Édition du 24 septembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Asie/Proche-Orient

La monnaie de notre pièce

La Chine... elle fascine et rebute tout à la fois. Depuis longtemps, règne un « imaginaire chinois » en Occident pour le meilleur comme pour le pire, marqué au coin de divers préjugés, favorables comme défavorables. « L’empire du milieu » suscite souvent des sentiments extrêmes chez nous.

Pour y voir plus clair, le discernement s’impose à son sujet, compatible avec un certain sens de l’humour de notre part. Il y faut du recul historique.

Par exemple, qu’y a-t-il de commun entre la consommation de la drogue et la Chine ?

Ceci : « la guerre de l’opium » déclenchée par les Britanniques en 1840 afin de forcer l’ouverture de l’alléchant marché chinois à la consommation d’opium jusque là sévèrement réglementé par le pouvoir impérial de Pékin. Elle se solda par la défaite chinoise et la cession de Hong-Kong à Londres en 1842. Cette initiative militaire constitua le coup d’envoi du colonialisme occidental en Chine, certaines puissances européennes désirant profiter du juteux marché chinois pour y écouler les produits de leur industrie montante et s’accaparer certaines ressources naturelles du pays. Tout à tour, Britanniques, Français, Allemands, Américains Russes et Japonais se sont taillés de zones d’influence par domination directe ou indirecte sur une partie substantielle de l’Empire du milieu, déclenchant par le fait même toutes sortes de convulsions sociales et politiques. Le régime impérial s’écroula en 1911, remplacé par l’éphémère République de Chine dirigée par Sun Yat sen, puis Chang Kaï chek à partir de 1925. S’ensuivirent une série de guerres civiles entre nationalistes et communistes, conflits qui aboutirent à leur arrivée au pouvoir en 1949 sous la gouverne de Mao Ze Dong... et au départ forcé des colonialistes occidentaux, à quelques bastion près, comme Hong-Kong et Macao. Les nationalistes pour leur part trouvèrent refuge à Taïwan qu’ils transformèrent en refuge inexpugnable sous protection américaine.

La Chine ayant enfin recouvré son indépendance nationale et sous la vigoureuse impulsion du pouvoir maoïste, elle entama la « longue marche » de son relèvement, y compris économique. Mais aussi la doctrine maoïste, d’obédience communiste se voulait aussi « universelle ». À la faveur des mouvements de contestation dans divers pays occidentaux entre la fin des années 1960 et celle des années 1970, cette doctrine (le « maoïsme ») exerça une séduction certaine sur une partie de la jeunesse étudiante gauchiste... tout en alarmant les autorités politiques et policières. On retrouve là un certain retour ironique de l’histoire : les responsables contemporains de certains pays qui avaient avaient autrefois exploité la Chine sans merci s’inquiétaient maintenant de l’influence politique chinoise sur une partie de leur propre gauche nationale !

Ce processus allait se transformer. Avec le décès de Mao (1976) on note le déclin de l’influence du maoïsme sur une partie de la gauche internationale. La Chine se réorienta pour sa part vers l’économie de marché (le « socialisme de marché » inauguré en 1979) et profita de ses avancées technologiques pour concurrencer toujours davantage le commerce occidental durant les décennies 1990 et 2000. En 2010, elle devenait la seconde puissance économique mondiale. Elle profitait du déclin économique relatif des États-Unis et des difficultés commerciales de plusieurs pays européens. Comment le lui reprocher ?

Produits et investissements chinois ont donc envahi les marchés occidentaux à divers degrés au point d’inquiéter la classe politique américaine et bien d’autres. Cela explique les actuelles négociations commerciales si épineuses entre Washington et Pékin, à l’issue incertaine.

Chose sûre, la Chine représente de nos jours un acteur majeur sur la scène internationale, situation impensable en 1898 ou 1915.

Elle rend ainsi aux puissances hégémoniques occidentales qui l’ont si longtemps pressurée la monnaie de leur pièce. La classe politique chinoise n’a guère le choix de toute manière : avec la mondialisation effrénée qui déferle un peu partout dans le monde, les pays qui n’y participent pas se condamnent à piétiner, puis à régresser.

Donc à l’inquiétude politique et idéologique que le maoïsme provoquait en Occident voici trente-cinq ou quarante ans succède maintenant l’irritation, voire la peur devant le dynamisme commercial et économique chinois. À tort ou à raison, les deux sans doute.

L’Occident balance encore et toujours entre fascination et crainte envers la Chine. Mais de nos jours les Occidentaux n’en sont plus les maîtres, mais les clients. Ils ne s’y rendent plus en soldats mais en simples touristes.

Jean-François Delisle

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