22 octobre 2023 | tiré des Nouveaux Cahiers du Socialisme
https://www.cahiersdusocialisme.org/des-gouvernements-irresponsables-face-a-lurgence-climatique-et-a-la-deterioration-de-notre-environnement/
Inaction scandaleuse et irresponsable des gouvernements
Devant cette situation, l’inaction des gouvernements, tant provincial que fédéral, est scandaleuse et irresponsable. Ils ne mettent de l’avant aucun plan d’ensemble. Ils ne proposent aucune véritable transition énergétique et environnementale.
Le gouvernement Legault : branché sur le privé
Le titre du plan du gouvernement Legault, Plan pour une économie verte 2030, résume assez bien ses objectifs. Comme l’écrivait Bernard Rioux, il s’agit « d’une politique environnementale visant le verdissement de l’accumulation du capital [1] ». Le cœur de ce plan est l’électrification : remplacer les véhicules à essence (automobiles, camions, etc.) par des véhicules électriques, et cela, sans vision globale, sans analyse des conséquences de ce choix. Par exemple, malgré ses bienfaits, la filière électrique exige pour la production des batteries une grande quantité de matières premières comme le lithium, le cobalt, le cuivre, ce qui implique une course à l’exploration et à l’exploitation minières.
C’est ainsi que l’on a vu au Québec le nombre de claims (concessions minières) faire un bond de 65 % en l’espace de deux ans [2]. De 182 800 claims en vigueur en 2020-2021, ce nombre est passé à 302 564 en février 2023, la majorité dans le Nord-du-Québec, en territoire autochtone. Dans le sud, des villages complets découvrent être l’objet de claims miniers, d’autres sont en zone de villégiature et au cœur de projets d’aires protégées. En plus des effets dévastateurs sur l’environnement de cette exploration minière, cette dernière représente une menace directe pour la protection de la biodiversité et d’écosystèmes importants, comme la région de la rivière Magpie, de la rivière Cascapédia, de la Moisie [3]… Mais le gouvernement y voit surtout une bonne occasion d’affaires.
L’explosion des claims miniers s’ajoute à un régime forestier qui vient d’être révisé et qui permet de concentrer les coupes sur de plus grandes superficies, ce qui facilite la récolte de bois par l’industrie. Depuis 30 ans, les coupes dans la forêt publique ont grandement transformé cette dernière. « Ainsi, d’un paysage dominé par les vieilles forêts, nous en sommes aujourd’hui à un paysage fortement dominé par de jeunes forêts. Ce constat n’est pas sans conséquences tant sur le fonctionnement de l’écosystème et sa biodiversité que sur la disponibilité de la fibre dans les prochaines années. Ce n’est pas le caribou qui va faire perdre les emplois, c’est notre insatiable soif de croissance dans un univers où les ressources sont limitées [4] ». Les coupes forestières se font aussi de plus en plus à proximité des zones habitées et l’érosion provoquée par les coupes à blanc met en péril la qualité de l’eau potable [5].
La politique-cadre d’électrification du gouvernement Legault va faire exploser la demande en électricité. Alors que le Québec était en situation de surplus d’électricité il y a quelques années, on évoque maintenant la construction de nouveaux barrages pour pallier le manque prochain… Serait-ce une occasion de privatiser davantage la production d’énergie par les éoliennes et les petits barrages ?
Dans le plan caquiste, il n’est jamais ou très peu question d’économie d’énergie, de réorganisation des transports, de diminution de l’usage de l’auto solo [6] ou de développement des transports collectifs. Depuis plusieurs années, on assiste impuissant à une baisse du service des autobus régionaux et des trains. Au même moment, le développement du réseau autoroutier se poursuit, le Québec se divise sur la question d’un « troisième lien » entre Québec et Lévis et le parc automobile augmente plus vite que la population. Il faut changer de cap, car le secteur des transports est le principal émetteur de GES [7].
En 2019, le Canada trônait comme champion mondial de la production des GES par habitant, devant les États-Unis [8] (15,4 tonnes/habitant vs 14,7). Malgré son hydroélectricité, le Québec dégage 9,9 tonnes de GES par habitant contre 6,1 pour les pays européens.
Le gouvernement Trudeau : l’homme qui plantait des arbres
Au fédéral, la présence de l’ex-militant écologiste Steven Guilbeault comme ministre de l’Environnement semble avoir peu d’influence sur le gouvernement de Justin Trudeau. Pour les libéraux, il serait possible de lutter contre le réchauffement climatique tout en exploitant le pétrole tiré des sables bitumineux, d’en développer la production et de l’exporter à l’international. Le plan fédéral comporte encore et toujours de grosses subventions aux compagnies pétrolières, malgré l’engagement répété d’y mettre fin. En 2018, ce gouvernement « vert » a acheté l’oléoduc Trans Mountain permettant le transport du pétrole des sables bitumineux vers le Pacifique pour l’exportation. En 2019, il ajoute un projet d’agrandissement de 30 milliards de dollars [9] promettant de doubler le pipeline de Trans Mountain existant. Au moment où la planète doit réduire sa dépendance aux énergies fossiles, l’entreprise pourra transporter annuellement au moins 260 millions de barils de pétrole, et ce, pour plusieurs années. Comment le gouvernement peut-il encore affirmer que le pays se dirige vers la carboneutralité d’ici 2050 ? [10]
Au cœur de la solution mise de l’avant par le gouvernement fédéral se trouve la promesse de planter deux milliards d’arbres d’ici 2031, un engagement qui nécessiterait de planter 300 millions d’arbres par an…et critiqué par le commissaire fédéral à l’environnement et au développement durable en raison notamment de son caractère trop sommaire [11].
