Des camps de fortune sont mis en place et environ 1 million de personnes y vivent déjà, dans des conditions sanitaires déplorables. Le sud du pays, et notamment la province de Snidh, est extrêmement fragilisé par cette catastrophe. Les pertes économiques se comptent en milliards et le secteur agricole est particulièrement touché puisque de nombreuses terres arables ont été dévastées.
Le Pakistan a besoin d’aide. Le 20 août 2010, les pays membres de l’ONU se sont engagés à lui apporter 200 millions de dollars, mais il ne s’agit là que de promesses et les expériences précédentes en la matière montrent qu’une faible part de cette somme arrivera dans le pays. La Banque asiatique de développement, qui a déjà connu le tsunami de décembre 2004, s’est auto-désignée leader de l’effort de reconstruction au Pakistan et a déjà annoncé un prêt de 2 milliards de dollars. La Banque mondiale a ajouté un prêt de 900 millions de dollars. Touché par une catastrophe naturelle, le Pakistan va donc voir sa dette s’accroître de manière significative.
Si l’aide d’urgence est indispensable, il est important de revenir sur les enjeux réels de la situation pakistanaise. En août 2008, le pays était au bord du défaut de paiement. Contraint d’accepter l’aide du Fonds monétaire international (FMI), il a reçu au total un prêt de 11,3 milliards de dollars, mais les conditionnalités attachées au prêt sont particulièrement brutales : mise en vente d’un million d’hectares de terres arables, fin des subsides du gouvernement sur le carburant, augmentation du prix de l’électricité, coupe drastique dans les dépenses sociales… Seul le budget militaire n’est pas visé par la rigueur. En bout de course, ce prêt a détérioré les conditions de vie de la population tout en fragilisant grandement la souveraineté du pays.
Aujourd’hui, le Pakistan a une dette extérieure de 54 milliards de dollars et consacre chaque année 3 milliards à son remboursement. Cette dette, qui a notamment explosé depuis les années 2000, est en grande partie d’origine odieuse. En effet, l’ancien régime du Général Pérez Musharraf était un allié stratégique des Etats-Unis dans la région, surtout depuis les attentats du 11 septembre 2001. Les principaux bailleurs de fonds n’ont jamais hésité à prêter à la dictature pakistanaise de Musharraf les fonds nécessaires pour mener sa politique. A l’automne 2001, les Etats-Unis ont demandé le soutien du Pakistan dans leur guerre contre l’Afghanistan. Musharraf avait alors accepté que son pays serve de base arrière aux troupes militaires des Etats-Unis et de leurs alliés. Le régime de Musharraf a ensuite continué d’endetter le Pakistan, avec le soutien actif de la Banque mondiale et des grandes puissances. Les prêts accordés n’ont aucune légitimité, ils ont servi à renforcer la tyrannie de Musharraf et n’ont amélioré en rien les conditions de vie des citoyens pakistanais. La dette contractée par ce régime despotique est odieuse. Les créanciers qui ont prêté à Musharraf l’ont fait en connaissance de cause et, dans ces conditions, il est inadmissible que le peuple pakistanais soit contraint de rembourser aujourd’hui la dette odieuse contractée par Musharraf.
Dans ces conditions, son annulation pure et simple est une exigence minimale. Plusieurs pays, à l’image de l’Equateur en 2007-2008, ont réalisé un audit de leur dette afin d’en annuler la partie jugée odieuse. Le Pakistan est tout à fait en mesure de suivre cet exemple.
Un autre mécanisme juridique de non paiement est à prendre en compte par le Pakistan soumis à des inondations dévastatrices : l’état de nécessité. Dans ce cas, il peut invoquer cet état de nécessité pour consacrer les fonds aux besoins vitaux de sa population meurtrie au lieu de rembourser sa dette, sans craindre des poursuites pour n’avoir pas respecté ses obligations. Les trois milliards de dollars ainsi économisés doivent alors être réorientés vers des dépenses sociales en faveur des Pakistanais.
Il est donc temps pour le gouvernement du Pakistan à la fois de suspendre le paiement de sa dette extérieure, de pratiquer un audit de celle-ci et de décider la répudiation de sa part odieuse. Loin de représenter une fin en soi, il devrait s’agir là du premier pas vers un modèle de développement radicalement différent, basé enfin sur la garantie des droits humains fondamentaux.
Damien Millet est porte-parole du CADTM France (Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde, www.cadtm.org), Sophie Perchellet est vice-présidente du CADTM France, Eric Toussaint est président du CADTM Belgique. Dernier livre paru : « La crise, quelles crises ? », CADTM/Aden/CETIM, décembre 2009.