Édition du 19 novembre 2024

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Le mouvement des femmes dans le monde

L’exploitation du travail domestique et son articulation avec l’exploitation salariale dans le capitalisme – Ou le féminisme matérialiste revisité, 2

tiré de : Entre les lignes et les mots 2018 - 5 - 3 février : Notes de lecture et textes

Publié le 2 février 2018

Extrait du manuscrit LE FÉMINISME ATTAQUE LE MAL À LA RACINE

Marseille, novembre 2016 – déc. 2017 joel.martine@free.fr

Chapitre L’EXPLOITATION DU TRAVAIL DOMESTIQUE ET SON ARTICULATION AVEC L’EXPLOITATION SALARIALE DANS LE CAPITALISME

ou LE FÉMINISME MATÉRIALISTE REVISITÉ, 2

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Dans ce chapitre nous commencerons par prendre la mesure de l’inégalité entre hommes et femmes dans la répartition du travail domestique dans la famille. Nous nous interrogerons sur les causes de la persistance actuelle de cette inégalité malgré les avancées de l’égalité dans d’autres domaines depuis le milieu du XXème siècle. En d’autres termes le travail domestique apparaît comme le lieu d’une panne ou d’un blocage dans la dynamique égalitaire. Un autre lieu de blocage manifeste est le travail salarié, où persiste une importante inégalité des rémunérations et des carrières ; or l’une des causes de l’inégalité salariale est la moindre disponibilité des salariées femmes due à l’inégalité dans la charge du travail domestique1. Il y a une boucle de renforcement entre ces deux inégalités. L’objectif politique de notre questionnement sera d’esquisser une stratégie pour l’égalité dans le travail domestique. Nous devrons pour cela préciser la spécificité de ce qu’on appelle les rapports de production domestiques, et nous interroger sur les composantes psychiques et « micro-politiques » (les rapports de pouvoir entre les individus) de l’organisation domestique du travail. On parlera ensuite de l’articulation, à la fois synergie et conflit, entre la domination masculine et le capitalisme (voir chapitre suivant). Enfin on évoquera quelques-unes des actions possibles pour défaire ce système. (Cette question sera reprise dans le chapitre sur l’écoféminisme). Nous discuterons entre autres de propositions comme le salaire maternel et le revenu de base garanti. Ici encore, le féminisme attaque le mal à la racine : il nous met au défi de penser une réponse à l’exploitation à la fois sur le terrain du travail en entreprise et du travail domestique.

L’évidence de l’exploitation domestique dans notre société ; sa différence et son autonomie vis-à-vis de l’exploitation capitaliste : la thèse la plus connue de Christine Delphy

Quand on mesure le nombre d’heures par jour consacrées au travail domestique dans les sociétés industrialisées actuelles, on est frappé par deux observations : l’importance de l’inégalité entre hommes et femmes, et le fait qu’elle n’a pratiquement pas changé entre le début des années 1970, où la dénonciation de cette inégalité a percé dans l’opinion publique et a commencé à influencer les politiques publiques, du moins officiellement, et aujourd’hui les années 2010, alors que dans ce laps de temps il y a eu dans beaucoup d’autres domaines des progrès notables de l’égalité.

Chez les personnes célibataires, en France, les femmes passent en moyenne 2 heures ¾ par jour aux tâches ménagères, les hommes 2 heures ¼, soit une demie-heure de moins2.

Dans un couple hétérosexuel sans enfants, la femme passe en moyenne 3h1/4 aux tâches ménagères, l’homme 1h1/4.

Donc par le simple fait de se marier ou de vivre en couple, l’écart se creuse : un homme passe une heure de moins par jour aux tâches ménagères, une femme une heure et demie de plus. Le simple fait de vivre en couple met en place une relation d’exploitation : la femme travaille pour l’homme plus qu’il ne travaille pour elle.

Les chiffres sur lesquels nous raisonnons ici sont valables en gros. Ce sont des moyennes. Pour bien analyser les facteurs en jeu il faudrait observer le détail des chiffres selon la diversité des situations. D’autre part le terme « tâches ménagères » est un peu imprécis et réducteur ; pour être plus précis et plus complet il faudrait distinguer et additionner différentes activités d’entretien de la vie familiale (cuisine, nettoyage, rangement, courses, linge, démarches administratives, entretien des relations familiales). Mais nous nous contentons ici de chiffres « en gros » car nous entendons uniquement attirer l’attention, de façon « macroscopique »3, sur l’effet de masse de l’inégalité. Ces chiffres sont extraits d’un petit livre de Christine Delphy, Pour une théorie générale de l’exploitation, M éditeur, 2015. Ce livre est un bilan d’une réflexion commencée avec la publication en novembre 1970 de l’article « L’ennemi principal » dans la revue Partisans, numéro spécial « Libération des femmes. Année zéro ». Voir recueil d’articles de Delphy : L’Ennemi principal, tome1. Économie politique du patriarcat, éd. Syllepse, 2013.

Continuons. Lorsque l’enfant paraît, l’écart se creuse davantage :

Dans un couple avec 1 enfant, la femme passe 4 h ½ aux tâches ménagères.

Avec 2 enfants, presque 5 h.

Avec 3 enfants, 5 h ½.

Pendant ce temps-là le temps de travail ménager de l’homme ne change pas : qu’il ait zéro, 1, 2 ou 3 enfants, l’homme en couple fait toujours en moyenne 1 h ¼ de travail.

Dans un couple avec un ou plusieurs enfants, la femme passe en moyenne 4 h ¾ aux tâches ménagères. Autrement dit les tâches ménagères dans les couples avec enfants sont assumées à peu près à 80% par les femmes, à 20% par les hommes4.

En fin de compte, même si l’on peut toujours discuter sur la diversité des situations concrètes cachées par les moyennes, il faut se rendre à l’évidence : les hommes bénéficient d’un énorme privilège. Certes, ce partage du temps n’est peut-être pas aussi injuste que ce qu’indiquent les chiffres bruts : admettons qu’on trouve parfois du plaisir et même un certain épanouissement dans les tâches ménagères (mais alors pourquoi les femmes plus que les hommes ??). Mais cela ne justifie aucunement l’ampleur de l’écart entre les temps de travail ménager des hommes et des femmes dans le couple. Il y a là clairement un rapport d’exploitation du travail.

On pourrait penser que cette répartition du travail n’est pas nécessairement inégalitaire ni injuste. L’épouse est co-bénéficiaire du revenu que le mari rapporte au foyer grâce à son travail comme salarié ou comme entrepreneur. Et si l’on compare le temps et les efforts de travail que les conjoints fournissent à l’extérieur, l’apport du mari est souvent plus important. Fréquemment (pas toujours) l’épouse travaille moins à l’extérieur que le mari : elle est « sans emploi »5, elle « ne travaille pas »6, ou elle occupe un emploi à temps partiel (80 % des temps partiels en France sont occupés par des femmes), ou encore, même à temps complet elle occupe un emploi qui demande moins d’investissement psychique : moins de responsabilités (ce n’est pas toujours le cas !), moins de perspectives de carrière (c’est plus fréquent ! ) donc moins de compétition pour la carrière. En somme si l’on considère le couple comme une équipe de travail, chacun-e fait sa part, l’ensemble des bénéfices sont partagés (le plus souvent et en gros), et ce partage n’est pas nécessairement inégalitaire. Cela dit, le fait que les hommes rapportent plus au ménage ne signifie pas que les femmes soient moins exploitées au total que les hommes, puisque les emplois féminins sont moins payés (en moyenne les revenus salariaux des femmes sont un quart inférieurs à ceux des hommes), moins valorisés comme on vient de le voir, souvent plus contraints (horaires de temps partiel dispersés dans la journée, emploi précaire) et non moins pénibles, bref l’inégalité dans le travail à l’extérieur s’ajoute à l’inégalité dans le travail domestique. Au total, l’effort de travail fourni par l’épouse est en moyenne supérieur à celui fourni par le mari, et même si les revenus du ménage profitent à égalité aux deux on peut dire qu’il y a exploitation.

Comme les femmes passent dans l’ensemble plus de temps à travailler que les hommes, elles ont moins de temps pour les loisirs et la citoyenneté. Moins de disponibilité mentale aussi (même si cette conclusion est à nuancer, comme le montre l’importante implication actuellement des femmes dans la vie associative). Donc au total les hommes ont une plus forte position de pouvoir dans la société (là aussi c’est à nuancer).

Si le surplus de travail domestique effectué par l’épouse était une compensation (plus ou moins équitable) au surplus de travail professionnel effectué par le mari, on pourrait s’attendre à ce qu’une moins grande part du travail domestique incombe à l’épouse qui travaille à l’extérieur qu’à celle qui est sans emploi. Or en moyenne ce n’est pas le cas, ou très peu : quand l’épouse travaille à l’extérieur, elle ne travaille pas moins au foyer, et son mari pas plus. Ce fait tend à montrer que la répartition du travail domestique obéit à des causes psychiques et sociales qui lui sont propres et n’est pas simplement une conséquence économique du fait que le temps et l’énergie des hommes sont déjà occupés par leur emploi salarié.

Certes dans la société capitaliste le travail domestique tend à fonctionner non comme une fin en soi mais comme une annexe du travail professionnel : c’est l’entretien de la force de travail (nourrir les travailleurs, les habiller, etc., faire faire des études aux enfants). Mais l’organisation du travail domestique, et surtout son inégale répartition selon le genre, ne sont pas directement déterminées par les exigences du travail dans les entreprises et du marché du travail. Il y a ici une certaine autonomie de ce qu’on appelle en termes marxistes les rapports de production domestiques, marqués par la domination masculine.

