de ne pas être dérangé par des avis contradictoires, le ministre Barrette a décidé d’enlever les piles du détecteur de fumée.
« Super » préoccupant
Avec l’annonce faite lundi dernier concernant la mise en œuvre de son plan pour l’implantation de 50 « supercliniques », appelées groupes de médecine familiale réseau (GMF-R), cette fermeture à l’analyse et ce manque de transparence ont de quoi inquiéter.
À la suite de la lecture du rapport de mai 2015 de la Vérificatrice générale portant justement sur les groupes de médecine familiale (GMF), on comprend mieux pourquoi le ministre ne veut pas qu’elle mette le nez dans ses affaires.
Dans ce rapport, elle a été très critique sur la question de l’amélioration de l’accessibilité aux soins. En plus, il est pratiquement impossible pour le ministère de bien évaluer l’atteinte des différentes cibles fixées. La Vérificatrice écrivait dans son rapport :
Il est à noter qu’au moment de la vérification, le ministère considérait qu’il ne pouvait pas transmettre les données sur le taux d’assiduité aux agences à cause de contraintes légales. Ainsi, les agences ne disposent pas de l’information nécessaire pour réaliser un suivi et prendre les mesures qui s’imposent en fonction de leurs caractéristiques régionales.
On se débarrasse des CLSC pour ça ?
En définitive, ces GMF-R privés, tout comme les GMF actuels, seront financés à même les deniers publics, on leur fournira le personnel à même celui des centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS), on paiera aussi les dépenses administratives en plus de rémunérer les médecins pour chaque acte médical et pour des frais accessoires autorisés par le ministre.
Ces GMF-R ne seront qu’une pâle copie des CLSC que le ministre tente d’éliminer indirectement en les drainant de leurs ressources. Terminés les partenariats avec le milieu communautaire, les écoles, les centres de personnes âgées, etc.
Exit aussi la prévention. Désormais, on ne fera plus que dans le curatif.
La charrue devant les bœufs
Avec la loi 10, le ministre a donné la responsabilité aux CISSS d’améliorer l’accès aux soins des populations qu’ils desservent, de définir les nouveaux projets cliniques à mettre en place selon les réalités de leurs régions et de réfléchir aux corridors de services. En court-circuitant sa propre réforme et en imposant un modèle mal défini, le ministre met la charrue devant les bœufs et confond le moyen avec l’objectif.
Dans son annonce, le ministre a été plutôt avare de détails. On ne sait pas comment s’articulera le cadre financier de ces « supercliniques », ni comment s’arrimeront les fameux services d’imagerie et de prélèvement avec les autres services offerts par les CISSS.
Le ministre Barrette gagnerait beaucoup à écouter les critiques et les acteurs du milieu de la santé au lieu de les ignorer ou de les faire taire. Le Québec aussi y gagnerait.