Nos gouvernants appuyés par les médias dominants ont proposé une interprétation simple des différents dérapages lors des manifestations étudiantes contre la hausse des frais de scolarité : ceci est l’œuvre, disent-ils, des groupes d’individus, qui n’avaient pas l’intention de manifester, mais de commettre des actes criminels. C’est une minorité, qui n’a rien à voir avec des enjeux politiques. Ils affirment que ces casseurs ont réussi à transformer une manifestation qui se voulait pacifique et sécuritaire en une émeute.
Cette définition discrédite tous les mouvements sociaux et incite à un règlement de cette crise par des réformes institutionnelles très modestes et des élections bien contrôlées. Desquelles sortiront vainqueurs, à la surprise générale, des sympathisants des partis de masses (PQ, CAQ, PLC), dont nos gouvernants n’ont pas grand-chose à redouter.
Le mouvement populaire actuel que vit le Québec est à coup sûr une demande pressante de libération. Au regard d’un régime aussi corrompu et asservi aux désirs du grand capital que celui du gouvernement Charest, une telle demande est on ne peut plus légitime.
Ce désir d’émancipation prend naissance par opposition aux comportements serviles de nos gouvernements face à l’économie de marché planétaire. Ils défendent ce système à travers une bureaucratie affairiste en collaboration étroite avec une police répressive.
On sent bien que nos dirigeants préfèrent le ferme calme garanti par le statu quo à l’incertitude des émeutes, et ce, même s’ils ont à faire des concessions. Mais dès lors que l’émeute se laisse interpréter par les tenants du pouvoir, elle va être complètement dénaturée.
Dans ces conditions, il faut tenter de définir plus précisément ce qu’est ou serait un mouvement populaire, et ce que les émeutes actuelles, au-delà de cette tentation mortifère, pourraient bien être.
Pour une sociologie de l’émeute
Les émeutes qu’a connues le Québec prennent la forme immédiate d’émeutes anti-despotiques dont la puissance négative et populaire, est bien celle de la foule, mais dont la puissance affirmative n’a pas d’autre norme que celle dont se prévalent ses acteurs principaux : les manifestants.
Marx l’avait prévu : l’espace de réalisation des idées émancipatrices est l’espace mondial. La période que l’on vit voit la multiplication des insurrections populaires mais partout la même réponse méprisante de nos dirigeants : Cameron et son petit goulag londonien réservé aux jeunes révoltés, Sarkozy et son Kärcher anti-racaille, Charest et sa blague sur le Nord...
Il est clair que la nature de ces mouvements est différente. Pour bien comprendre ces phénomènes, on va distinguer trois types d’émeutes 1 : l’émeute immédiate, l’émeute latente et l’émeute historique. Voyons-en rapidement leurs principaux caractères.
1- L’émeute immédiate est un rassemblement agité de la jeunesse en réaction, à un forfait commis par l’État, souvent à travers ses forces de l’ordre. Elle est souvent localisée dans un territoire et elle peut s’étendre, par imitation, à d’autres lieux. Elle se confine à la révolte, à la destruction, c’est une colère spontanée. Du pillage rentable à la simple et pure joie de casser les acteurs de ces émeutes immédiates ne sont pas politiques. Malgré tout, l’émeute immédiate reste le signe d’un profond malaise social.
2-L’émeute historique indique quant à elle, la possibilité d’une nouvelle ouverture historico-politique. Les soulèvements dans les pays arabes, en particulier en Tunisie et en Égypte, répondent positivement à cette définition.
3- L’émeute latente, quant à elle est un mouvement social que le moindre incident spectaculaire ou dérapage violent fait sortir de son cadre institutionnel pour tomber dans une critique radicale du système en place. Cette description correspond bien à ce qui se passe au Québec depuis ces derniers mois...
L’émeute immédiate devient historique lorsqu’elle cesse d’être mue simplement par un désir de destruction pour se transformer en émeute politique. Le mouvement étudiant porte en son sein le potentiel de devenir un mouvement historique, au même titre que les révolutions arabes : 1) le lieu central durable de l’émeute qui est la place Émilie Gamelin montre le passage du temps limité et en quelque sorte censuré de l’émeute immédiate au temps long de l’émeute historique. 2) Dans ce lieu, peu à peu, toutes les composantes du peuple se retrouvent et s’unissent et discutent. 3) Un mot d’ordre unique enveloppe toutes les voix disparates : « Charest dehors, on va trouver une job dans le Nord ! ». Il est certain que le destin du « printemps érables » n’est pas fixé. Le but de ce texte n’est pas de faire des prévisions scientifiques, mais encore on peut inscrire les émeutes comme des actions caractéristiques de la période intervallaire dans laquelle nous sommes entrés.
L’idée révolutionnaire de la période précédente est obsolète. On est dans ce creux historique où les alternatives font défaut. On peut faire un parallèle entre la démocratie néo-libérale que nous connaissons (de 1980 à actuellement) et la « monarchie libérale » de la période intermédiaire durant laquelle le capitalisme moderne a pris son essor après l’écrasement des derniers sursauts de la révolution républicaine (1815-1850). Cette période a servi de gestation aux futures révolutions ouvrières (La commune, 1870).
Pour l’instant, les mots d’ordre de la révolte restent négatifs : Les gens rejettent le gouvernement Charest. Seule l’idée affirmative d’un projet politique peut donner à l’émeute, même historique, un réel avenir. Telle est la question. Au moment particulier où j’écris cet article, la grogne populaire est sortie du girond étudiant et s’est propagée au reste de la population, ouvrant par la même voie une infinité de possibilités. Heinrich Heine poète et journaliste allemand disait que « L’historien est un prophète qui regarde en arrière ». Telle est notre seule prétention dans ce texte et nous laissons au peuple Québécois la tâche de bâtir les voies de son émancipation.
Mohamed B