On doit à Christine Delphy la démonstration de cette thèse « féministe radicale7 », en réfutation de la thèse défendue par une bonne partie des « féministes de lutte de classe » des années 1970, qui ne voyaient dans l’exploitation du travail domestique des femmes qu’une composante ou un prolongement de l’exploitation capitaliste. La thèse des féministes de lutte de classe sur ce point justifiait de donner au conflit hommes-femmes un rôle secondaire vis-à-vis du conflit de classe, et éventuellement de mettre en veilleuse le conflit hommes-femmes au sein de la classe ouvrière au nom du « prolétaires unissez-vous ». À l’opposé, la reconnaissance du fait que l’exploitation des femmes par les hommes dans la production domestique a ses ressorts propres conduit à reconnaître la famille comme un terrain universel et actuel de lutte économique féministe (… et fonde la solidarité sur ce point entre les femmes des sociétés capitalistes et celles des sociétés féodales et tribales actuelles).

Certes le capitalisme instrumentalise l’économie domestique : le fait que l’entretien de la force de travail soit assuré dans la famille par du travail non payé permet de maintenir les salaires (directs et indirects) à un niveau relativement bas. Mais ce mécanisme économique capitaliste n’explique pas pourquoi c’est aux femmes qu’incombe la plus grande part du travail domestique.

L’exploitation des femmes dans le travail domestique existe depuis bien avant le capitalisme. Ce qui est à expliquer, c’est comment ce rapport d’exploitation se maintient dans les sociétés capitalistes actuelles.

La notion d’exploitation du travail d’autrui : quelques généralités philosophico-économiques

Explicitons ce que nous entendons par exploitation. Au départ on peut définir le travail en un sens large et anthropologiquement universel comme une activité

– qui d’une part est faite pour produire des effets utiles (ou considérés comme utiles) grâce à des savoir-faire,

– et qui d’autre part est faite par contrainte vitale ou sociale (au moins en partie, ce qui différencie le travail du loisir, même productif comme peut l’être par exemple le jardinage non professionnel), de sorte que le travailleur accepte de se soumettre aux règles techniques du travail malgré leurs désagréments, nuisances et contraintes (le temps qu’on y passe, la fatigue, le dégoût, etc.).

D’un côté le travail a un aspect d’utilité par ses effets, et d’auto-formation voire d’épanouissement par les savoir-faire qu’il développe. À ce double titre, le travail est un facteur de liberté : il diminue les contraintes, il développe les possibilités humaines. D’un autre côté le travail est un asservissement, il est fait de contraintes qui souvent s’opposent à l’épanouissement humain. Alors à partir de cette polarité des effets positifs et négatifs du travail sur l’épanouissement humain on peut définir un concept universel d’exploitation : lorsque quelqu’un (ou tout une partie de la société) profite des choses ou des effets utiles produits par le travail de quelqu’un d’autre tout en se déchargeant sur lui (ou sur elle !) des contraintes et des désagréments de ce travail, que ce soit en le/la contraignant ou en l’incitant à travailler, cela s’appelle l’exploitation du travail d’autrui.

Dans la production capitaliste de valeur, l’exploitation du travail est clairement mesurable. La valeur produite par le travail est quantifiable : c’est la valeur d’échange ajoutée aux produits : la différence entre le prix des matières premières et du renouvellement des machines et le prix auquel on vendra le produit. Selon les termes du contrat salarial comme échange d’un service de travail contre une rémunération, la totalité de la valeur du produit appartient à l’employeur c’est-à-dire fondamentalement aux détenteurs du capital. Derrière son apparence d’égalité l’échange d’un travail de production contre de l’argent est un acte de dépossession. Et l’employeur donne une fraction de cette valeur aux travailleurs : c’est le salaire (direct et indirect). La différence entre la valeur totale produite par le travail et la rémunération salariale de ce travail, ce que Marx appelle la plus-value, est une mesure chiffrée de l’exploitation. Cela est très clair si l’on compare la répartition de la valeur créée dans une entreprise capitaliste et dans une coopérative de travail (pour simplifier la comparaison nous prenons ici comme exemple une SCOP dont la comptabilité épouse de près les rubriques de celle d’une entreprise capitaliste). Les travailleurs d’une SCOP, comme ceux d’une entreprise capitaliste, se soumettent à la discipline du travail pendant un certain nombre d’heures en échange d’un salaire mensuel. La SCOP produit des bénéfices comme une entreprise capitaliste. Simplement ces bénéfices restent propriété des travailleurs. Une part est donnée à chacun individuellement sous forme de participation aux bénéfices, en général annuelle, à proportion de la part de capital possédée par chacun, comme le sont les profits et les dividendes payés aux actionnaires par les entreprises capitalistes. Une autre part reste propriété de l’entreprise et sera utilisée pour des investissements ultérieurs. Cette autre part appartient aussi aux travailleurs, mais collectivement puisqu’ils sont copropriétaires de l’entreprise. La comparaison met en évidence le fait que dans l’entreprise capitaliste les salariés sont victimes d’une dépossession, mesurable en valeur monétaire. La comparaison montre aussi les aspects non strictement mesurables mais qualitatifs de l’exploitation : les travailleurs d’une SCOP, étant propriétaire collectif du capital, prennent eux-mêmes en assemblée les décisions stratégiques de l’entreprise (c’est la démocratie – dans la mesure toutefois où le pouvoir n’est pas confisqué par les managers, mais c’est une autre histoire) et restent même maîtres de l’organisation collective de leur travail (c’est l’autogestion – laquelle, même remarque, est souvent plus ou moins écrasée par le pouvoir des managers). Par contraste, le salariat capitaliste est un rapport de pouvoir fondamentalement asymétrique, un rapport de subordination – même si les salariés ont un certain pouvoir sur la politique de l’entreprise et l’organisation de leur travail. C’est l’aspect qualitatif de l’exploitation capitaliste. Dans le capitalisme il y a une aliénation du travail non seulement quantitative (les détenteurs de capital volent aux salariés une partie du produit de leur travail) mais qualitative (l’organisation du travail est imposée aux salariés en vue de la production de profit et de l’accumulation de capital8).

Voyons maintenant comment cette notion d’exploitation s’applique au travail domestique.

Spécificité des rapports de production domestiques

Le travail fourni dans le cadre de la famille n’est pas rémunéré par un échange quantifié, il est fourni par chacun.e des membres de la famille comme un don gratuit. L’épouse n’est pas une salariée de son mari, ni de la famille comme entreprise9. Néanmoins la dimension quantitative de l’exploitation apparaît avec évidence quand on mesure les heures de travail des femmes et des hommes.

On peut se demander pourquoi les femmes acceptent un tel niveau d’inégalité dans la répartition du travail domestique – alors que beaucoup d’entre elles s’en plaignent ouvertement.

Marx a posé la même question en ce qui concerne les travailleurs salariés. Sa réponse est nette : c’est parce que les travailleurs ne disposent pas des moyens de production. Individuellement, ce qui amène le travailleur à louer sa force de travail à ceux qui possèdent le capital, c’est que lui-même ne possède pas les moyens de travail qui lui permettraient de « se mettre à son compte ». Et collectivement, la classe ouvrière n’est pas suffisamment forte pour imposer des institutions économiques qui défassent le pouvoir qu’a le capital sur et par le marché.

Or en ce qui concerne le travail domestique les femmes ne sont pas face aux hommes dans une telle situation de prolétaires sans autre ressource que de mettre leur force de travail au service d’un homme. Ou pas exactement. Certes, dans les pays où les règles d’héritage sont défavorables aux femmes, et où l’accès à un emploi rémunéré est interdit à beaucoup d’entre elles, elles sont dépendantes de leur mari qui apporte l’argent du ménage, et de leur belle-famille ou de leur famille d’origine qui contrôlent les patrimoines. Mais ce n’est pas le cas dans les pays (en Europe entre autres) où l’héritage est égalitaire depuis deux siècles (même si dans les faits ce sont les hommes qui contrôlent l’usage le plus lucratif des capitaux hérités grâce à leur savoir-faire économique et à leurs relations) et où les femmes ont accès au marché du travail avec des salaires qui souvent permettent l’autonomie (même s’ils sont plus bas que ceux des hommes). Si dans ces pays le partage des tâches ménagères est toujours aussi inégalitaire que dans les années 1960, ce n’est pas parce qu’elles sont économiquement dépendantes de leur mari (une preuve en est que c’est souvent la femme qui prend l’initiative de demander le divorce). Bref, contrairement au rapport d’exploitation entre les classes sociales proprement dites, l’exploitation entre les classes-de-genre n’est pas déterminée fondamentalement par des positions différentes sur le marché ou dans le contrôle des moyens de production, ou plutôt elle ne l’est plus de manière décisive.

Comment alors expliquer la persistance actuelle de l’exploitation du travail domestique des femmes par les hommes, alors que le rapport de force entre les genres dans l’échange économique s’est clairement amélioré en faveur des femmes ?

Allégeance et exploitation : la comparaison avec le servage

On a souvent comparé la condition des femmes dans le patriarcat à celle des serfs au Moyen-Âge. Au sein de la famille, comme dans le servage, l’autorité du dominant est « extra-économique » : elle ne repose pas sur sa position dans le marché comme dans le salariat capitaliste, mais sur un lien d’allégeance entre les personnes, largement modelé par la tradition. Continuons la comparaison. Dans le servage, un échange global de produits et de services de travail est légitimé par l’allégeance des serfs à leur seigneur, légalisée par la coutume et intériorisée par la tradition. Le serf, contrairement au salarié dans le capitalisme, n’est pas considéré comme « libre ». Enfin l’allégeance des serfs n’est pas due seulement à la coutume, mais à la crainte de violences de la part des seigneurs voisins, et de châtiments de la part du seigneur reconnu comme maître politique. Or, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, il y a à l’origine de l’autorité des hommes sur les femmes dans la famille, qui est le coeur du patriarcat, un même rapport de subordination où se mélange la menace de violence et la protection contre la violence des autres mâles, et, en réponse, l’allégeance des femmes aux hommes qui les dominent et les protègent, allégeance contrainte, acceptée, voire calculée10. Les dominées ont intériorisé la soumission, elles l’acceptent comme un ordre naturel et la reproduisent dans leurs propres habitus (ce que Bourdieu appelle la « violence symbolique »).

