Édition du 19 novembre 2024

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Gaviria Ocampo : "Près de 40 % du budget de la Colombie dilapidés en guerre et dette”

L’économiste colombien William Gaviria Ocampo dresse une description alarmante de la situation qu’affronte le peuple colombien suite à la négociation de paix entre le gouvernement et la guérilla des FARC.

avec l’aimable permission de l’auteur

William Gaviria Ocampo est un économiste et universitaire colombien. Il fait partie du mouvement syndical du pays et depuis plus de 30 ans dirige le syndicat UNEB des employés de banques (Industria Unión Nacional de Empleados Bancarios). Il est par ailleurs procureur national de la Fédération colombienne des syndicats du secteur bancaire (Federación Colombiana de Sindicatos Bancarios, Fenasibancol), organisations qui font partie du réseau du Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM) et de la Plateforme pour l’audit citoyen de la dette publique en Colombie.

Jérôme Duval : Quelle est la situation du peuple colombien au regard de la satisfaction des besoins essentiels ?

William Gaviria Ocampo : La Colombie a été un pays privilégié en Amérique latine car c’est un des pays les plus riches en biodiversité, ressources naturelles et production de matières premières dans le monde. C’est un pays qui possède des ressources suffisantes pour offrir une qualité de vie excellente à toute sa population. Cependant, c’est aussi un pays qui a été historiquement pillé et soumis à l’Empire et aux pays qui ont tenu une position dominante sur le reste des pays du Sud. Situation qui a contraint la Colombie à ne pas garantir une qualité de vie digne à sa population. Au contraire, les gouvernements qui se sont succédé au pouvoir durant ces cinquante dernières années ont mis en place des mécanismes pour obtenir un accès aux crédits et assurer le paiement de la dette.

Ils ont aussi imposé une politique monétaire et fiscale restrictive à l’encontre de la population, ce qui a rendu le dépouillement des plus démunis exorbitant et la concentration des richesses scandaleuse. Selon la Banque mondiale, entité qui multiplie l’accès aux crédits pour continuer à saigner les plus pauvres, la Colombie occupe la honteuse et aberrante deuxième place en Amérique latine pour l’inégalité.

Combien représente le budget national de la Colombie et quelle est l’évolution de la partie dédiée aux forces armées et à la dette vis-à-vis des services sociaux essentiels ?

Le budget de la Colombie pour 2018 est de 235,6 milliards de pesos, ce qui équivaut à près de 80 milliards de dollars. Un quart de ce montant, 59,1 milliard de pesos (20 milliards de dollars), est destiné au service de la dette publique interne et externe, alors que, dans le même temps, 31,6 milliards de pesos, quelques 11 milliards de dollars, sont destinés aux dépenses militaires. Près de 40 % du budget colombien sont ainsi dilapidés en guerre et en dette.

Il semble paradoxal qu’après avoir souscrit un accord de paix avec la guérilla des FARC, le gouvernement colombien continue d’augmenter le budget pour les dépenses militaires. Si l’objectif de cet accord était réellement la paix, ce budget devrait être considérablement inférieur, afin de dédier une quantité plus importante de ressources à l’éducation, à l’enfance, la santé et autres besoins fondamentaux. Cependant, si on observe l’entièreté du budget, à titre d’exemple, on remarque que pour le secteur agricole, par rapport à l’année 2017 qui comptait 2,9 milliards de pesos, le budget a été réduit de 20,5 % pour 2018, car seulement 2,3 milliards de pesos y seront alloués (soit environ 793 millions de dollars). Montant clairement insuffisant pour garantir la restitution des terres et réparer les dommages causés aux victimes qui ont perdu leurs terres et friches à cause du déplacement forcé causé par la guerre.

Il semble évident qu’à la suite de l’accord, il faudrait que l’État investisse davantage pour dynamiser économiquement le secteur productif dans les campagnes, ce qui permet de conclure que le processus de paix du gouvernement ne garantit pas l’inclusion ou la justice sociale dans un État soi-disant démocratique comme la Colombie.

Quelle a été l’évolution de la dette ces dernières années ?

