À Ottawa, dès son élection et à la joie de plusieurs, le gouvernement Trudeau a banni le mot austérité de son vocabulaire budgétaire. Le ministre des Finances Morneau n’a pas hésité à prévoir d’importants déficits pour les années à venir. Il a annoncé des investissements de 186,7 G$ dans les infrastructures pour les dix prochaines années, investissements qui devraient, selon lui, relancer rapidement l’économie, une rapidité dont doute cependant le Directeur parlementaire du budget.
On nous a dit que nos infrastructures en ont bien besoin, elles qui ont été négligées par le gouvernement conservateur précédent dans sa volonté de diminuer les dépenses. Sans compter que des infrastructures modernes et bien entretenues sont vues, a-t-on ajouté, comme un facteur de développement économique qui ne peut qu’être attrayant pour des entreprises.
En fait, juste à cette annonce, beaucoup d’entreprises ont commencé à saliver. Doit-on rappeler que ces argents publics serviront à donner des contrats publics à des entreprises privées, et contribueront sensiblement à leur développement ? Ajoutons que plusieurs de ces contrats risquent de se faire en mode PPP comme promu par le Conseil canadien pour les PPP , et qu’à partir d’avril, tout cela se déroulera sous les auspices de l’Accord de libre- échange avec l’Europe qui encouragera et favorisera l’ouverture des marchés publics canadiens aux entreprises européennes, un accord à « caractère singulièrement progressiste", selon Justin Trudeau.
Si ce n’était pas encore assez clair, le Devoir nous apprenait il y a deux semaines que le gouvernement Trudeau « réfléchit à l’avenir des aéroports avec l’aide de la firme Crédit Suisse », et pourrait bien les privatiser… après les avoir retapés. Ceux qui ne voient pas encore ce que ça changerait devraient jeter un coup d’œil sur le site Cessons la vente des aéroports qui nous apprend que « tant au Royaume-Uni, qu’en Australie, ces ventes n’ont pas rapporté les recettes fiscales qu’en avaient escomptées les gouvernements. Les frais pour la clientèle des aéroports ont augmenté plutôt, et les niveaux de service se sont dégradés. »
Il semble également que le caractère progressiste qu’affectionne M. Trudeau a ses limites puisque les investissements massifs en infrastructures de son gouvernement pour la décennie à venir côtoient des investissements insuffisants en santé pour la même période. Il est vrai qu’il est plus facile de favoriser ouvertement le privé à travers des contrats publics ou en PPP dans les infrastructures que dans la santé, où les Canadiens tiennent mordicus à conserver leur système public de soins. C’est pourquoi la stratégie est différente : il faut forcer le recours au privé par un défaut volontaire des ressources nécessaires aux besoins.
C’est là que se rejoignent (néo)libéraux d’Ottawa et de Québec.
Le gouvernement Couillard-Leitao s’est acharné depuis 2014 à répéter que nos finances publiques étaient au plus mal et qu’il fallait appliquer des mesures d’austérité (ou de rigueur budgétaire, selon leurs dires).
Ces mesures se sont soldées par un surplus de 3,7 G$ l’an dernier, ce qui a fait dire à la Protectrice du citoyen que « les plus vulnérables ont payé le prix de l’austérité ».
Le premier ministre a eu beau répliquer que ce n’était « que du vent, ça ne veut rien dire pour la population », on peut penser que de plus en plus de citoyen.ne.s diffèrent d’opinion avec lui. Les exemples de manque de services s’accumulent : pour les enfants qui ont des troubles d’apprentissage, pour l’intégration de nouveaux arrivants, pour des services sociaux, pour la santé mentale, pour des soins à domicile, etc. Il ne peut en être autrement : ce sont les deux plus grosses dépenses gouvernementales, la Santé et l’Éducation, qui ont dû absorber la majeure partie de ces surpluscompressions.
En Santé, le ministre Barrette ne s’est pas gêné pour tout chambarder et restructurer, rendant plus difficile le suivi budgétaire dans les nouveaux établissements. Cela lui a permis depuis deux ans de répéter que les économies qui en ont découlé l’ont été dans la gestion et la bureaucratie, sans affecter les services. La population, qui commence à en ressentir les contrecoups, est de moins en moins dupe de ses déclarations, elle qui se voit de plus en plus forcée de recourir au privé.
Aussi le budget fédéral tombe-t-il à point, permettant au ministre Barrette d’invoquer la responsabilité du sousfinancement fédéral de la santé dans la mise à mal de pans entiers de notre système public de soins de santé et de services sociaux.
Nos grands rigoristes budgétaires que sont MM. Couillard, Leitao et Barrette ne se sont pourtant pas empressés depuis leur élection de s’attaquer à l’une de nos plus grosses dépenses en santé : le coût des médicaments.
Devons-nous rappeler que c’est au Québec qu’on paie le plus cher au monde pour nos médicaments, tout juste derrière la Suisse, que nos médicaments nous coûtent 30 % de PLUS que dans la moyenne des autres pays développés, que deux clients qui entrent dans la même pharmacie pour les mêmes médicaments peuvent en ressortir avec deux factures différentes, selon qu’ils sont assurés au public ou au privé, et que 12 % de la population du Québec ne peut payer ses ordonnances, faute de moyens ?
Rendre entièrement public notre régime d’assurance médicaments permettrait d’économiser de 1 à 3 milliards de dollars par année au Trésor public. Mais nos grands prêtres de la rigueur budgétaire dans les dépenses publiques préfèrent plutôt laisser ce magot directement dans les poches des pharmaceutiques et des assureurs privés plutôt que d’utiliser ces fonds pour financer adéquatement nos services publics.
On peut douter que le ministre Leitao reprenne, dans son prochain budget, ne serait-ce que l’une des solutions fiscales qui lui ont été présentées par la Coalition opposée à la tarification et la privatisation des services publics, démontrant qu’il peut faire autrement.
Et c’est la population qui en souffrira : les plus démunis, et plus encore ceux qui habitent en régions éloignées des grands centres, parce qu’ils ne représentent pas un marché assez lucratif pour le privé qui les délaisse.
À force de nier cette réalité en disant qu’elle n’est que du vent, le gouvernement Couillard pourrait bien se préparer une joyeuse tempête aux prochaines élections.
Jacques Benoit.