Édition du 16 avril 2024

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Féminisme

Au Mississipi, les femmes pourraient être emprisonnées en cas de naissance d’un enfant mort-né ou après une fausse couche

Le 14 mars 2009, à 31 semaines de grossesse, Nina Buckhalter a accouché d’un enfant mort-né. C’était une fille qu’elle a appelée Hayley Jade. Deux mois plus tard, dans le comté de Lamar au Mississipi, elle a été accusée d’homicide involontaire pour, « avoir volontairement, illégalement, et criminellement, tué Hayley Jade, une personne en devenir, par négligence criminelle ».

Tiré de Mother Jones, 23 mai 2013. Traduction, Alexandra Cyr.

Le procureur du district a invoqué que la méthamphétamine détectée dans son sang avait causé la mort du fœtus. La Cour suprême de l’État qui a entendu les plaidoiries le 2 avril dernier, devrait rendre son jugement prochainement quant à la poursuite des procédures.

Selon Mme Farah Diaz-Tello, avocate à la National Advocates for Pregnant Women, une organisation sans but lucratif, si le point de vue du procureur de l’État prévaut, cela créera un « dangereux précédent : les avortements naturels seraient traités comme des homicides ». Elle est en contact avec Mtre Robert McDuff, un avocat de la défense des droits civiques au Mississipi, qui défend Mme Buckhalter. La NAPW craint que si les procédures continuent dans ce cas, les mêmes poursuites puissent être utilisées ailleurs dans le pays.

Les lois sur les homicides involontaires du Mississipi n’ont pas été adoptées pour viser ces situations. De 1998 à 2002 les législateurs de cet État ont rejeté des motions qui auraient imposé des sanctions dans le cas de problèmes subis par un fœtus à cause d’utilisation de drogues par la mère au cours de sa grossesse. Ils invoquent maintenant que des lois de deux autres États leur permettent de poursuivre Mme Buckhalter. Dans un cas l’homicide involontaire est défini comme : « le meurtre d’un être humain par action, délégation ou négligence criminelle ». Dans un autre cas la définition des termes « être humain » inclus : « un enfant non encore né à n’importe quel stade de gestation de la conception à la naissance ».

Il est toujours difficile de spécifier les raisons des fausses couches ou des naissances d’enfants mort-nés. Beaucoup d’experts soutiennent qu’il n’existe pas de preuves probantes que l’usage de drogues par la mère puisse déclencher ces incidents. Les poursuites contre Mme Buckhalter ouvrent la porte à toutes sortes d’investigations ou poursuites contre les femmes pour une foule de raisons en lien avec ce genre de situations. Dans leurs arguments devant la Cour Suprême de l’État, les avocats plaidant contre la mesure ont souligné que des raisons qui pourraient aller jusqu’à : « fumer, boire de l’alcool, l’usage de drogues, pratiquer des exercices physiques que le médecin aurait interdit, ou ne pas suivre les recommandations en regard de l’obésité ou de l’hypertension » pourraient être invoquées pour appuyer les poursuites. Mme Leslie D. King, juge de cette cour, a elle-même invoqué ces problèmes : « Les médecins pourraient recommander aux femmes d’éviter des tisanes, d’autres choses comme les fromages au lait cru, les charcuteries. Où sont donc les limites ? »

La NAPW rappelle que les lois qui visent la criminalisation du mal fait au fœtus ou son meurtre sont défendues comme un moyen de protection des femmes enceintes contre les violences et les abus mais souvent elles sont utilisées contre les femmes elles mêmes. Le groupe a examiné plus de 400 cas à travers le pays où ces lois ont été utilisées pour détenir et emprisonner des femmes enceintes. Plutôt cette année, l’Alabama, État voisin du Mississipi, a créé son propre précédent en poursuivant des femmes enceintes pour usage de drogues. En janvier dernier, la Cour Suprême de cet État a maintenu les accusations contre deux femmes, Amanda Kimbrough et Hope Ankrom, pour mise ne danger de l’enfant par des moyens chimiques en vertu de la loi de 2006, qui avait été adoptée pour punir les gens qui exposent les enfants, pas les fœtus, aux méfaits des drogues illégales. Mme Kimbrough a donné naissance prématurément à un garçon qui est mort peu après. Elle avait été accusée parce qu’un test avait repéré la présence de méthamphétamine dans son sang. Mme Ankrom a eu un garçon en santé mais elle a été accusée après qu’on ait trouvé de la marijuana et de la cocaïne dans son sang.

