Édition du 12 novembre 2024

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Québec

Une réforme du mode de scrutin au Québec… Finalement ?

Le mode de scrutin uninominal majoritaire à un tour est basé sur le découpage en circonscriptions électorales d’un territoire où chaque circonscription n’élit qu’un seul député (uninominal). La personne candidate qui obtient le plus grand nombre de votes dans une circonscription est proclamée élue.

Tiré de Quoi de neuf , bulletin de l’AREQ-CSQ, volume 41, numéro 2, Hiver 2019

Isabelle Lacroix, PH.D., est professeure et directrice de l’école de politique appliquée, Université de Sherbrooke

LE MODE DE SCRUTIN ACTUEL AU QUÉBEC ET AU CANADA

Lorsqu’une personne est élue, elle obtient un siège à l’Assemblée nationale, et le parti politique dont le plus grand nombre de candidats gagnent remporte une majorité de sièges et forme le gouvernement. Si le nombre de sièges additionnés des partis de l’opposition est plus grand que ceux du parti ayant emporté le plus grand nombre de circonscriptions, le gouvernement est minoritaire.

Le 9 mai dernier, les médias québécois ont été nombreux à rapporter que les trois partis d’opposition – le Parti québécois, la Coalition avenir Québec et Québec solidaire – s’étaient entendus sur une future réforme du mode de scrutin. On annonçait d’ailleurs une entente historique ! À ce moment-là, les trois partis ont signé une entente selon laquelle ils s’engageaient à abolir le mode de scrutin actuellement en vigueur, uninominal à un tour, s’ils prenaient le pouvoir le 1 er octobre 2018. La suite de l’histoire nous est connue maintenant, la Coalition avenir Québec ayant remporté l’élection générale. Cette victoire devrait donc sonner le glas de ce mode de scrutin.

QUELLE RÉFORME ?

Le problème qui alimente les discussions au Québec quant à une réforme du mode de scrutin tient à deux facteurs principaux : la représentativité de la Chambre des élus et la confiance de la population envers les élus. Abordons d’abord la question de la représentativité.

La principale critique à l’endroit de notre système électoral est que la députation en Chambre est trop peu représentative du pourcentage global des votes. Les partis obtiennent une proportion plus élevée, ou plus faible selon les cas, de sièges par comparaison avec le nombre de votes obtenus. Par exemple, lors de la dernière élection, la Coalition avenir Québec a obtenu 74 sièges, ce qui représente près de 60 % de la Chambre avec 37 % des votes [1] . Encore plus marquant, en 1998 le Parti québécois avait remporté l’élection tout en ayant obtenu moins de votes que le Parti libéral. Le Parti québécois avait obtenu à ce moment-là 76 sièges (soit près de 61 % de la Chambre) avec 42,87 % des votes, contre 43,55 % des votes pour les libéraux, qui formaient l’opposition officielle avec 48 sièges (soit 38 % de la Chambre). Cette distorsion, l’écart entre le nombre de votes et le nombre de sièges, amène plusieurs observateurs de la scène politique québécoise à souhaiter un système électoral qui serait plus représentatif, où le pourcentage des votes d’un parti serait plus près du pourcentage de sièges obtenus en Chambre.



C’est ainsi que la plupart des militants en faveur d’une réforme du mode de scrutin proposent d’instaurer un système électoral avec une composante proportionnelle. Plus précisément, la proposition faite par les trois partis d’opposition en mai 2018 visait l’instauration d’un mode de scrutin de type « proportionnel mixte » [2]. Il ne s’agit pas ici de faire une étude détaillée d’un projet de réforme qui n’existe pas encore, mais plutôt de voir les grandes lignes de ce qui pourrait être proposé. Cela voudrait dire qu’au Québec, une grande partie des élus, par exemple 75 députés sur les 125 au total actuellement, pourraient être élus selon le monde de scrutin actuel et les 50 restants, selon une logique proportionnelle.

