27 octobre 2021 | tiré de À l’encontre
Deux secrétaires du ministère de l’Economie et leurs adjoints ont démissionné jeudi 21 octobre, après que le gouvernement d’extrême droite a annoncé une aide mensuelle de 400 reais (72 dollars) à 17 millions de familles pauvres, brisant ainsi le « plafond de dépenses », la règle constitutionnelle créée en 2017 [par Michel Temer] qui limite l’augmentation annuelle du budget à l’inflation de l’année précédente.
Les fonctionnaires démissionnaires du Budget et du Trésor ont invoqué des « raisons personnelles » pour justifier leur démission, mais il était clair qu’ils n’étaient pas d’accord avec le changement des règles fiscales et avec le ministre de l’Economie Paulo Guedes, qui a admis la nécessité d’un « permis de dépenser » au-delà de ce plafond.
Il s’agit d’une concession au « populisme électoral » de Bolsonaro, dont la candidature à la réélection en octobre 2022 exige qu’il regagne la popularité perdue par son attitude négationniste face à la pandémie de Covid-19, qui a déjà tué plus de 604 000 personnes dans ce pays de quelque 213 millions d’habitants.
La Commission d’enquête parlementaire (CPI) du Sénat l’accuse de neuf crimes, dont le « crime contre l’humanité » [dû aux mesures poussant à la mort les populations indigènes] et la propagation d’une épidémie entraînant des décès, en ayant encouragé la population à violer les mesures de prévention, en ayant retardé l’achat de vaccins et diffusé des mensonges concernant la pandémie, entre autres.
Le charlatanisme est une autre accusation, car le président a recommandé des médicaments inappropriés, comme la chloroquine et l’ivermectine, un antiparasite, que son gouvernement continue de promouvoir comme « traitement précoce ». Bolsonaro lui-même l’a défendue dans son discours à la 76e Assemblée générale des Nations unies le 21 septembre 2021.
La prévarication s’ajoute à la liste des chefs d’accusation, pour manquement à l’obligation d’agir face à une corruption présumée lors de l’achat de vaccins, ainsi que le « crime de responsabilité », qui comprend diverses illégalités commises par les autorités publiques.
Le rapport du sénateur Renan Calheiros accuse 65 autres personnes, dont les trois fils du président, actifs politiquement, et quatre ministres et deux anciens ministres, pour avoir commis au moins un des 23 crimes prévus par la loi brésilienne. La CPI prévoit d’ajouter 10 autres accusés dans les prochains jours.
Le rapport dévastateur de 1180 pages doit être approuvé le 26 octobre par les sept membres de la CPI unis dans leur critique du gouvernement ; tandis que quatre autres, alliés de Bolsonaro, qui ont déjà annoncé des rapports alternatifs disculpant le président, le rejetteront [1].
La commission remettra ses conclusions au Ministère public, qui est chargé des enquêtes et des poursuites judiciaires, ainsi qu’au président de la Chambre des députés, Arthur Lira [membre du Parti progressiste, après avoir circulé dans diverses formations, entrepreneur et éleveur], qui décide de l’ouverture d’une procédure de destitution du président pour les présumés crimes dont il est responsable, et à d’autres autorités judiciaires.
La Cour pénale internationale, basée dans la ville néerlandaise de La Haye, pourrait également être sollicitée pour des crimes contre l’humanité qui auraient été commis par Bolsonaro, au pouvoir depuis le 1er janvier 2019.
Difficultés d’une destitution présidentielle
Mais les experts juridiques prévoient des difficultés pour poursuivre le président et les autres accusés.
Le rapport de la CPI est politique, même s’il incrimine les infractions qu’elle a identifiées au cours de ses six mois de travail. Il sera soumis à des évaluations juridiques et à d’autres autorités qui, jusqu’à présent, se sont distinguées en protégeant Bolsonaro et ses partisans.
C’est le cas du procureur général de la République et chef du Ministère public, Augusto Aras [en poste depuis septembre 2019, nommé par Bolsonaro], le seul à pouvoir ouvrir une procédure d’enquête judiciaire contre le président.
En outre, la procédure d’impeachment dépend du président de la Chambre des députés, et Arthur Lira possède déjà un dossier contenant plus de 130 demandes d’action contre Bolsonaro, sans aucune réponse. La proposition de la CPI en sera une de plus, sauf évolution imprévue.
Le président de la CPI, le sénateur Omar Aziz [de l’Etat d’Amazonas, actuellement membre du PSD-Parti social-démocrate], fait valoir qu’il n’y a aucun argument possible pour que ces autorités rejettent les conclusions de sa commission. En tout état de cause, il n’y a pas de délais pour un résultat et la lenteur de la justice au Brésil est bien connue.
Impact politique
Mais l’impact politique est déjà ressenti. Les séances publiques de la CPI, diffusées sur les chaînes d’information télévisées, ont révélé les dégâts et le chaos dans la gestion de la santé, résultat des orientations présidentielles contre le consensus des épidémiologistes et des spécialistes des maladies infectieuses.
Il en résulte des conflits permanents entre le gouvernement central et la plupart des 27 états et plus de 5500 municipalités. Il a même fallu un arrêt du Tribunal fédéral suprême (STF), qui a confirmé l’autonomie des gouvernements régionaux et locaux pour édicter des règles telles que la distanciation sociale et l’utilisation de masques.
