Dans le meilleur style du pouvoir autoritaire du PCC, la réalité est mise cul par-dessus tête. Comme le rapporte la BBC (16 octobre 2014) : « Le Quotidien du peuple accuse les protestataires de provoquer des remous lors des dernières nuits et signale qu’ils ont même encerclé la police alors que les gardiens de l’ordre [de la loi] ont eu un recours minimal à la force afin de stopper des actions qui mettaient en danger la sécurité publique et perturbaient l’ordre social. » Sur le même ton, le quotidien du Parti-Etat affirme que la police a arrêté 15 personnes lors de leurs actions déstabilisantes et que « quatre officiers de police ont été blessés durant cette action ». Pour enfoncer le clou, le Quotidien du peuple affirme que la police « a le soutien de la population et qu’elle doit rapidement nettoyer les rues afin de restaurer l’ordre à Hong Kong ».
Le grand coupable de tout est évidemment Washington et les Etats-Unis. Ce que vont absorber avec délices quelques néo-staliniens ancrés dans le campisme nous rappelant leur soutien à la pire répression sous Staline et même sous ses héritiers recyclés. Le Global Times Chinese edition affirme que les Etats-Unis n’auront aucune chance d’affronter ouvertement la Chine sur les affaires de Hong Kong. Hong Kong n’est pas le Moyen-Orient ou l’Ukraine. Le gouvernement chinois a de multiples niveaux de capacités aussi bien que des ressources abondantes pour contrôler la situation de Hong Kong. Pour le propre bien de Hong Kong, Occupy Central doit prendre fin. A l’opposé, le Apple Daily – dont la diffusion avait été bloquée par des agents et mafieux pro-pouvoir, comme indiqué dans l’article daté du 15 octobre (et voir les articles en date du 7 et du 9 octobre) – souligne dans son éditorial du 16 octobre que « la police aide les voyous du camp anti-Occupy et qu’elle agit de manière non professionnelle [c’est une allusion à sa réputation frelatée de police à la britannique, ou dit autrement de police agissant différemment que celle de Pékin].
Le caractère massif et pacifique du mouvement reste. Les références à Martin Luther King sont nombreuses. Une anecdote l’illustre. La photo de une montre la construction durant la nuit du mercredi à jeudi d’une barricade-échafaudage dans la région de Mong Kok. Il faut avoir à l’esprit que ce genre d’échafaudage en bambou est traditionnel à Hong Kong. La matière première pour monter ces « armatures » utilisées lors de l’édification de bâtiments élevés – y compris de luxe – est d’un prix plus bas qu’une structure en métal et planches, avec des sécurités intégrées. Les syndicats, de manière répétée, dénoncent ce type d’assemblage de bambou à cause des nombreux accidents de travail. Les manifestants, après avoir monté cette barricade, ont discuté la nécessité de la démanteler afin de ne pas donner un prétexte symbolique à la police pour qu’elle occupe la place. Au même endroit a été installée une chapelle, du nom de St Francis Chapel. Thomas But, un supporter du mouvement Occupy, a déclaré : « C’est juste une place où les gens peuvent trouver le calme et la paix par rapport au stress d’un mouvement de désobéissance civile. » A l’instar de tous les mouvements massifs de désobéissance civile, de multiples initiatives, de différents horizons, surgissent. C’en est une. Une déclaration du professeur Lau Siu-kai, un ancien membre du gouvernement et vice-président de l’Association d’études de Hong Kong et de Macao, organisme soutenu par Pékin, indique que « la protestation est avant tout causée par des facteurs internes à Hong Kong » (South China Morning Post, 16 octobre 2014). Qu’une telle figure politique de Hong Kong le reconnaisse traduit l’enracinement du mouvement. Sa durée – 19 jours pour ce qui est de la présence massive en ville – en est une autre preuve. Tout cela va à l’encontre des affirmations du pouvoir de Pékin qui présente cette « révolution des couleurs » (allusion à l’Ukraine) comme étant instrumentalisée par les « puissances étrangères ».
Ce qui ressort de plus en plus des reportages de la presse en langue anglaise est le nombre d’attaques brutales par des petits groupes de policiers qui brutalisent des manifestant·e·s, y compris à l’intérieur des postes de police, comme l’a précisé Ken Tsang, cité dans l’article du 15 octobre, lors de sa déclaration à la presse, à côté de ses avocats, devant le poste de police.
Lors d’une conférence de presse de CY Leung (chef exécutif de la Région administrative spéciale) et de Raymond Tam Chi-yuen (secrétaire pour les questions constitutionnelles et les relations avec la Chine continentale) donnée au début de l’après-midi le jeudi 16 octobre, ont été répétés deux postulats. Le premier fait référence directement à la Déclaration conjointe sino-britannique. Selon Tam, elle ne contient pas les termes « suffrage universel ». Il a lu le passage suivant : « Le chef exécutif sera nommé par le gouvernement central du peuple sur la base des résultats des élections ou de consultations qui seront faites localement. » Le système d’élections est très complexe. Un exemple : les sociétés disposent de droits de vote collectifs. Ainsi, la société du métro (Mass Transit Railway-MTR), dont le capital est contrôlé à hauteur de 70% par le gouvernement, dispose de dizaines de milliers de droits de vote ! Le second a été énoncé par CY Leung. Il a accusé les manifestants de revendiquer « une démocratie de style occidentale ». Il a ajouté : « Nous ne trouvons pas dans toutes les démocraties occidentales de désignation par élection [directe] des membres de l’exécutif. » C’est une logique bien connue des régimes autoritaires. Le simple fait que les membres d’un exécutif (par exemple en Suisse) ne soient pas désignés par des élections directes devient un argument pour que la désignation par un parti unique soit acceptable. Et, surtout, c’est rejeter la revendication largement partagée par une majorité de la population de Hong Kong de pouvoir choisir les candidats au gouvernement en 2017 et non pas de désigner un « favori » parmi trois qui ont été sélectionnés à Pékin, puis adoubés par 1200 « grands électeurs ».
Ces deux postulats diffusés lors d’une conférence de presse télévisée par CY Leung et Tam Chi-yuen expriment les limites de la négociation appelée par la secrétaire du gouvernement Carrie Lam pour le lundi 20 octobre. Cette dernière n’a d’ailleurs pas manqué d’expliquer de la sorte son rejet des négociations pour le mercredi 15 octobre : « Les protestataires voulaient les utiliser pour inciter plus de personnes à rejoindre les sit-in de masse. » Les provocations, la répression montante, la menace qui plane d’une action des forces stationnées à Hong Kong de l’Armée populaire de libération, tout cela fait partie du niveau d’affrontement qui existe. De facto, une forme embryonnaire de dualité de pouvoir se fait jour : la rue, le mouvement de désobéissance civile et son organisation pour sa permanence, d’un côté, le pouvoir exécutif hongkongais de l’autre. Assurément, ce dernier prend appui sur le Parti-Etat, son armée, ses services d’intelligence. Mais un cliché de la situation, ce 19e jour de la « révolution des parapluies », ne peut qu’éclairer l’intelligence des multiples initiatives, capacités de communication, de structuration. Un marathon est organisé le soir du 16 octobre à Hong Kong. La banderole de tête porte l’inscription suivante : « Umbrella marathon run for students ». Un participant, Ken Yeung, chercheur dans un institut de politcologie, déclare : « Le marathon a à voir avec la persévérance et c’est notre message aux étudiants afin de les encourager à persévérer dans ce long combat. » (16 octobre 2014)