Ainsi, le Québec serait, par exemple, découpé en 75 grandes circonscriptions électorales et ces députés seraient élus pour représenter directement la population de ces comtés. Les 50 autres députés seraient élus selon le vote obtenu (vote régional ou vote global) par chacun des partis (40 % pour le parti bleu = 40 % des députés du parti bleu) à partir d’une liste de candidats présentés par chaque parti. Ce fonctionnement aurait le grand avantage de maintenir à la fois un lien direct entre les électeurs et leurs députés localement au moyen des députés élus par circonscription électorale, et à la fois d’accroître la représentativité de la Chambre selon le vote populaire à partir des députés élus à la proportionnelle. Rien n’est magique en politique, et cela ne répondrait pas à toutes les attentes populaires, mais cela permettrait de répondre directement à la critique du manque de représentativité de la Chambre des élus. Ce qui serait politiquement une avancée majeure et réelle.

AILLEURS AU CANADA

Ce débat n’est pas nouveau au Québec, et le Québec n’est pas seul à remettre en question son mode de scrutin dans l’espace canadien. Les années 2000 ont d’ailleurs amené quelques provinces canadiennes à développer des projets de réforme en ce sens. Tous les projets comportaient une composante de proportionnelle, pour accroître la représentativité de la Chambre des élus, mais tous ne proposaient pas le même mode de scrutin. Ainsi, entre 2003 et 2009, la Colombie-Britannique a proposé d’instaurer un système basé sur le vote unique transférable [3]. Pour ce faire, une assemblée citoyenne fut formée et la population de la province fut consultée à deux reprises par un référendum sur ce projet. La réforme fut rejetée les deux fois. Entre 2003 et 2007, l’Ontario a aussi développé un projet de réforme reposant sur un système de représentation proportionnelle mixte [4]. Ce projet était le résultat des travaux d’une assemblée de citoyens et fut soumis à la population par référendum. Là aussi, ce projet fut rejeté.

Pendant les mêmes années, soit entre 2003 et 2007, le Nouveau-Brunswick a mis sur pied une commission sur la démocratie législative qui, après avoir tenu des audiences publiques, a déposé des rapports au gouvernement qui proposaient d’instaurer un système de représentation proportionnelle mixte régionale [5] . La réforme ne fut jamais mise en œuvre. À l’Île-du-Prince-Édouard, l’histoire fut cependant un peu différente et s’est déroulée en deux étapes. Entre 2003 et 2005, une commission sur l’avenir électoral de la province a recommandé l’instauration d’un système de représentation proportionnelle mixte. Ce projet fit l’objet d’un référendum dont le taux de participation fut très faible et le résultat négatif [6] . Or, en 2016, un nouveau référendum a permis à la population de se prononcer sur cinq propositions différentes de mode de scrutin, incluant le statu quo. La représentation proportionnelle mixte l’a emporté de justesse [7], mais le gouvernement a aussitôt annoncé qu’il ne reconnaissait pas ce résultat et aucune réforme ne fut enclenchée.

Le Québec ne fait pas exception en cette matière alors qu’entre 2003 et 2005 se sont enchaînés sur cette question des états généraux sur la réforme des institutions démocratiques, des comités de citoyens, une commission parlementaire, un avant-projet de loi, une démarche relevant du Directeur général des élections du Québec, etc., tout cela convergeant vers l’instauration d’un système de proportionnelle mixte. Or, là aussi, la réforme n’a jamais vu le jour et est demeurée lettre morte.

Qu’est-ce qui peut expliquer tant de projets rejetés et d’hésitations ? La première raison est probablement l’habitude. L’avantage du système actuel est justement qu’il est connu des électeurs et des électrices. De plus, il est particulièrement simple à comprendre, notamment en ce qui préside à la formation du gouvernement. Aussi, une des raisons qui expliquent fort probablement la persistance d’un système malgré ses failles en termes de représentativité est la grande stabilité gouvernementale qu’il offre généralement. Le mode de scrutin actuel permettant l’élection fréquente de gouvernements majoritaires, il assure des gouvernements qui ont les coudées franches pour gouverner entre les élections, aujourd’hui à date fixe. Cela est considéré comme un grand avantage par comparaison au régime de gouvernements de coalition, souvent issus de modes de scrutin proportionnel, qui sont plus instables et où les élections sont plus fréquentes. Comme quoi, rien n’est parfait !

MAIS LA CONFIANCE, ELLE ?