Mme Diaz-Tello ajoute qu’au Mississipi son organisation lutte contre ce genre de lois. Le jugement contre Mme Buckhalter pourrait faire jurisprudence et jouer dans la situation d’une autre jeune femme, Rennie Gibbs, âgée de 16 ans et qui est accusée d’avoir « un cœur dépravé de meurtrière » après qu’elle eut donné naissance à un enfant mort-né en 2006. Le médecin légiste a stipulé qu’une petite quantité de cocaïne présente dans le corps de l’enfant à l’autopsie était la cause de son décès. Le procès de cette jeune fille devrait avoir lieu plus tard cette année.

Les avocats de Mme Buckhalter soutiennent que ces deux affaires sont intimement liées à la guerre contre l’avortement au Mississipi, un des États où elle est la plus virulente. En 2011, la question de la possibilité de donner les pleins droits aux embryons dès la fécondation a été posée à la population dans une consultation populaire. Cela aurait rendu tout avortement illégal. Cette proposition a été rejetée mais les ténors de l’anti-avortement se promettent de revenir à la charge en 2015. Des avocats travaillent avec ardeur à faire fermer la dernière clinique d’avortement de l’État qui soit encore en fonction. « Accuser les femmes d’homicides involontaires parce qu’elles ont fait usage de drogues durant leur grossesses n’est qu’un autre moyen indirect d’établir un statut de personne aux fœtus », dit Mme Diaz-Tello.

Maître McDuff, de son côté a insisté dans son plaidoyer devant la Cour Suprême le mois dernier, que même les lois de l’État qui incluent le meurtre d’un enfant à « tous les stades de gestations », comportent une exemption spécifique pour ce qui concerne les femmes qui se font avorter légalement. Si une femme peut légalement mettre fin a une grossesse dont elle ne veut pas, comment peut-on l’emprisonner pour la terminaison non intentionnelle de celle dont elle veut, a-t-il fait valoir.

Il souligne aussi qu’un des effets les plus pervers de la poursuite dont est victime sa cliente pourrait être l’augmentation du nombre d’avortement. La peur des poursuites pourrait inciter des femmes à avoir recours à l’avortement légal. Celles qui font usages de drogues ou d’alcool pourraient se tourner plus encore que les autres vers cette solution note-t-il dans sa présentation écrite à la cour.

Cet argument a été utilisé par une douzaine d’organismes médicaux et de santé publique, dont l’American Medical Association, l’American Academy of Pediatrics et l’American College of Obstetricians and Gynecologists, devant cette même cour à titre d’« Amis de la cour ». Ce groupe souligne que, même les femmes qui pourraient vouloir poursuivre leur grossesse, éviteraient peut-être le suivi médical normal ou des traitements de sevrage de drogue de peur que des renseignements partagés avec leur médecin ne soient transmis et qu’elles soient soumises ensuite à des poursuites.

L’avocat de Mme Buckhalter dit qu’elle a reçu l’aide dont elle avait besoin depuis la perte de sa fille. Elle a conçu un autre enfant, complété une thérapie de sevrage de drogue et donné naissance à un garçon en parfaite santé. Elle a aussi terminé un programme au Hinds Community College où elle a décroché son introduction à la société des honneurs. Mtr McDuff dit que c’est là un parfait exemple de ce que les femmes dans sa situation ont besoin d’aide, pas de prison. Et il ajoute : « C’est clair qu’il ne faut pas prendre de drogue durant la grossesse. Mais l’idée de poursuivre celles qui le font pour meurtre ou homicide involontaire et d’essayer de les emprisonner est une pure folie ».

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