Édition du 19 novembre 2024

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Le blogue de Donald Cuccioletta : La Gauche américaine en 2020 : Stratégies et perspectives

Le 29 mars, les employé-e-s voteront pour fonder un syndicat à Bessemer en Alabama, une première contre Amazon

Depuis le début du mois de février, 5800 travailleurs et travailleuses de l’entrepôt d’Amazon à Bessemer, en Alabama, mènent une lutte pour se syndiquer. C’est une première contre Amazon, une compagnie qui appartient à Jeff Bezos, un homme fier de nous dire qu’il a empoché 80 milliards de dollars depuis le début de la pandémie. C’est aussi la compagnie américaine reconnue comme la plus antisyndicale.

Amazon a essayé de retarder le vote syndical, mais la Commission nationale des relations de travail a rejeté cette requête, et le vote pour créer le syndicat va donc commencer le 29 mars. Le syndicat auquel les travailleurs et les travailleuses veulent adhérer est le Syndicat des détaillants, grossistes et magasins à rayons (Retail, Wholesale and Department Store Union, RWDSU). L’usine d’Amazon à Bessemer, en Alabama, est un entrepôt qui dessert plusieurs États du Sud.

L’Alabama est un État reconnu par son antisyndicalisme, une tendance particulièrement prononcée lorsqu’il était gouverné au siècle dernier par le Parti démocrate. Il ne faut pas oublier que les démocrates du Sud étaient très conservateurs, et qu’ils ont notamment soutenu l’esclavage et la ségrégation raciale. Il ne faut pas oublier non plus que Richard Nixon et Ronald Reagan ont réussi à attirer ces démocrates vers le Parti républicain, ce qui a accordé à Reagan une victoire confortable pour ses deux mandats.

D’ailleurs, les deux sénateurs démocrates qui ont permis au Parti démocrate d’obtenir une majorité au sénat en janvier 2021 étaient aussi conservateurs que les candidats républicains. Le mythe entretenu par le Président Biden que le Parti démocrate est protravailleur est mort avec le départ du président Carter. Les enseignants et les enseignantes à Chicago ont subi très vite la médecine antisyndicale de Rahm Emanuel, maire de Chicago entre 2011 et 2019 et ancien conseiller du Président Clinton.

Les conditions de travail dans cet entrepôt sont dignes de celles qui étaient imposées aux travailleurs et aux travailleuses dans les années 1930 : seulement trente minutes pour dîner, une seule pause pour une journée de huit heures, peu de toilettes sur le plancher de l’entrepôt, le salaire minimum sans possibilité d’avancement, ce qui veut dire en Alabama un salaire de crève-faim. En somme, des conditions indignes et violentes pour ces travailleurs et ces travailleuses, dont 85 % sont afro-américains et afro-américaines.

La lutte à Bessemer est devenue le point de mire de tous les militants et toutes les militantes contre l’exploitation et l’oppression raciste de Bezos et Amazon à travers les États-Unis. Cette lutte est soutenue par l’ensemble du mouvement syndical, les syndicats combatifs et même les syndicats traditionnels, ainsi que plusieurs groupes de la gauche socialiste, les nouvelles générations engagées et des progressistes qui défendent la classe ouvrière comme l’acteur Danny Glover. C’est Glover qui a quitté le Parti démocrate, puis a créé le parti populiste, qui est devenu un symbole du mécontentement envers Joe Biden pour certains électeurs et certaines électrices. Dans le Plan d’action de Joe Biden, les gens d’affaires comme Bezos vont recevoir de l’aide publique pour financer la restructuration (le RESET) du capitalisme états-unien.

La gauche socialiste, avec ses écrits et ses discours en Alabama, a démontré clairement comment l’argent public est utilisé afin de soutenir la classe capitaliste, tandis que les travailleurs et les travailleuses sont laissé-e-s pour compte dans leurs luttes pour empêcher les évictions (douze à quinze millions de ménages américains risquaient une éviction en début 2021). Il ne faut surtout pas parler de ces luttes pour défendre leurs droits démocratiques des campagnes de syndicalisation dans cette soi-disant grande démocratie américaine. Le New York Times n’a que des éloges pour leur Président Joe Biden (il lutte contre l’austérité), mais ne dit rien sur la lutte que mènent les travailleurs et les travailleuses contre Amazon à Bessemer, en Alabama, ou sur les millions de travailleurs et travailleuses touché-e-s par les évictions.

L’exemple donné par les travailleurs et les travailleuses à Bessemer va sûrement encourager la lutte syndicale aux États-Unis. Le mouvement syndical américain est dominé et contrôlé aujourd’hui par les grandes centrales comme l’AFL-CIO, les Teamsters et les syndicats de l’automobile. On observe néanmoins une nouvelle combativité dans certains syndicats, comme les enseignants et les enseignantes qui ont mené une lutte exemplaire pendant un an à travers le pays. D’autres syndicats progressistes, comme des travailleurs et des travailleuses de la restauration, majoritairement hispanophones, ainsi que les syndicats d’infirmières et d’infirmiers ont développé un syndicalisme de combat et soutiennent aussi la lutte contre Amazon.

L’opposition à Amazon fait l’unanimité parmi les socialistes, les progressistes et les partisans et partisanes du syndicalisme de combat, qui forment un large front uni pour combattre cette compagnie. Ce front uni reconnaît aussi que la lutte contre Amazon à Bessemer laisse voir aux travailleurs et aux travailleuses ce qu’ils et elles peuvent envisager après la fin de la pandémie. Le « RESET » que prévoit la classe capitaliste aux États-Unis et dans le reste du monde vise effectivement à consolider le système et à conjuguer avec la crise capitaliste en attaquant tous les mouvements et les luttes, et notamment les syndicats.

Amazon est devenu l’exemple pour la classe capitaliste de comment combattre tout mouvement de lutte, qu’il soit syndical, économique, lié à la santé publique ou politique, afin que le « RESET » demeure aux mains des capitalistes. Tous les capitalistes qui anticipent une contestation syndicale, ou plus largement de la gauche, s’inspireront du cas d’Amazon, en ciblant les travailleurs et les travailleuses qui luttent pour un syndicat, ainsi que ceux et celles qui luttent contre le racisme. Toutes les tactiques utilisées par les capitalistes viseront à diviser pour mieux régner, en affaiblissant les noyaux de résistance.

La lutte contre Amazon à Bessemer est un exemple de croisement entre la lutte des classes et la lutte syndicale. Toutes les luttes menées aux États-Unis font partie d’une chaîne construite par les différents anneaux de la lutte des classes. Le mouvement socialiste et toutes les luttes progressistes, syndicalistes, ainsi que les nouvelles générations actives dans divers combats, doivent comprendre que la classe capitaliste est unie depuis longtemps. Pour en finir avec ce système d’exploitation et d’oppression, notre unité dans la lutte des classes est essentielle, car elle nous permet d’avancer vers un avenir inspiré des luttes du passé et de celles d’aujourd’hui.

C’est ce que veut dire « Lotta Continua ».

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