Bolsonaro boycotte régulièrement ces règles, cherche à relancer l’économie en plein boom de la pandémie et rend le STF, les gouverneurs régionaux et les préfets municipaux (maires) responsables des difficultés économiques du pays.
Contrairement à presque tous les chefs d’état qui tentent de donner l’exemple à leur peuple, Bolsonaro refuse de se faire vacciner pour encourager la vaccination antivirale. Il a d’abord affirmé qu’il serait le dernier à le faire, et affirme maintenant qu’il ne se fera pas vacciner car, ayant contracté le coronavirus en juillet 2020, il se considère immunisé.
Les accusations de la CPI contre le président sont pratiquement toutes documentées. Il s’agit essentiellement de ses discours et de ses dialogues avec ses partisans. C’était le travail de la Commission de se concentrer et de trier les faits.
Les 57 témoignages recueillis au cours des six mois par la CPI établissent un tableau chaotique qui explique un grand nombre de décès évitables, que certains spécialistes estiment jusqu’à deux tiers du nombre total de décès.
Les personnes faisant l’objet d’une enquête, comme l’ancien ministre de la Santé, le général actif Eduardo Pazuello [qui a démissionné en mars 2021, il avait été nommé en septembre 2020], et l’actuel, le docteur Marcelo Queiroga, ou les témoins, comme le fonctionnaire du ministère de la santé, Luis Ricardo Miranda, qui a dénoncé des irrégularités dans l’achat de vaccins, ont révélé les aspects d’une gestion vouée à l’échec.
Ils ont identifié, par exemple, ce que le CPI appelle un « cabinet parallèle » de médecins, d’hommes d’affaires et de politiciens que Bolsonaro a réuni pour discuter des actions à mener contre la pandémie, en général pour promouvoir la distribution du « kit covid », un cocktail de médicaments inefficaces et dangereux, comme l’ivermectine, qui peut détruire le foie, et la chloroquine, qui aggrave les problèmes cardiaques.
Pendant six mois, le gouvernement a laissé sans réponse les propositions de la société américaine Pfizer-BioNTech pour la vente de ses vaccins, qui figurent désormais parmi les plus utilisés au Brésil. Un contrat en 2020 aurait permis de sauver de nombreuses vies, mais il n’a été signé qu’en mars 2021.
Le boomerang du populisme
La détérioration politique du gouvernement le pousse à adopter des actions économiques populistes. Mais ces mesures peuvent se retourner contre lui.
Le programme de Bolsonaro, baptisé Auxilio Brasil, remplacera la Bolsa Familia, ou allocation familiale, qui existe depuis 2003, élargira ses bénéficiaires de 14 à 17 millions de familles et fera plus que doubler le montant mensuel.
Mais le nouveau plan dépasserait les limites budgétaires. Outre l’illégalité que cherche à surmonter une nouvelle loi en cours de processus législatif au Congrès national, sa seule annonce a déjà détruit la confiance des investisseurs dans le gouvernement, et plus particulièrement dans le ministre de l’Economie, Paulo Guedes. Ce dernier, autrefois défenseur rigide du « plafond de dépenses », qui avait promis d’éliminer le déficit public, a subi le départ de ses collaborateurs directs depuis 2020 en raison de ses concessions à l’ingérence politique du président dans la gestion économique.
L’annonce du plan Auxilio Brasil de 400 reais a fait chuter l’indice de la bourse de São Paulo de 2,75 % le 21 octobre, tandis que le réal s’est dévalué de 2% par rapport au dollar. Depuis le début de l’année, le marché boursier a chuté de 9,48% et la monnaie brésilienne s’est dévaluée par rapport au dollar de 9,05%.
L’incertitude générée devrait faire augmenter le taux d’inflation, qui a déjà atteint 10,25% au cours des 12 derniers mois, et les taux d’intérêt ont déjà augmenté. Cela annule une grande partie de l’augmentation de cette aide du plan Auxilio Brasil.
La dévaluation du taux de change rend les prix des carburants encore plus chers. La hausse des prix du diesel, que le gouvernement justifie par l’annonce d’une grève des camionneurs à partir du 1er novembre, a atteint 49% de janvier à septembre.
Bolsonaro a annoncé l’octroi d’une subvention à 750 000 camionneurs indépendants pour compenser leurs coûts, afin d’éviter une grève comme celle de 2018, qui a gravement affecté l’économie.
C’est une mesure de plus du populisme déchaîné que semble adopter le président, qui aggrave les risques de récession économique, avec des résultats électoraux opposés à ceux qu’il souhaite. (Article publié par InterPress Service, le 22 octobre 2021 ; traduction rédaction A l’Encontre)
[1] En effet, dans la soirée du 26 octobre, 7 des 11 sénateurs ayant mené les travaux ont approuvé la demande d’inculpation du président pour, notamment, « crime contre l’humanité », « prévarication », « charlatanisme » et « incitation au crime ». A un an de la présidentielle, un sondage réalisé mi-septembre par l’institut Datafolha donnait 26% au président d’extrême droite au 1er tour, contre 44% pour Lula. (Réd.)
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