Écoblanchiment et contradictions dans les discours
Comme l’écrit le physicien Miguel Deschênes, « aujourd’hui, au Québec, tout est vert : le gaz naturel, les autos électriques, l’avion, le train, le tramway, les tunnels, les éoliennes, les exploitations forestières, les mines, les barrages et maintenant, comble du ridicule, l’énergie nucléaire [12] ». On accorde des tarifs préférentiels d’électricité aux grosses entreprises polluantes comme les alumineries et les fonderies, on continue de subventionner grassement les pétrolières, notamment pour des technologies peu crédibles de stockage et de séquestration du carbone. Les gouvernements et les politiciens et politiciennes parlent de plus en plus de la crise climatique, ils font semblant de s’y intéresser, mais ils continuent de soutenir un statu quo destructeur.
Selon Karel Mayrand, coprésident du Partenariat Climat Montréal, la plupart des plans d’adaptation des gouvernements et des municipalités se résument « à produire des études, à planter des arbres et à mettre à niveau certaines infrastructures sans véritable plan d’ensemble. […] Il en résulte une courtepointe de mesures qui n’ont pas d’effet véritable sur l’ensemble de nos infrastructures et de nos communautés [13] ».
Par exemple, lors du dernier budget, le gouvernement Legault a bonifié les investissements dans le Plan pour une économie verte 2030, par des mesures pour réduire la demande d’électricité en période de pointe, mais il repousse le même jour l’élargissement de la consigne, contrairement à ce qui avait été promis en 2022. Il se montre très timide sur des mesures qui permettraient d’avoir un impact plus significatif sur les habitudes de la population.
Quant au duo Trudeau-Guilbeault, il a annoncé une enveloppe d’environ 230 millions de dollars pour divers projets à petite échelle tels que le remplacement des systèmes de chauffage au mazout pour les ménages à faibles revenus et la plantation de 275 000 arbres à Montréal et à Vaudreuil-Dorion.
Non seulement les gouvernements n’ont pas de véritables plans, ils font preuve d’une grave hypocrisie envers les citoyennes et les citoyens. Les exemples à cet égard pleuvent. Les batteries vertes subventionnées par le Québec alimenteront de grosses voitures ultra lourdes et énergivores, comme les Hummers. Pire encore, les entreprises de la filière des batteries dans le parc industriel de Bécancour utiliseront du gaz naturel comme intrant et non de l’électricité. Hydro-Québec a même conclu une entente avec Énergir pour convertir des systèmes de chauffage au gaz à la biénergie, permettant à l’entreprise de continuer à vendre son gaz de schiste pendant plusieurs années encore. De son côté, Steven Guilbeault a approuvé récemment un mégaprojet d’expansion d’un port de conteneurs qui pourrait affecter plusieurs espèces en péril en Colombie-Britannique.
Injustice climatique
Nous devons le clamer haut et fort : tout le monde n’est pas égal face aux changements climatiques. Certaines personnes et groupes sont plus vulnérables, principalement selon leur profil socioéconomique : les personnes ainées, les enfants, les populations racisées, les travailleurs et travailleuses des industries saisonnières, les personnes à faible revenu ou atteintes de problèmes de santé chroniques et les Autochtones [14]. Il s’agit là d’une question de santé publique et non d’un problème individuel. Il y a donc une responsabilité d’action qui va au-delà de propositions de projets à la société civile. En milieu urbain, la chaleur extrême et la pollution atmosphérique notamment appellent des actions et des budgets qui doivent vraiment être plus importants : en plus de la diminution draconienne des émissions de GES, il faut rapidement augmenter le verdissement des milieux de vie, la déminéralisation des surfaces, la protection des sources d’eau et des rives, l’adaptation des bâtiments.
Des gouvernements passifs selon la population
En septembre 2019, 500 000 manifestantes et manifestants étaient dans les rues de Montréal à l’occasion de la grande marche pour le climat en présence de la militante Greta Thunberg. Cet élan fut ralenti par la pandémie. Toutefois, un sondage CROP publié en mai 2023 [15] révèle que la préoccupation des Québécoises et Québécois pour l’environnement est toujours bien présente : 84 % des répondants accordent un haut « niveau de responsabilité » aux gouvernements du Québec et du Canada en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Ce sont d’abord les gouvernements et les grandes entreprises qui doivent se responsabiliser. Selon Valériane Champagne St-Arnaud, professeure au département de marketing de l’Université Laval, les citoyens et citoyennes comprennent qu’une partie de la solution est entre leurs mains, mais ils savent aussi qu’il y a une limite à ce qu’ils peuvent faire individuellement. C’est pour ça qu’ils en exigent davantage de la part des gouvernements [16].
Conclusion : repolitiser la question climatique
Ce récent sondage démontre bien que la population n’est pas d’accord avec l’attitude irresponsable des gouvernements. Les politiques « au ton vert pâle » de ceux-ci nous dirigent vers un échec lamentable et de graves conséquences sur les écosystèmes et les populations. Il faut de toute urgence de véritables plans d’ensemble des gouvernements.
Il est cependant clair que la crise climatique ne peut être résolue sans changer notre système économique de façon radicale. On ne peut ignorer les liens entre le capitalisme, le néolibéralisme et la destruction écologique. Il est urgent de repolitiser la question climatique et environnementale.
Par Flavie Achard et Milan Bernard, pour le comité de rédaction.
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