Les élections présidentielles de Côte d’Ivoire n’auront pas joué le rôle que l’on attendait. Au lieu de permettre le dépassement de la crise, elles n’ont fait que refléter la réalité et accentuer la division du pays qui s’est manifestée jusqu’à la nomination du vainqueur. La Commission électorale indépendante où l’opposition est majoritaire, a déclaré Alassane Ouattara vainqueur avec 54,1 % des voix sous l’aile protectrice de la France, des États-Unis et de l’ONU. Quant au Conseil constitutionnel, il a annulé les votes dans le nord pour fraude massive et proclamé Laurent Gbagbo président de la République.
Cette division du pays remonte à 2002 où, après l’échec d’un coup d’État militaire, les rebelles dénommés ensuite Forces nouvelles ont réussi à s’emparer de la moitié nord du pays. Depuis cette date, des structures de pouvoir se sont installées au sud, celles de Gbagbo reconnues officiellement malgré la fin de son mandat en 2005, et qui a dû accepter un Premier ministre, Guillaume Soro, issu de la rébellion à la suite des accords de paix de 2007. Au nord, les « Com’zones », comme on les appelle, sont les hommes des Forces nouvelles qui dirigent les différentes provinces et par ce biais s’enrichissent.
La Côte d’Ivoire n’en finit pas de payer les effets dévastateurs de la politique impérialiste. Les ajustements structurels imposés par le FMI et la Banque mondiale ont littéralement jeté la population dans la misère. Comme dans tous les pays, qu’ils soient africains ou non, plus la misère progresse, plus le racisme et la xénophobie gagnent du terrain. La Côte d’Ivoire n’a pas échappé à ce constat. Les dirigeants comme Bédié ou Gbagbo n’ont pas hésité à utiliser la notion d’ « ivoirité » pour garder le pouvoir, déclenchant des politiques de stigmatisation des populations du nord du pays, majoritairement musulmanes, issues pour certaines des vagues d’immigrations des pays du Sahel.
Huit ans après le déclenchement de la crise, on en est toujours au même point. Certes les deux candidats ont des parcours et des histoires différentes. Alassane Ouattara, ancien Premier ministre de Houphouët-Boigny est l’homme des puissances occidentales. Il n’a pas hésité une seule seconde à appliquer les politiques du FMI qu’il a intégré par la suite comme directeur général adjoint. Au second tour des élections, il bénéficie du soutien de Bédié, celui-là même qui a contesté son « ivoirité » et son droit à se présenter aux élections de 1995. Gbagbo, fondateur du Front populaire ivoirien, a longtemps été un opposant de Houphouët-Boigny. Il a connu la prison et l’exil et a remporté des élections de 2000 qu’il qualifie lui-même de calamiteuses.
Le parcours de Gbagbo et sa rhétorique ne doivent pas faire illusion. Il n’a pas hésité à demander l’intervention de la France, dans le cadre des accords militaires, contre les Forces nouvelles. Sous son règne, les entreprises françaises ont fait des affaires florissantes. Bolloré a bénéficié de contrats passés de gré à gré pour la gestion du terminal des conteneurs du port d’Abidjan et gère le transport ferroviaire. Bouygues conserve la distribution de l’eau et de l’électricité. Vinci assure la construction du palais présidentiel de Yamoussoukro.
Gbagbo a utilisé lui aussi le concept « d’ivoirité » pour renforcer son pouvoir. Ses partisans ont éliminé des opposants, des syndicalistes et militants communistes. De nouveau tous les éléments sont réunis pour un scénario catastrophe où les populations vont s’entredéchirer au profit de dirigeants corrompus des différents clans de la bourgeoisie. Une telle impasse n’est pas inéluctable si le mouvement syndical et les organisations de la société civile font entendre une autre voix, celle des opprimés et des exploités.