Tiré de The conversation.
Bref, le regard porté est souvent filtré par nos intérêts plutôt que sur les aspirations du peuple malien.
De façon générale, les coups d’État sont présentés comme une « malédiction » du continent africain. En l’absence d’une analyse plus fine de l’imbrication complexe d’enjeux internes et externes à l’origine de ces événements, c’est le vieux réflexe de supériorité occidental qui prend le dessus : ces pays sont « jeunes » et ont besoin de notre appui pour leur montrer la voie.
Ces supposées « explications » ne servent en fait que de masque pour permettre la poursuite du « business as usual » dont l’appropriation des ressources de pays présentés comme pauvres, alors qu’ils sont pourtant riches en ressources naturelles convoitées par les grandes puissances économiques.
Le coup d’État au Mali du 18 août était le deuxième en huit ans, après celui de 2012, et le quatrième depuis l’indépendance. Le ministre des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne, l’a condamné et a déclaré que le gouvernement réévalue ses relations avec le Mali, tout en précisant que le Canada n’allait pas y retirer ses soldats et son aide.
Professeure émérite à la Faculté de science politique et de droit de l’Université du Québec à Montréal, je dirige en ce moment une équipe de recherche avec des partenaires au Mali et au Sénégal sur le thème de l’accès à la santé, les ressources minières et le rôle des politiques publiques en Afrique.
L’aide militaire américaine
Ce qu’il y a de nouveau dans ce dernier coup d’État ce sont les liens qui commencent à être mis en évidence entre, d’une part, la formation donnée à des militaires africains par les États-Unis (par le passé avec une participation canadienne) et, d’autre part, l’implication fréquente de ces militaires dans des coups d’État sur le continent.
Une étude dans le Journal of Peace Research en 2017 révèle que, sur une période de 40 ans, deux tiers des coups d’État réussis ont été menés par des officiers ayant reçu une formation militaire américaine. Notons que la plus grande partie de la coopération internationale au Mali est allouée au secteur sécuritaire et non pas au développement social, à la lutte contre la pauvreté et aux droits de la personne.
Les analyses restent largement silencieuses sur cette présence militaire massive et sur les autres facteurs de risque de déstabilisation. De fait, l’enjeu principal pour la coopération au Mali est la sécurisation du pays en vue de permettre avant tout l’exploitation des ressources naturelles — dont l’or –, et ce malgré le discours d’aide au développement que nous aimons nous répéter.
Le facteur or
Le rythme d’extraction de l’or est en augmentation rapide au Mali. La production industrielle d’or a battu un nouveau record en 2019 en atteignant 65,1 tonnes, en progression de 7 % par rapport à 2018. L’or fournit les trois-quarts des recettes d’exportation du pays, mais faute d’activités de valorisation et de transformation en aval, sa contribution au PIB n’est que d’environ 6 à 7 %.
Les sociétés minières canadiennes sont bien implantées au Mali et leur présence est en croissance. Selon Ressources naturelles Canada, lesactifs des compagnies minières canadiennes seraient passés de 1,680 million de dollars en 2017 à 1,843 million en 2018. La présence du Canada s’est renforcée avec l’accord bilatéral sur la promotion et la protection des investissements de 2016 qui favorise et garantit les investissements canadiens au Mali.
Les solutions aux enjeux complexes auxquels est confronté le Mali (islamisme radical, pauvreté, inégalités, etc.) ne résident pas simplement dans une meilleure formation des militaires, à qui on propose pourtant de donner des cours sur la démocratie et la gouvernance.
Malgré 13 mines actives, le modèle actuel d’extraction ne suscite que très peu d’achats de biens en contenu local, peu d’emplois locaux, et peu d’effets d’entrainement sur l’économie.
Le Canada doit clarifier ses propres objectifs et atteindre une cohérence beaucoup plus grande entre ses interventions en matière d’investissement, de commerce, de sécurisation et de développement s’il veut améliorer sa coopération au Mali. Ce n’est pas le modèle actuel de mise en valeur des ressources campé dans une vision étroite de la sécurité et les manifestations de « croissance économique » à court terme qui en résultent qui réduiront les inégalités et apporteront plus de stabilité au Mali.
Vers une coopération informée par des perspectives maliennes
En cette période où émerge une nouvelle vague de conscience sur le racisme et la discrimination avec « Idle No More » et « Black Lives Matter », il est grand temps de reconnaître que les stratégies du Canada au Mali devraient être revues de fond en comble.
Le Canada sera jugé très sévèrement par la jeune génération actuelle et celles à venir si nous perpétuons et finançons des stratégies au Mali et en Afrique qui ne seraient jamais acceptables chez nous. Elles sont clairement la manifestation d’un sentiment de supériorité raciale que nous avons encore du mal à nommer.
Des alternatives existent. Valorisons les perspectives de chercheurs, intervenants et décideurs du Mali dans le but de susciter une redéfinition en profondeur de nos approches en matière de coopération. Valorisons aussi la recherche qui se fait au Canada depuis des décennies sur ce pays et la sous-région en partenariat avec des acteurs locaux. Des voix importantes de la société civile malienne lancent un appel à surmonter la déconnexion entre les milieux dans lesquels sont produits les savoirs et les cercles où les décisions se prennent.
Pourrions-nous nous en inspirer ? De telles synergies pourraient être réalisées, par exemple, en mettant en place des consortiums de réflexion qui seraient accessibles aux décideurs et aux chercheurs canadiens et maliens. Ces espaces devraient avoir pour principal objectif de briser les approches en silos : les intérêts économiques du Canada, les risques sécuritaires, les inégalités sociales, le renforcement de la démocratie ou le développement économique et social sont traités comme des questions séparées.
Mais avant toute chose, c’est aux acteurs locaux que revient la responsabilité de redéfinir les priorités de développement et non, comme c’est encore le cas aujourd’hui, aux intervenants étrangers.
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