Mais pourquoi cet habitus dure-t-il encore ? Peut-être est-ce provisoire…

Fonction du sentiment conjugal et familial

C’est probablement la peur d’un conflit affectif qui retient les épouses de revendiquer avec force l’égalité ménagère face à l’inertie des maris. La raison souvent donnée par les femmes pour ne pas exiger de leur mari une participation égale aux tâches ménagères est la crainte qu’il ne perçoive une telle attitude revendicative de leur part comme une remise en cause du lien conjugal.

La relation entre les conjoints n’est pas un rapport contractuel de prestation de service comme entre une femme de ménage et sa patronne. C’est le sentiment amoureux et/ou la co-parentalité qui soudent la relation et la soustraient à des négociations trop explicites. En gros il l’exploite mais ils s’aiment.

Le poids des savoir-faire et des traditions

Il y a aussi la différence des savoir-faire, transmise par l’éducation et les rôles traditionnels. Mais depuis quelques dizaines d’années cette différence est mise en cause et elle s’érode. Et surtout elle n’est pas en soi un obstacle insurmontable à la diminution de l’inégalité quantitative des temps de travail. Par exemple un mari est capable effectuer des tâches routinières comme le ménage et la vaisselle, même à supposer qu’il le fasse moins bien que son épouse ; il est capable de faire la plupart des courses, même si l’épouse s’y connaît mieux dans le choix des achats.

Enfin l’évitement du travail ménager par les hommes peut s’expliquer aussi par un manque de motivation : dans l’ensemble les hommes ont moins que les femmes le goût du travail ménager et notamment du travail ménager bien fait ; ils ne cherchent pas l’excellence dans ce domaine ; ils se sentent moins responsables de la bonne tenue du ménage. Cela est lié à la différence des savoir-faire, mais aussi à un habitus de privilégié, l’habitude de se faire servir. Et du côté féminin il y a la fierté d’être reconnue comme une travailleuse domestique aux œuvres impeccables (la « fée du logis »). Mais ces différences de motivation et de « savoir-être » dans la culture des genres peuvent considérablement être diminuées avec un peu de prise de conscience, de bonne volonté et d’éducation. Pourquoi ne le sont-elles pas, malgré les proclamations d’égalité, et malgré un rapport de force économique entre hommes et femmes moins défavorable que par le passé ?

En somme, le maintien actuel de l’exploitation domestique s’explique, tant du côté masculin que féminin, par une intériorisation de la domination de genre dans les rôles familiaux. On en revient à la question :

Comment s’explique psychologiquement la soumission à la domination ?

Pour expliquer ce qu’on pourrait appeler la tolérance des femmes à leur exploitation domestique, il importe de se poser des questions sur la psychologie des sentiments et des rôles de genre impliqués dans la division domestique du travail. Pourquoi est-ce plutôt la femme qui a peur que son mari réagisse mal si elle se révolte contre le partage inégal des tâches ? pourquoi le mari n’a-t-il pas peur que son épouse réagisse mal quand il joue l’inertie ? pourquoi après tout les sentiments et l’attachement entre les conjoints conduisent-ils au maintien du statu quo plutôt qu’à un partage plus égalitaire ? comment fonctionne psychologiquement dans les sentiments conjugaux cette soumission implicite ? et qu’est-ce qui fait qu’elle perdure ?

Je n’ai pas de réponse décisive à ces questions. Une grande partie des réponses se trouvent dans les ouvrages de Bourdieu. Cet auteur a montré que la domination est incorporée : inscrite dans les habitus corporels. Il a montré aussi que la domination s’inscrit dans l’ordre symbolique : dans notre représentation d’ensemble du monde. Mais il me semble que cela ne répond pas à une question fondamentale : pourquoi après tout y a-t-il cette domination ? N’ayant pas de réponse générale décisive à cette question, je souhaite d’autant plus qu’elle reste posée.

Revenons-en à la façon dont cette question se pose dans le moment actuel de l’histoire. Répétons-le, il y a un contraste entre l’importance des remises en cause et des modifications que connaissent depuis quelques dizaines d’années les savoir-faire, les sentiments et les savoir-être dans la sphère publique, dans le travail salarié, ainsi que dans l’intimité amoureuse et sexuelle, et d’un autre côté la persistance des sentiments et des savoir-être impliqués précisément dans la division du travail domestique. On a l’impression que les changements dans la culture des genres impulsés par les dynamiques du marché du travail, des technologies, mais aussi de la volonté d’épanouissement des individu.e.s, sont comme bloqués par quelque chose de plus puissant sur le seuil du travail domestique.

On peut trouver un élément d’explication de ce blocage en revenant à l’idée selon laquelle une certaine dose de soumission des femmes fait partie de la normalité de l’économie capitaliste, normalité qui s’est épanouie et légitimée aux XIXème et XXème siècles.

Patriarcat et exploitation capitaliste

Bien que l’économie capitaliste repose sur une autre logique que le patriarcat, elle le conforte à certains égards, et cela peut expliquer que l’histoire de l’émancipation des femmes dans l’Occident moderne soit celle d’un progrès certes réel mais freiné et inabouti.

L’exploitation capitaliste ne se réduit pas à l’exploitation du travail salarié. C’est l’ensemble du ménage qui est exploité dans le rapport salarial. De fait le salaire ne rémunère pas seulement le travail effectué dans l’entreprise, mais aussi le travail domestique d’entretien du travailleur. Cela s’exprime d’ailleurs par le sentiment de solidarité de classe entre les salariés hommes, surtout ceux qui font un travail très difficile ou dangereux, les mineurs par exemple, et leurs épouses qui travaillent au foyer. En termes marxistes le salaire ne représente pas seulement les frais d’entretien de la force de travail du salarié lui-même, mais aussi les frais d’entretien de la force de travail de l’épouse qui par son travail entretient la force de travail du salarié. Le mensonge est double : le salaire est censé représenter la valeur de ce que le travail du salarié apporte à l’entreprise, or d’une part cela masque le fait qu’il ne représente qu’une partie de cette valeur (ce que Marx a démontré), mais d’autre part cela masque le fait que le travail domestique d’entretien du travailleur concourt aussi à la production dans l’entreprise. De fait le salaire du salarié sert aussi à rémunérer le travail domestique, mais sans le mesurer explicitement. Le travail domestique est passé sous silence par le rapport salarial11.

Dans le capitalisme la famille est devenue un facteur de la production de valeur par l’entreprise, mais un facteur maintenu à l’arrière-plan et laissé plus ou moins invisible.

En somme le capitalisme exploite directement le travail des salarié-e-s en les soumettant à l’autorité des contremaîtres, et indirectement le travail domestique des femmes en les soumettant à l’autorité de leur mari. L’exploitation domestique patriarcale ne vient pas du capitalisme, elle n’est pas logiquement nécessaire à l’existence du rapport salarial capitaliste, mais le capitalisme l’intègre et l’instrumentalise. Pas toujours, pas seulement, mais souvent, et c’est le modèle dominant historiquement et encore de nos jours12.

D’un autre côté, en proposant des emplois salariés aux femmes, en les mettant en concurrence avec les hommes, et en proclamant la liberté de l’individu sur le marché du travail, le capitalisme offre aux femmes des opportunités de conquérir une indépendance économique vis-à-vis de leur mari ou de leur père. Mais par ailleurs les emplois proposés aux femmes utilisent très souvent les savoir-faire (couture, cuisine, services à la personne, etc.) et les « savoir-être » (empathie, sollicitude, obéissance) qu’elles ont acquis dans le travail domestique, compétences qui par conséquent ne sont pas rares sur le marché, donc peuvent être sous-payées, et d’ailleurs ne sont souvent même pas reconnues comme des qualifications professionnelles puisque le modèle de l’emploi salarié tend à rendre le travail domestique invisible et sans valeur. De plus le poids des tâches domestiques imposées par l’exploitation patriarcale handicape les femmes dans la compétition pour les carrières professionnelles les plus rémunérées et les plus prestigieuses. On constate que le fait de se marier donne le plus souvent une impulsion à la carrière professionnelle de l’homme et agit comme un frein sur celle de la femme. À cet égard le capitalisme, parce qu’il se combine avec le patriarcat, entretient l’infériorité économique des femmes et leur dépendance économique et psychique vis-à-vis des hommes de leur famille, ainsi que la supériorité symbolique des hommes. Par exemple dans le capitalisme du XIXème siècle la dissymétrie hommes-femmes dans l’échange économico-sexuel est restée très forte : la paupérisation des femmes de la classe ouvrière a entraîné un boom de la prostitution ; d’autre part il était considéré comme normal que le salaire d’une femme ne suffise pas à couvrir ses besoins, donc les femmes salariées étaient censées se marier ou se faire entretenir par un amant13.