Tout d’abord, il faut expliquer qu’historiquement la Colombie a augmenté sa dette de façon presque géométrique. Entre 1976 et 2006, la dette de la Colombie a doublé tous les dix ans : en 1976, elle s’élevait à environ 3,6 milliards de dollars, puis atteignait 7,2 milliards de dollars en 1986 ; en 1996, elle dépassait 16 milliards de dollars et en 2006, elle franchissait les 36 milliards de dollars.

En conséquence de la crise désastreuse de 1998, la dette de la Colombie a pratiquement doublé en à peine plus de cinq ans : elle atteignait 72 milliards de dollars en 2011 et a atteint les 124 milliards de dollars en 2017, ce qui prouve qu’en moins de 10 ans, la dette extérieure de la Colombie a triplé. Le service de la dette extérieure actuelle représente 40 % du PIB

, une situation inquiétante car, malgré des dépenses annuelles d’environ 20 milliards de dollars pour le remboursement de la dette, celle-ci croît à un rythme galopant. La Colombie est confrontée à une crise progressive dont elle ne sortira pas à court terme.

Que penser du panorama colombien dans le contexte postérieur à l’accord de paix en ce qui concerne son fonctionnement ?

Le conflit armé qui s’est étendu de 1964 à l’an dernier, entre les forces régulières de l’État et les FARC, s’est détérioré dans les années 1970 parce que des groupes paramilitaires ont été créés sous les auspices de l’État par le biais de ses forces régulières et grâce au soutien financier et militaire de nombreux hommes d’affaires colombiens et des élites. Le conflit a dégénéré en une guerre fratricide pour laquelle tous les gouvernements successifs ont dépensé entre 20 et 40 % des budgets annuels depuis les années 1960, augmentant l’endettement extérieur et, depuis les années 1990, l’endettement intérieur également.

Afin que la population accepte le processus de paix avec les FARC, le gouvernement a toujours fait valoir qu’à la fin du conflit armé, le budget de la guerre serait considérablement réduit, libérant des ressources pour l’investissement social. Mais le budget pour 2018 montre que ce poste est encore en hausse : 59,1 milliards de pesos (20 milliards de dollars) ; et, en même temps, le gouvernement lui-même dit que la mise en œuvre du processus post-conflit coûtera 80 milliards de dollars pour les dix prochaines années. Cela contribuerait à dynamiser et à renforcer chacun des secteurs afin d’assurer que l’agriculture et l’industrie soient renforcées pour améliorer l’emploi et l’éducation parmi tous les facteurs nécessaires à une paix viable et durable. Cela permet de penser que le niveau d’endettement pourrait augmenter d’environ 10 milliards de dollars par an et que la politique budgétaire sera plus restrictive, ce qui entraînerait une augmentation du fardeau fiscal qui touchera la population la plus pauvre de la Colombie.

Cette brève description de la situation colombienne nous permet d’affirmer que la dette extérieure de 124 milliards de dollars aujourd’hui, pourrait passer à 220 milliards de dollars dans les dix prochaines années, parce qu’aux besoins en ressources pour la période post-conflit, il faut ajouter l’argent nécessaire pour garantir d’autres investissements pour le bien-être de la population et le développement du pays. Ainsi, la dette extérieure augmenterait d’environ 100 milliards de dollars dans les 10 prochaines années. Alors, nous devons nous demander qui paiera la dette ? Et la réponse est élémentaire : les gens, qui seront les victimes de la vague de réformes structurelles que le gouvernement va imposer et a d’ailleurs déjà commencé à imposer depuis deux ans.

Jérôme Duval

Jérôme Duval

est membre du CADTM, Comité pour l’abolition des dettes illégitimes et de la PACD, la Plateforme d’audit citoyen de la dette en Espagne. Il est l’auteur avec Fátima Martín du livre Construcción europea al servicio de los mercados financieros, (Icaria editorial, 2016) et est également coauteur de l’ouvrage La Dette ou la Vie, (Aden-CADTM, 2011), livre collectif coordonné par Damien Millet et Eric Toussaint qui a reçu le Prix du livre politique à Liège en 2011.

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