Depuis le XXème siècle le principe de l’égalité du salaire des hommes et des femmes pour le même travail est reconnu par la loi ; en matière de qualification professionnelle, les femmes ont dépassé les hommes en ce qui concerne la scolarisation générale, et sont en train de rattraper leur retard dans les qualifications les plus avancées et les plus rémunératrices. Les préjugés sexistes contre l’embauche des femmes et leur nomination à des postes de responsabilité tendent à s’atténuer. De plus en plus les managers se rendent compte que les entreprises ont besoin de l’apport quantitatif et qualitatif de salariées femmes à tous les niveaux. Mais comme la charge du travail domestique incombe très majoritairement aux femmes, elles ont moins de temps et d’énergie que les hommes pour conquérir les postes de travail les mieux rémunérés, elles occupent beaucoup plus que les hommes des emplois à temps partiel, elles progressent moins dans la hiérarchie, elles ont plus souvent des interruptions de carrière… Au total les revenus du travail d’une femme sont environ un quart moins élevés en moyenne que ceux d’un homme, et cette situation tend à stagner depuis plusieurs dizaines d’années dans les pays capitalistes avancés. Donc le surplus de travail domestique des femmes entretient leur disqualification relative dans le travail salarié. Mais la causalité en sens inverse existe aussi ! Les contraintes de la compétition professionnelle propres au capitalisme entre les salariés (et entre les entrepreneurs) absorbent tellement l’énergie des travailleurs (aussi bien dans les travaux pénibles de simple exécution que dans les fonctions de direction) qu’elles rendent difficile une hausse de l’engagement des hommes dans le travail domestique et la remise en cause de l’inégalité et des rôles de genre dans ce domaine. À cet égard l’exploitation domestique est confortée en tant que réponse sexiste aux contraintes générées par le marché du travail capitaliste et la position subalterne des femmes sur ce marché : puisque la compétition professionnelle impose un haut niveau de mobilisation du travailleur, il peut être préférable que dans un couple l’un-e des deux ne travaille pas à l’extérieur, ou pas trop, et reste à la maison pour assurer « l’arrière » pendant que l’autre va « au front » (pour employer une métaphore militaire)… et comme les salaires des femmes sont plus bas il peut être « économiquement rationnel » d’un point de vue familial et à court terme, que la femme reste à la maison14 et que l’homme soit déchargé des tâches domestiques. D’où un cercle vicieux de renforcement mutuel entre l’inégalité domestique et professionnelle. Mais cela n’explique pas pourquoi ce sont les femmes qui sont systématiquement exploitées dans le travail domestique, et plus exploitées que les hommes dans le travail professionnel.

Il y a donc une articulation, des contraintes mutuelles, des boucles de renforcement entre les rapports de production dans l’entreprise et ceux dans la famille, ce qui tend à entretenir le schéma psychique de la domination patriarcale. L’exploitation dans la famille et dans l’entreprise doivent donc être contestées ensemble, et c’est l’ensemble des formes de travail qui doivent être réorganisées d’un point de vue féministe15.

Avec le développement du capitalisme se sont affirmées des dynamiques de déconstruction du patriarcat : dans l’organisation de la société le marché et l’État tendent à remplacer les rapports familiaux. Par ailleurs les droits acquis par les femmes tendent à éroder les pouvoirs masculins. En contraste avec le patriarcat organique et s’auto-reproduisant des sociétés lignagères traditionnelles, et en contraste avec l’ordre autoritaire des genres qui a présidé aux débuts du capitalisme, nous avons affaire depuis le XXème siècle à un patriarcat désarticulé. Mais les lignes de conflit entre hommes et femmes typiques de l’histoire humaine n’en sont pas moins actives actuellement. Pour lutter contre l’exploitation du travail des femmes il faut essayer de repérer précisément et de défaire les facteurs qui ont fait que les conquêtes égalitaires du XXème siècle se sont arrêtées au seuil des tâches domestiques.

Le travail domestique, lieu d’une autonomie ambiguë

Reprenons la comparaison avec le servage. Dans le servage la classe dominante ne s’abaisse pas à organiser le travail des dominés comme dans l’esclavage ou dans le salariat. Elle se contente de les contrôler par l’idéologie et par la violence. Dans l’ordre féodal les serfs organisaient eux-mêmes leur travail dans le cadre des familles et de la communauté villageoise, à laquelle le seigneur était censé reconnaître des droits. En principe le servage n’est pas l’esclavage (bien que servage, esclavage et salariat puissent cohabiter). L’esclave est une marchandise (« le nègre est un meuble » dit cyniquement le Code Noir de Louis XIV) et le propriétaire dispose de lui et organise son travail (c’est un « instrument parlant » dit Aristote). En contraste les serfs sont « attachés à la glèbe » : le seigneur n’a en principe pas le droit de les vendre en les séparant de leur terre, ni de vendre la terre sans les serfs. La relation d’allégeance oblige aussi le dominant. Dans le servage l’exploiteur dédaigne organiser le travail des dominés, et par là leur reconnaît le droit d’organiser eux-mêmes leur travail sous réserve qu’ils ne remettent pas en cause ses prérogatives. Or il en va de même dans l’exploitation domestique : la tenue du ménage reste l’apanage de la femme, la « maîtresse de maison ».

D’où l’ambiguïté de la culture domestique patriarcale. L’épouse n’est que la « première servante » du chef de famille, mais au quotidien le foyer est son domaine, elle organise son espace et son temps de travail, elle est « la fée du logis », son savoir-faire lui donne un pouvoir, elle est même l’intendante de la famille. À certains égard le dominant est dépendant de la dominée, comme dans la fameuse dialectique du maître et de l’esclave chez Hegel. Dissymétrique, le rapport de pouvoir est néanmoins réciproque.

D’autre part la relation entre les conjoints dans la famille patriarcale n’est pas que d’autorité, elle est également de solidarité. Lieu de vie commune, la famille est évidemment un lieu de solidarité, de résilience, voire de résistance à l’exploitation. La femme peut légitimement faire appel au principe de solidarité pour négocier face à son mari le niveau de l’exploitation.

Le care dans la famille n’est pas que soumission, il comporte un potentiel d’empowerment individuel,

… et parfois collectif, dans la mesure où il y a des liens de convivialité et de coopération entre les femmes au foyer. Par exemple, il arrive que les voisines s’entraident pour la garde des enfants ; cette entraide peut être organisée sous la forme de crèches associatives (et fréquemment une démarche d’égalité s’installe dans la participation des parents aux tâches de la crèche). Autre exemple : les mères sont actives dans les associations de parents d’élèves, forme quasi-syndicale d’association qui s’appuie sur les rôles parentaux et leur donne un prolongement dans l’espace public. Autre exemple, certains centres sociaux proposent des groupes de couture, lieux d’entraide entre femmes à partir de leurs savoir-faire domestiques. Mais avec l’offre de vêtements bon marché dans la « société de consommation », peu de personnes se sentent concernées par ces activités. On voit dans cet exemple que le capitalisme moderne, plus précisément la colonisation de l’espace domestique par le marché capitaliste, tout en allégeant le travail domestique des femmes, a brisé la part d’autonomie économique individuelle et collective qu’elles pouvaient avoir grâce à ce travail.

Par contraste, on peut citer un exemple par excellence d’une continuité entre le travail domestique des femmes et leur affirmation collective dans la sphère publique : la coopérative de consommation Seikatsu Club au Japon. Les unités de base de cette coopérative sont des groupes de familles, de fait des groupes de voisines femmes au foyer, dont la fonction est de faire des commandes collectives de biens de consommation à des prix accessibles auprès de fournisseurs (de préférence locaux) sélectionnés par la coopérative pour leur bon rapport qualité/prix. Les membres de la coopérative participent démocratiquement au choix et au suivi des entreprises fournisseuses, non seulement selon des critères de consommation (qualités diététiques et gastronomiques des produits, etc.), mais selon des critères écologiques ainsi que d’équité sociale (durabilité des emplois, bonnes conditions de travail…). Le Seikatsu Club va jusqu’à aider à la création d’entreprises en amont, quand il en manque (ce modèle économique a servi d’exemple pour le lancement des AMAP en France). Les groupes de base sont aussi des lieux d’entraide et d’auto-éducation à la consommation écologique. Par exemple, plutôt que de commander certaines pièces de viande, un groupe de base peut commander un porc entier, et il recevra en même temps des recettes pour cuisiner toutes les parties de l’animal. Le Seikatsu Club se déclare expressément féministe. Il a présenté des candidates féministes à des élections locales. Bref c’est l’exemple d’une citoyenneté sociale, écologique, et politique greffée sur le travail domestique. Par leur organisation collective ces femmes sont moins exploitées et plus autonomes que leurs maris. Ces derniers, certes, ont souvent un emploi stable, contrairement aux femmes privées de perspectives de carrière et souvent vouées aux petits boulots précaires. Mais ils ont à subir les conditions japonaises actuelles du salariat : horaires très chargés, et participation obligée à la sociabilité machiste de l’entreprise.

Souvent les militantes féministes, dans les pays occidentaux industrialisés, mettent l’accent de préférence sur l’accès des femmes au travail professionnel en dehors de la famille. Assurément c’est un moyen décisif d’indépendance économique, de reconnaissance sociale, et de désenfermement de l’espace domestique. Mais cela ne dispense pas de lutter dans le travail domestique pour l’égalité hommes-femmes et la solidarité. Ni de transformer le travail domestique pour en faire une pratique de changement social et écologique, nous y reviendrons.

Comment lutter pour l’égalité domestique ?

Première préconisation : un « Guide pratique de l’égalité »

Il serait souhaitable (cela a peut-être déjà été fait, je ne sais pas) que des mouvements féministes publient un « Guide pratique de l’égalité » comportant un état des données statistiques sur la durée du travail domestique des femmes et des hommes et les tâches qui incombent à chacun.e, un aperçu des débats sur les facteurs en jeu, des reportages sur les luttes ainsi que sur les « bonnes pratiques » pouvant servir de ban d’essai, enfin, et j’insiste sur ce point, un cahier de revendications chiffrées, indicatives et à discuter.

Des statistiques détaillées sont importantes pour que dans chaque foyer les conjoints (et les enfants) fassent le point sur la distance qui les sépare de l’égalité. Il s’agit d’ouvrir pour ainsi dire un chantier d’introspection partagée sociologique, psychologique et politique, une prise de conscience collective de nos habitus, avec le pari que même si ces habitus ont des origines instinctives on peut les déconstruire par la conscience attentive, la bienveillance et le pouvoir de l’exemple.

Le chiffrage des revendications est important pour ne pas les noyer dans des déclarations de bonnes intentions et pour mettre en lumière ce qui fait conflit.

Pour chiffrer les revendications il faut mesurer le temps de travail domestique nécessaire selon la composition des ménages (nombre d’adultes, nombre et âge des enfants16). Et cela suppose un débat d’éthique publique sur la définition des temps de travail que la société estime nécessaires donc obligatoires ou du moins à préconiser, et des travaux additionnels qu’elle considère comme facultatifs et pouvant être laissés au choix de chacun-e. C’est un débat politique sur les choix qui devraient et pourraient faire consensus dans la société à un moment donné (nonobstant les choix personnels qui peuvent s’en écarter ou aller plus loin). Exemple : on peut chiffrer les temps nécessaires pour cuisiner des aliments sains et limiter le recours aux aliments tout faits que propose l’industrie de la malbouffe. Contre-exemple : on peut discuter sur le bien fondé du repassage comme travail obligatoire ou superflu : la chemise ou les draps repassés sont-ils une nécessité ou un luxe conformiste ? Cela ne signifie pas qu’il faut bannir les dentelles et autres beaux vêtements plissés exigeant beaucoup de repassage ; mais on peut classer cette partie du travail parmi les activités esthétiques non nécessaires qui doivent être laissées au libre choix de chacun.e. Derrière le chiffrage il y a des enjeux culturels sur les critères sociaux et écologiques du bon usage et du mauvais usage. Le chiffrage proposé doit bien sûr rester indicatif et ouvert démocratiquement à plusieurs options.

Ce chiffrage ne doit pas être simpliste, car il doit répondre à des exigences contradictoires : le travail domestique, comme tout travail, est d’un côté une charge, qu’il est souhaitable de répartir égalitairement, et d’un autre côté un moyen d’épanouissement créatif et d’affirmation de soi que l’on ne doit pas enfermer dans un strict calcul du temps. C’est pourquoi il serait souhaitable d’établir des normes égalitaires de répartition des temps et des tâches, avec une marge de variation pour tenir compte des préférences individuelles, tout en sachant que ces préférences sont liées à des rôles de genre où l’inégalité et l’exploitation ont toujours tendance à se reproduire. Par exemple s’il est souhaitable et réaliste que la préparation des repas soit répartie à 50-50, il est fréquent néanmoins qu’une femme, ou un homme, ait envie de faire la cuisine plus souvent qu’à son tour ; et c’est légitime, mais ce désir ne doit pas servir de prétexte à la reconduction de l’inégalité. Un bon compromis serait par exemple d’indiquer expressément qu’il y a lieu de tirer la sonnette d’alarme si la répartition du temps de cuisine dépasse le ratio de 60-40 ou de 65-35. Autre exemple : si, comme c’est le cas le plus souvent, l’homme ne sait pas coudre, il n’est pas déraisonnable que le raccommodage des vêtements incombe à la femme… mais il est d’autant plus nécessaire que cette répartition inégalitaire soit mise en lumière, que le temps passé au raccommodage soit intégré dans un décompte égalitaire des divers temps de bricolage… mais aussi que l’homme apprenne à coudre, la femme à réparer une serrure, etc. Et, par ailleurs, que si la femme adore la couture on distingue les travaux de couture qui sont nécessaires, à compter dans le temps de travail contraint, et ceux qui font partie des loisirs créatifs (bien que la distinction ne soit pas toujours nette). Tout cela permettrait de définir un standard de justice : d’abord une répartition strictement égalitaire du temps de travail nécessaire entre les adultes dans un ménage de façon à indiquer un minimum exigible, tout en respectant le libre choix de chacun-e pour des travaux dépassant ce minimum… et en entretenant un débat sur les « bonnes pratiques » permettant de contrer la tacite reconduction d’inégalités de genre. Le but de la publication de normes indicatives n’est pas de légiférer sur la vie privée, mais de proposer des repères pour débusquer les inégalités, et d’imposer une négociation explicite sur les solutions. L’égalité parfaite n’est ni possible ni forcément souhaitable, mais le repérage et la limitation des inégalités est un critère excellent et indispensable dans la lutte contre les détours et les ruses de l’oppression.

Or cette réflexion conduit à mettre en cause non seulement les privilèges des hommes mais aussi les exigences des femmes.

Écoutons ce qu’en dit un sociologue dans un livre de vulgarisation : « Ma voisine lave ses vitres toutes les semaines. Pas moi. Suis-je donc un affreux réactionnaire ? Faut-il laver les sols tous les jours ? Faut-il essuyer sans cesse la vaisselle pour que rien ne soit visible et tout rangé dans les placards ? Frotter l’évier en inox avec un torchon (sec) pour qu’il brille ? Doit-on cirer les parquets chaque semaine ? Je préfère les vitrifier, c’est plus simple. Doit-on repasser tous nos vêtements, y compris draps et mouchoirs ? »17. L’auteur, tout en demandant aux hommes de faire leur part du travail, demande aussi aux femmes de cesser d’exiger des standards perfectionnistes. Car à l’extrême, la conséquence de l’interaction entre le désintérêt des hommes pour le rangement et la propreté du foyer, et un ressenti plus exigeant (souvent implicite) de la part des femmes conduit à « des normes de genre où les mecs sont considérés comme des incapables majeurs ou d’éternels enfants à prendre en charge dans la maison »18.

Vous l’avez compris : si les femmes acceptent de travailler plus que les hommes, ce n’est pas seulement parce que les hommes se déchargent sur elles de la plus grande partie des tâches nécessaires, mais c’est aussi parce qu’elles-mêmes se chargent de tâches qui dépassent le nécessaire. Pourquoi ? Welzer-Lang évoque « l’art ménager comme l’ont enseigné aux femmes les ligues philanthropiques religieuses [du XIXème siècle] pour les enfermer au domicile »19. On peut ajouter qu’il y a eu au XIXème siècle une idéalisation des normes d’entretien du foyer des familles bourgeoises disposant de domestiques.

Il faut donc de part et d’autre une démarche d’intercompréhension et une introspection critique, en vue d’une nouvelle culture du travail domestique.

Changement culturel et empowerment

Il faut d’abord nourrir par des données sociologiques une prise de conscience concrète chez les hommes et les femmes… mais il ne s’agit pas seulement d’information et de changement des mentalités, il s’agit d’empowerment. Il ne suffit pas d’appeler les hommes (et les femmes) à « faire des efforts pour l’égalité », ce qui en pratique se limite souvent au fait que les hommes « aident » les femmes pour certaines tâches, avec des effets mineurs sur la répartition d’ensemble des temps de travail. L’appel abstrait à la bonne volonté réciproque des conjoints a montré son inefficacité. En rendant visibles les préjudices subis par les femmes et en chiffrant leurs revendications, il s’agit d’augmenter de façon décisive leur pouvoir de négociation dans le couple et la famille. On peut s’inspirer des méthodes des syndicats de salarié.e.s : incitation des travailleuses à exprimer leur vécu, revendications précises, campagnes d’opinion, grèves, négociations.

Cela dit, depuis que l’égalité hommes-femmes dans le couple et la famille est devenue officiellement la norme, il n’y a plus juridiquement de rapport de subordination dans l’organisation du travail domestique (contrairement au salariat dans l’entreprise, qui est encore explicitement défini par la loi comme un rapport de subordination), donc l’action féministe dans ce domaine ne peut pas en rester au modèle syndical d’une relation (négociation ou/et affrontement) entre partenaires économiques reconnus inégaux20, elle vise à l’égalité réelle au sein de la famille comme communauté d’intérêt, économique et affective. Et on ne peut pas en rester dans ce domaine à une exigence d’égalité quantitative. Le travail domestique (qu’il soit fait par une femme ou par un homme) a une dimension qualitative, qui doit être reconnue en tant que telle.

Pour une juste reconnaissance, quantitative et qualitative, du travail domestique

Même si le travail salarié en entreprise est un moyen d’émancipation, précieux pour toutes les femmes, vis-à-vis de l’enfermement patriarcal dans la famille, le travail domestique, comme on l’a vu plus haut, est à bien des égards moins contraignant et plus épanouissant, surtout pour les femmes peu qualifiées21. Donc les savoir-faire du travail domestique, son éthique (le care), son esthétique même (la beauté de l’aménagement de la maison, la culture du travail bien fait, l’art culinaire) doivent être reconnus à leur juste valeur.

C’est d’ailleurs une nécessité immédiate car le travail domestique est un élément de résistance de la famille face à l’exploitation capitaliste et aux dégâts écologiques. Do it yourself !

Le développement du travail domestique est aussi une nécessité pour la transition à une économie écologiquement soutenable. En effet un certain nombre de productions actuellement réalisées avec des machines industrielles nécessitent une ponction excessive sur les ressources naturelles rares (les métaux rares pour le matériel informatique par exemple, ou tout simplement l’eau) et émettent beaucoup trop de gaz à effet de serre. Or une industrie écologiquement sobre ne s’inventera pas du jour au lendemain. Pour éviter l’aggravation des catastrophes écologiques, et pour réaliser en situation de catastrophe la résilience et la transition, une grande partie de ces productions industrielles devront être remplacées par des productions artisanales ou manuelles, faisables dans un cadre domestique. De même, et nous y reviendrons dans un instant, l’agriculture capitaliste grande utilisatrice de machines, d’engrais chimiques, et de transports, doit être remplacée par la polyculture paysanne, le plus souvent en petites exploitations.

En somme, le travail domestique a de l’avenir. Donc d’un point de vue féministe il importe à la fois de lutter a) contre l’exploitation, pour une répartition égalitaire du travail domestique, b) contre l’enfermement des femmes dans les rôles domestiques donc pour l’accès aux emplois salariés, et c) pour une juste reconnaissance du travail domestique, de ses savoir-faire et de ses valeurs.

Notamment il faut exiger, c’est notre deuxième préconisation, l’accès égal de tous les enfants, garçons et filles, à l’éducation ménagère à l’école (j’ai appris que cela se fait en Finlande), dans le cadre d’un enseignement polytechnique incluant bricolage, jardinage, et autres activités pouvant être faites dans un cadre professionnel ou domestique.

C’est un moyen à la fois d’inciter les futurs adultes au partage égalitaire du travail domestique, et d’imposer que ce travail, historiquement féminin et méprisé, soit reconnu comme travail qualifié, utile à la société, et porteur de valeurs universelles. (En outre, pédagogiquement, c’est une très bonne voie d’accès aux savoirs plus théoriques.)22

Coexistence et contradictions entre travail domestique et salariat

La souhaitable coexistence du travail salarié et du travail domestique doit être pensée avec vigilance, car elle donne toujours lieu à des exigences contradictoires à travers lesquelles se reproduisent fréquemment les inégalités de genre.

Reprenons l’exemple de l’agriculture. Il est souhaitable, pour des raisons écologiques, sociales, sanitaires et même culturelles de remplacer l’agriculture commerciale en grandes exploitations par ce qu’on appelle l’agriculture paysanne (petites exploitations, polyculture, mécanisation limitée, proximité)23. Or pour l’agriculture paysanne l’entreprise familiale apparaît spontanément comme la forme la plus pratique, parce qu’elle se calque sur la structure familiale et utilise la division traditionnelle des rôles et savoir-faire24. Dans une certaine mesure ces considérations peuvent s’appliquer aussi au commerce et à l’artisanat. Dans de telles entreprises la séparation n’est pas nette entre le travail pour l’entreprise, dont on peut assez facilement quantifier l’apport à la valeur marchande produite, donc la rémunération sur le modèle salarial, et d’autre part le travail pour la famille, qui est fourni comme un don, traditionnellement non quantifié. La qualité même des produits de l’entreprise ainsi que des conditions de travail dépend des rapports familiaux. Or la tendance traditionnelle de ces rapports familiaux va vers l’inégalité et l’exploitation. Par exemple si le mari est juridiquement le chef de l’entreprise et si l’épouse a le statut d’auxiliaire de son mari à titre familial, non rémunérée, un rapport d’exploitation se met en place automatiquement. Il importe donc de clarifier la situation en particulier au niveau du statut des travailleuses. En donnant à l’épouse un statut de salariée ou de copropriétaire, ou d’associée dans une formule coopérative, on clarifie le partage des revenus de l’entreprise, on rend donc lisible l’exploitation (ou pas) de son travail. Et elle bénéficie de droits en tant que salariée ou associée (calcul des heures de travail et des congés, assurances sociales, etc.). Et à partir de là le temps de travail fourni gratuitement pour la famille par chacun des conjoints (et autres membres de la famille) peut aussi être mesuré, ou du moins évalué forfaitairement (puisque le temps de travail fourni pour la famille et pour l’entreprise se confondent en partie), ce qui rend lisibles les inégalités à corriger. Nous voyons ici que d’un point de vue féministe il n’y a pas lieu de penser le travail domestique et le travail salarié comme deux choix opposés, mais de penser leur combinaison, avec dans chacun des deux une exigence d’égalité et de reconnaissance qualitative.

Faut-il formaliser une rémunération monétaire du travail domestique ?

Pour les « femmes (ou les hommes) au foyer » la question se pose de l’accès à un revenu en compensation du fait qu’elles (ou ils) travaillent gratuitement pour les membres de leur famille qui ne peuvent pas travailler : les enfants, les invalides, et les personnes âgées dépendantes. Bref c’est la question d’une rémunération du travail domestique. Si l’adulte au foyer est en couple cette rémunération lui est apportée de fait par le partage du revenu d’activité du conjoint, et cela signifie que cette personne, alors même qu’elle fournit un travail, n’est pas financièrement indépendante du ou de la conjoint.e. Massivement, les femmes au foyer sont donc à la fois dépendantes de leur mari et exploitées par lui, et de surcroît exploitées indirectement par les employeurs du mari. Elles sont confrontées à une domination masculine complexe, contre laquelle les réponses féministes ne peuvent pas être simples.

Une réponse simple serait de revendiquer un salaire maternel, qui serait versé aux mères par la collectivité (l’État, ou une Caisse d’Allocations Familiales, ou autre). Mais ce serait probablement un salaire au rabais, qui en outre inciterait les femmes à se retirer du marché du travail. Donc pas vraiment une alternative féministe à l’exploitation, la ségrégation et à la dépendance25.

Cela pose plus généralement la question du rapport souhaitable entre revenu et travail : entre les différentes formes de revenu auxquelles peut accéder un individu (par exemple le salaire, les allocations familiales, les rentes de propriété, etc.) et le travail que fournit cet individu. L’accès au revenu par rémunération du travail (salaire, ou bénéfice commercial) est le modèle dominant dans la société actuelle (hormis pour les propriétaires bénéficiant de revenus sans commune mesure avec leur éventuel travail), et quand d’autres revenus sont nécessaires ils sont considérés comme des palliatifs au revenu salarial, des revenus de substitution face à l’impossibilité d’obtenir un revenu suffisant par le travail, pour diverses raisons légitimes : études, maladie, handicap, vieillesse, chômage… ou temps passé au travail domestique non rémunéré ; souvent ces revenus sont calculés en référence à ce que rapporterait un emploi salarié. C’est dans cette logique que l’on peut revendiquer un « salaire maternel », mais comme on l’a vu cela revient souvent à légitimer une autre logique, plus archaïque, celle de l’assignation des femmes aux tâches domestiques. Certes on peut revendiquer un salaire « parental » non genré (c’est le cas actuellement pour le congé parental, rémunéré par un substitut de salaire qui peut être attribué indifféremment à la mère ou au père), mais ce dispositif incite plutôt les femmes à se mettre en retrait du marché du travail, vu les rôles traditionnels de genre et les inégalités de salaire et de carrière. Bref, d’un point de vue féministe la revendication d’une rémunération du travail au sein de la famille est plutôt une fausse bonne idée. La lutte contre l’exploitation du travail domestique passe plutôt par le partage égalitaire de ce travail, et elle est inséparable de la création d’emplois salariés (ou indépendants) en dehors de la famille, et de politiques pour faciliter l’accès des femmes à ces emplois26.

Mais on peut inverser la façon de poser ces questions.

Un revenu de base universel ?

On peut passer du paradigme du travail comme moyen exemplaire et privilégié d’obtenir un revenu, au paradigme du revenu de base comme moyen de bien travailler, tant dans la sphère domestique que dans la sphère marchande ou dans le bénévolat.

On peut considérer que la société a le devoir de donner à chaque individu les moyens de base pour son autonomie d’existence et de citoyenneté, d’une part certains services gratuits (école, médecine, transports collectifs de proximité …) ou tarifés en vue de leur bon usage (eau, électricité, téléphone, Internet …), d’autre part un revenu monétaire de base. C’est la philosophie du revenu universel. Cette approche ouvre de multiples débats : payer quelqu’un « à ne rien faire » est-ce légitime en termes d’éthique publique ? et si oui, faut-il néanmoins maintenir une contrainte de travail sur l’individu ? et comment ? quels sont les effets pervers ? est-ce faisable à long terme ? avec quelles transitions à court terme ? Nous ne voulons pas nous étendre ici sur ces questions, mais nous voulons souligner qu’elles ont des conséquences sur les rapports hommes-femmes et l’ordre des genres.

Avec un revenu garanti (pas forcément complètement inconditionnel, comme on le verra dans la suite) couvrant ses besoins de base, la personne n’est pas contrainte de se soumettre à un employeur (salariat), ou à des clients (travail en indépendant), ou à une autorité familiale (travail domestique). Elle peut librement choisir les formes de travail qu’elle juge les plus utiles et les meilleures : il s’agit d’une part de choix personnels selon ses inclinations, d’autre part de la participation citoyenne à la définition collective des travaux utiles et souhaitables. Le revenu garanti est donc une arme contre toute domination économique, notamment pour les femmes aussi bien dans les rapports marchands et salariaux que dans les rapports familiaux. C’est aussi une incitation à la liberté personnelle, pour les femmes et pour les hommes ; et aussi à la responsabilité citoyenne : puisque la société te donne les moyens de vivre bien, tu es moralement responsable d’en faire un bon usage, notamment de fournir ta part du travail (pas toujours agréable) nécessaire à la vie de la société. Certes il n’est pas sûr que tout le monde écoutera toujours cette voix de sa conscience morale. Donc toute société doit pouvoir utiliser certaines formes de contrainte au travail. Ce n’est pas toujours nécessaire, car comme chacun sait les humains sont très souvent pleins de bonté et d’entrain pour le travail, mais il est prudent de pouvoir recourir à des contraintes, et les sociétés le font, par la cruauté traditionnelle (esclavage, violences conjugales, etc.), ou par la violence indirecte du marché (salariat), soit de façon plus bienveillante par la discussion, la coutume et des lois décidées démocratiquement.

À titre d’exemple je voudrais parler d’une forme d’organisation du travail avec revenu garanti et contrainte bienveillante, actuellement en cours d’expérimentation dans le dispositif des « Territoires zéro chômeurs de longue durée ». Une agence municipale lance une enquête participative sur les activités et les besoins d’emploi qui pourraient être utiles, voire rentables à terme, et qui ne sont pas (ou pas encore) assurées par le marché ou par le secteur public (bref les « gisements d’emploi » dans la commune). Cette agence municipale appelle les demandeurs d’emploi à se rassembler sur la base du volontariat en un groupe d’expression pour faire le point sur ce qu’ils souhaiteraient faire comme travail avec leurs compétences et leurs aspirations, et au vu du « gisement d’emploi » existant. Ils imaginent en commun, et avec les employés de l’agence municipale, des emplois qu’ils pourraient occuper. Les emplois ainsi co-construits sont des CDI payés au SMIC. Il peuvent couvrir plusieurs tâches, selon les besoins. L’originalité du dispositif est que les ressources financières pour rémunérer un emploi sont constituées par l’agglutinement des prestations auxquelles le chômeur avait droit (assurance chômage, RSA, etc.) et d’une aide complémentaire de l’État pour atteindre le niveau du SMIC27. La collectivité est gagnante au niveau du vivre-ensemble et des effets positifs sur le tissu économique local (et éventuellement sur les électeurs, n’est-ce pas ?). L’agence municipale remplit une fonction d’accompagnement, comme une couveuse d’entreprises. Le travail peut se faire dans diverses formes d’entreprise (plutôt du secteur de l’économie solidaire), voire en famille, sous réserve d’une utilité sociale constatable et du respect de l’égalité homme-femme. C’est moi (JM) qui précise « en famille » : le dispositif permet ainsi, pour revenir à notre sujet, une reconnaissance y compris financière du travail domestique, et un dosage possible entre travail domestique socialement validé et co-géré et travail en entreprise. Comme les bénéficiaires du dispositif participent à la construction et au suivi collectif de leur travail, et comme leur salaire est garanti par l’agence municipale, ils/elles sont en position de refuser d’être exploité.e.s tant par leur famille que par des employeurs ou des clients.

Actuellement ce dispositif s’adresse à des volontaires habitant la commune et chômeurs de longue durée, mais on pourrait y intégrer (en position non prioritaire) d’autres volontaires qui tout simplement ont envie de lancer une activité en étant payé au SMIC. Cette forme de recours à un revenu garanti est donc potentiellement universalisable28 (moyennant quelques réformes fiscales permettant d’augmenter le volume des prestations sociales actuelles, sans préalablement chambouler tout le système fiscal). Mais ce revenu n’est pas complètement inconditionnel : la contrainte est que pour garder son emploi le travailleur doit, comme tout salarié en CDI, s’acquitter des tâches définies dans le contrat de travail. Cette contrainte de travail passe donc par le salariat, mais elle est conviviale et bienveillante : elle passe par le regard public du groupe dans lequel l’individu.e participe démocratiquement à la co-construction de son contrat de travail. Donc il/elle n’est pas exactement dans le salariat comme rapport de subordination.

De cet exemple nous concluons qu’on peut lutter en même temps contre l’exploitation domestique et l’exploitation capitaliste, dans une démarche de démocratie sociale concrète.

D’où une troisième préconisation : une loi couplant un revenu de base garanti et la création d’emplois par la collectivité :

– Défendre et étendre les droits sociaux qui sont déjà reconnus en principe (droit à l’emploi, salaire minimum garanti, protection sociale par des revenus complémentaires, égalité homme-femme …)

– Transformer ces droits sociaux dans le sens d’un revenu de base garanti et de l’accès réel à l’emploi pour toutes et tous (ce système de revenu garanti apporterait les avantages qu’on attend du revenu universel en termes de sécurité personnelle, d’empowerment, et d’encouragement à l’inventivité dans le travail, sans le risque de « sortie de route » politique ou budgétaire)

– Repenser la création d’emplois selon les pratiques et l’éthique de l’économie solidaire ; la création d’emplois ne doit pas rester l’apanage des entreprises privées ou publiques, mais doit être prise en mains par les citoyen.ne.s et leurs associations avec l’appui des pouvoirs publics. La loi doit donc installer dans tous les bassins d’emploi des agences de création d’emplois avec participation des citoyen.ne.s volontaires. (Ce ne serait d’ailleurs pas incompatible avec un programme national plus classique de création d’emplois.)

– Et par là repenser l’organisation du travail par les travailleurs eux-mêmes, tant dans l’espace domestique que dans les entreprises.

Quatrième préconisation : alléger la charge de travail domestique (durée, pénibilité, soucis) :

– allègement des horaires et des règles de travail dans les entreprises pour donner plus de respiration aux adultes en charge d’enfants et d’un ménage,

– plus d’aide financière, et un travail social de soutien et de formation, pour les « aidants » qui s’occupent de personnes invalides dans la famille, ainsi que pour les parents d’enfants en bas âge,

– aménagement des temps de travail et de l’urbanisme pour diminuer les contraintes de temps dans le quotidien, par exemple regroupement des lieux où les parents doivent passer dans une même journée : magasins, écoles, administrations. Une municipalité volontariste peut le faire. (Voir entre autres Dominique Méda, Le Temps des femmes. Pour un nouveau partage des rôles, éd. Flammarion, 2001)

Cinquième préconisation : désenclaver le travail domestique, combiner le travail dans l’intimité de la famille avec des moments de travail convivial s’effectuant à l’extérieur, ce dans le but (entre autres) d’entrouvrir le huis-clos des négociations intra-familiales sur le partage des tâches : ces travaux (et les loisirs aussi) doivent devenir un objet commun de discussion visant à l’égalité. Par exemple :

– machines à laver collectives dans les immeubles,

– services de prêt municipaux ou plates-formes de prêt mutuel pour le matériel de bricolage,

– maisons du vélo dans les quartiers, avec ateliers associatifs de réparation et organisation de rencontres festives

– jardins partagés, incitation à l’entraide jardinière,

– AMAPs, groupements d’achat dans le style du Seikatsu Club décrit plus haut,

plus généralement, mettre en évidence les réalités inter-familiales, et pas seulement inter-citoyennes, des associations et des structures de l’économie solidaire

– autre exemple : crèches publiques ou associatives avec participation des parents à leur fonctionnement pratique et à leur gestion

– de même, entraide entre les familles pour le soutien scolaire, et ouverture des écoles à la collaboration des parents

– expériences d’habitat participatif : des familles se regroupent pour choisir voire créer leur logement (par achat, location ou construction) et toutes les fonctions partagées qui vont avec.

Dans cette ouverture sociale des préoccupations domestiques, se fait jour un élargissement de l’éthique du care, qui va du souci d’autrui au prendre-soin du monde, comme nous le verrons dans le chapitre sur l’écoféminisme et le care.

Ces cinq préconisations forment un programme bien vaste, me direz-vous. Mais je pense avoir montré qu’il est réalisable, ne serait-ce qu’en « pièces détachées » par différents acteurs : associations, syndicats, maisons d’édition, entreprises solidaires, collectivités locales, État.

… et Darwin dans tout ça ?

Dans ce chapitre, pour expliquer la permanence de l’exploitation domestique des femmes, je n’ai pas fait appel à la psychologie ou à la sociologie évolutionniste. Et pourtant dans l’inégale répartition du travail domestique nous pouvons voir comme en filigrane une situation typique des rapports sociaux de sexe chez les mammifères : les mâles se déchargent sur les femelles de la plus grande partie des tâches parentales, et les instincts parentaux des femelles les amènent à assumer ces tâches, acceptant en quelque sorte le fait accompli du faible investissement parental des mâles29. Cela peut expliquer la tolérance et la résignation des femmes à leur assignation au travail domestique et à leur exploitation. Mais cela ne suffit pas à expliquer la grande variété des situations entre les sociétés humaines, encore moins à prévoir les changements historiques possibles. En effet, si la domination masculine est une tendance lourde, avec chez les humains des effets massifs d’exploitation du travail, les conflits entre mâles et femelles ont donné lieu, dans l’évolution, à d’autres répartitions des forces. Par exemple, chez les humains les pères et autres mâles s’investissent davantage dans l’élevage des petits qu’ils ne le font chez la plupart des mammifères, notamment chez les grands singes les plus proches génétiquement des humains. Il est donc plausible que dans la lignée humaine, avec le développement de la coopération dans les soins aux petits ainsi que dans la vie sociale en général, les femelles ont sélectionné comme partenaires des mâles plus enclins à s’investir dans les tâches parentales. Ainsi ce n’est pas uniquement le scénario domination-soumission qui s’est inscrit dans les schémas instinctuels des relations entre les sexes, mais également des aptitudes à la sollicitude et au partage. Et ces tendances opposées et équivoques produisent toujours des rebonds dans la conflictualité latente ou ouverte (et dans les compromis) sur la répartition du travail. Avec un tel héritage de l’évolution, il suffit de quelques changements dans les rapports de force économiques et dans les relations affectives dans une certaine phase de l’histoire pour que la résultante de la conflictualité entre les sexes penche plutôt dans le sens de la coopération et de l’égalité, ou dans un sens opposé. Donc même s’il vaut mieux rester attentifs aux schémas ataviques qui pèsent toujours sur nos comportements, il serait vain de chercher à en tirer des prévisions précises sur ce que nous pouvons faire à l’échelle d’un siècle ou de quelques dizaines d’années. Concernant des enjeux sociaux immédiats, j’ai préféré mettre l’accent sur les facteurs économiques et politiques, sur lesquels nous pouvons agir, et laisser en retrait les spéculations sur l’héritage de l’évolution.

Joel Martine

Version au format PdF : martine exploitation travail domestique

Ce texte est accessible sur ma page « Féminisme en chantier » du site de l’association marseillaise Mille Bâbords :

http://www.millebabords.org/spip.php?article28869, puis cliquer sur le titre du chapitre.

1 Pour un tableau détaillé, voir :

Alain Bihr et Roland Pfefferkorn, Hommes-femmes, L’introuvable égalité, Paris, Les Éditions de l’Atelier, 1996 ; commentaire sur les enjeux stratégiques par C. Lesselier : http://www.preavis.org/breche–numerique/article470.html#nb1.

et Roland Pfefferkorn, Inégalités et rapports sociaux, Rapports de classes, rapports de sexes, éd. La Dispute, 2007, dont « Des inégalités maintenues au sein de l’espace domestique », p.327-344.

2 Pour les célibataires, par définition il n’y a pas de pression entre deux personnes au sein du ménage. La différence (relativement faible) du temps de travail domestique des hommes et des femmes célibataires peut donc s’expliquer par les motivations psychiques de chaque genre : les hommes sont moins enclins que les femmes aux travaux ménagers, et surtout (nous y reviendrons) leurs propres exigences sur les résultats (et la pression de l’opinion générale) sont moins élevées. Toutefois la différence peut s’expliquer aussi par un rapport entre les genres au sein de la famille élargie. Par exemple les jeunes hommes célibataires peuvent, plus que les jeunes femmes, déléguer à leur mère la lessive et l’entretien de leurs habits.

3 Sur cette notion, voir Joël De Rosnay, Le Macroscope.

4 Pour un examen plus large de cette question il faudrait analyser la situation depuis le XIXème siècle. Je suppose qu’il y a eu une diminution du temps de travail domestique, grâce à l’équipement des ménages (adduction d’eau et d’électricité, appareils de chauffage et électroménagers) et au développement de l’offre de vêtements et aliments par le marché. Il serait intéressant de voir quelle a été l’histoire (conflictuelle ou pas ?) de la répartition de ce travail entre hommes et femmes, et ce qui s’est passé dans les pays qui n’ont pas connu une industrialisation semblable à celle de l’Europe occidentale.

5 L‘expression « sans emploi » est un peu péjorative, c’est comme si la personne ne servait à rien.

6 Ici l’expression est carrément mensongère.

7 « Féminisme radical » : affirmation de l’autonomie et de la priorité de la lutte contre le pouvoir masculin vis-à-vis d’autres luttes. Il ne s’agit pas d’un courant unifié sur le plan théorique, car cette priorité politique peut être justifiée en termes essentialistes (les hommes sont par nature des dominants), ou culturalistes (le principal facteur d’oppression est le système des genres, ou encore l’hétéro-normalité), ou matérialistes (les rapports de genre sont des rapports de production, avec des exploiteurs et des exploitées).

8 Dans une SCOP cette aliénation n’est pas complètement absente, car les choix de production et l’organisation du travail sont indirectement imposés aux travailleurs par les conditions du marché.

9 Nous parlons ici de la famille comme unité de consommation, et de reproduction et entretien des personnes, afin de souligner les différences entre l’exploitation domestique et l’exploitation salariale. Cela dit, cette comparaison est valable a fortiori quand la famille est une unité non seulement de consommation et de reproduction, mais de production (entreprise familiale d’agriculture vivrière, ou/et de production vendue sur le marché) : le travail des femmes et plus largement des membres subordonnés de la famille (enfants, cadets, esclaves) peut être exploité non seulement comme service utile à la consommation et à la vie, mais comme production de richesse. La famille sous diverses formes a d’abord été à la fois une unité de reproduction et d’entretien des personnes, et de production de richesses. C’est seulement avec le développement de la marchandisation par le capitalisme qu’elle est devenue une unité essentiellement de consommation et d’entretien et reproduction des personnes. C’est de cette famille que nous partons pour comprendre comment se combinent et interagissent le travail non rémunéré fourni dans le cadre de la famille et le travail à l’extérieur de la famille rémunéré par un salaire ou par un bénéfice commercial. Ensuite, pour comprendre la réalité complexe des rapports d’exploitation dans le monde actuel, notamment dans l’agriculture, le petit commerce et l’artisanat, il faut réintroduire la famille comme unité de production.

10 Si nous disons que c’est quelque part par soumission à une violence que la femme d’aujourd’hui se résigne à faire le travail domestique pendant que son mari se la coule douce, nous ne voulons pas dire par là qu’il la menace avec un pistolet, ou qu’elle a peur qu’il la frappe. (Cela existe et c’est symptomatique, mais ce n’est pas le plus fréquent). Nous parlons d’un habitus de soumission au mâle dominant protecteur, qui fut une adaptation face à la violence masculine pendant des siècles.

11 En fait le travail domestique est indirectement et partiellement reconnu dans la négociation salariale collective, par exemple quand il est prévu qu’une caisse de retraite verse une pension à la veuve d’un salarié. Mais la non-reconnaissance initiale du travail domestique justifie une retraite au rabais pour les femmes au foyer.

12 Selon Roswitha Scholz « Le capitalisme est un patriarcat producteur de marchandises ». Pour ma part je trouve plus clair, dans la tradition du féminisme « matérialiste », de souligner l’autonomie respective, l’articulation et renforcement mutuel, et les contradictions parfois, entre patriarcat et capitalisme.

Voir Roswitha Scholz, Das Geschlecht des Kapitalismus, éd. Horlemann, Bad Honnef, 2011, dont le premier chapitre est traduit en français sous le titre « Le sexe du capitalisme – Remarques sur les notions de »valeur » et de »dissociation-valeur » », p.89-102 dans Sexe, capitalisme et critique de la valeur – pulsions, domination, sadisme social, ouvrage collectif dirigé par Richard Poulin et Patrick Vassort, M éditeur, Ville Mont-Royal, 2012.

L’idée d’une irréductible présence du patriarcat dans le capitalisme est également défendue et documentée par Silvia Federici dans Caliban et la sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive, éditions Senonevero et Entremonde, 2014. Cette auteure, à partir notamment de l’histoire de la persécution des sorcières et de la colonisation, montre comment les précurseurs du capitalisme (mais aussi le capitalisme dans son développement actuel) ont réalisé la prolétarisation de la main d’oeuvre (en termes marxistes la séparation des producteurs et des moyens de production, précondition de l’exploitation salariale) en détruisant l’économie de subsistance, domestique et communautaire, qui était et qui est pour une bonne part au main des femmes.

13 Voir Judith R. Walkowitz, Prostitution and Victorian Society : Women, Class, and the State, Cambridge University Press, 1982, et Paola Tabet, La grande arnaque, sexualité des femmes et échange économico-sexuel, éd. L’Harmattan, 1998.

14 … et quand une femme ayant des enfants fait carrière c’est souvent sa mère ou sa belle-mère qui s’occupe des enfants, ainsi que des employées de maison.

15 Le temps de travail dans l’entreprise, et l’organisation de ce travail, doivent être pensés non seulement en réponse aux exigences de rentabilité de l’entreprise sur le marché, mais aussi aux exigences d’entretien de la vie sociale dans son ensemble, incluant le travail domestique et les activités sociales et politiques ; cela suppose une rupture avec les règles économiques capitalistes, ou du moins leur cantonnement par le Droit, au nom de ce que nous appelons une économie du ménagement (voir les chapitres suivants) ; et cela suppose un changement des rapports de force à la fois en faveur des salarié.e.s face au capital et des femmes face aux hommes.

16 On a besoin d’exemples concrets de la répartition des tâches et des temps, par exemple pour un ménage incluant des personnes âgées, des jeunes adultes restant avec leurs parents pour des raisons économiques, et toutes autres configurations.

17 Daniel Welzer-Lang, Nous, les mecs – Essai sur le trouble actuel des hommes, éd. Payot, 2013, p.102. Voir aussi p.115-118, avec auto-référence à Utopies conjugales, éd. Payot, 2007 ; et préconisations p.103-105. Cet auteur féministe analyse la condition des hommes (et ses conséquences sur les femmes) dans la situation actuelle de perte d’hégémonie du patriarcat ; et comme il le fait en essayant de comprendre de l’intérieur le vécu des hommes (y compris des hommes violents), il est mal vu, bien à tort, par une partie des féministes. Nous, les mecs, 180 pages, est un résumé de ses travaux, agréable à lire et instructif pour tou.te.s.

18 Ouvrage cité, p.107.

19 Ibidem, p.102 et 104-105.

20 D’ailleurs, dans le syndicalisme des salarié.e.s, l’action émancipatrice ne peut pas en rester au modèle « trade-unioniste » d’une relation (négociation ou/et affrontement) entre agents économiques définis par le marché. L’action syndicale ne vise pas seulement à modifier les termes du rapport d’exploitation en obtenant des rémunérations plus élevées et de meilleures conditions de travail, mais aussi à remettre en cause la subordination des travailleurs au capital par des droits individuels et collectifs sur l’organisation du travail, le contrôle collectif des travailleurs sur la gestion et les finalités de l’entreprise, enfin la possibilité de passer en coopérative.

21 … du moins selon les qualifications reconnues par les entreprises et la culture économique dominante.

22 On peut ajouter à cela une éducation à la compréhension entre les genres et à la distanciation vis-à-vis des rôles de genre (et pas seulement dans le travail), notamment par le jeu théâtral.

23 Voir Hugues Stoeckel, La Faim du monde, éd. Max Milo, 2012, une synthèse lucide sur l’interaction des différentes catastrophes écologiques, dont p.162-165 : « Les agricultures du monde ».

24 L’agriculture paysanne peut aussi s’organiser sous forme d’entreprises en copropriété (GAEC, coopératives), mais cela ne supprime pas l’existence de familles au sein desquelles fonctionne une économie domestique du don. L’agriculture s’organise plutôt par la combinaison entre des unités familiales et des coopératives.

25 Toutefois un revenu donné aux familles en situation d’exclusion du marché du travail et de pauvreté, notamment des femmes, peut représenter un progrès. Voir par exemple l’expérience brésilienne de la bolsa familia (bourse familiale). Le bon usage de ce revenu est souvent conditionné par le fait qu’il est confié aux mères de famille plutôt qu’aux pères.

26 Si et seulement si une politique efficace est menée en vue de l’égalité hommes-femmes dans les emplois hors famille, alors certaines formes de rémunération du travail parental peuvent être l’un des volets d’une démarche d’égalité domestique. Voir les exemples évoqués ci-dessus : la bolsa familial, qui s’intègre à un programme de dés-exclusion des pauvres, et le congé parental limité dans le temps et avec continuité de carrière.

27 Ce système a été mis au point par l’association ATD Quart Monde :

https://www.atd-quartmonde.fr/wp-content/uploads/2013/11/2014-06-01-Note-de-pr%c3%a9sentation.pdf

L’idée qu’une partie du revenu garanti soit constituée par un basculement des aides sociales préexistantes fait partie depuis longtemps des calculs des économistes partisans du revenu universel.

28 Un dispositif en grande partie semblable avait été proposé en 2006 par Jean Zin :

Revenu garanti, coopératives municipales et monnaies locales, article pour la revue Multitudes n°27 :

https://www.cairn.info/revue-multitudes-2006-4-page-107.htm

http://jeanzin.fr/print.php?2006/10/18/68-revenu-garanti-cooperatives-municipales-et-monnaies-locales

29 Voir le chapitre « Parentalité, conflits dans le care, configurations familiales ».

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