Je disais plus tôt que les acteurs politiques et les militants mettent de l’avant un projet de réforme électorale pour accroître ou retrouver un lien de confiance entre les citoyens et les citoyennes et leurs élus. Est-ce qu’une Chambre plus représentative du vote populaire est plus digne de confiance ? Plusieurs semblent le croire, et ce, tous partis confondus. Même le Parti libéral du Québec, qui a refusé de s’engager en faveur d’une réforme du mode de scrutin à la dernière élection, soutenait au début des années 2000 qu’une réforme électorale introduisant des principes de proportionnalité aurait un effet positif sur la confiance de la population envers les élus [8]. Ainsi, on peut croire qu’un système électoral qui reflète davantage la volonté populaire exprimée lors d’une élection pourra inspirer confiance aux électeurs et aux électrices. Or, la confiance des citoyens et des citoyennes ne s’alimente pas uniquement de cette représentativité. D’autres considérations devront assurément accompagner une pareille réforme – telles que les pratiques partisanes et les procédures de transparence – pour assurer le renforcement d’une confiance nécessaire entre les gouvernants et les gouvernés. Aussi, une Chambre plus représentative incitera-t-elle à plus de participation ? Les États occidentaux qui fonctionnent depuis un certain temps sous un système électoral proportionnel semblent connaître la même chute de participation électorale et font craindre que cela ne soit pas suffisant pour mettre fin à un désintérêt citoyen inquiétant. Au Québec, cela pourrait cependant être un bon premier pas.

ET MAINTENANT ?

C’est la ministre Sonia Lebel, au sein du gouvernement Legault, qui a reçu le mandat d’étudier la question de l’éventuelle réforme du mode de scrutin au Québec. Le Parti libéral, qui forme l’opposition officielle en Chambre, s’est déjà prononcé contre une telle réforme. Bien sûr, le gouvernement pourrait choisir de procéder avec un vote majoritaire en Chambre qui obtiendrait fort probablement l’appui des députés du Parti québécois et de Québec solidaire, mais la tradition veut qu’habituellement, les projets de loi qui viennent modifier les règles démocratiques soient adoptés à l’unanimité. Est-ce ce qui empêchera une réforme québécoise ?

Il reste tout de même que le parti au pouvoir, la Coalition avenir Québec, a remporté son élection à partir de ce mode de scrutin, comme les autres partis auparavant. La tentation pourrait être forte de maintenir en place un système qui sert bien les gagnants, aussi imparfait soit-il. Surtout que la question du mode de scrutin est bien peu populaire auprès de la population. Si personne n’est contre la vertu, les militants engagés en faveur de cette réforme sont peu nombreux et les demandes populaires pressantes bien peu nombreuses aussi. Il faudra voir, de plus, si le consensus actuel entre la Coalition avenir Québec, le Parti québécois et Québec solidaire passera le test de la rédaction d’un projet réel et concret. Transformer de grands principes en articles de loi n’est pas toujours aisé. À choisir, les gouvernements vont bien souvent prioriser d’autres dossiers avant celui-là. ?


[1Source : Perspective monde, « À la recherche des “conditions gagnantes” », https://www.electionsquebec.qc.ca/provinciales/fr/resultats.php.

[2Pour plus de détails : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1100099/ partis-opposition-quebec-reforme-scrutin-proportionnel-mixte.

[3Pour plus de détails : https://fr.wikipedia.org/wiki/Scrutin_ %C3 %A0_vote_ unique_transf %C3 %A9rable et Barnes et Robertson, 2009, http://www. publications.gc.ca/site/eng/9.598342/publication.html.

[4Pour plus de détails : Barnes et Robertson, 2009, http://www.publications. gc.ca/site/eng/9.598342/publication.html

[5Pour plus de détails : Barnes et Robertson, 2009, http://www.publications. gc.ca/site/eng/9.598342/publication.html

[6Pour plus de détails : Barnes et Robertson, 2009, http://www.publications. gc.ca/site/eng/9.598342/publication.html

[7Pour plus de détails : Barnes et Robertson, 2009, http:// www.publications.gc.ca/site/eng/9.598342/publication. html et https://www.ledevoir.com/politique/canada/484162/ ile-du-prince-edouard-nouveau-mode-de-scrutin-un-oui-a-l-arrache.

[8Pour plus de détails : « Briller parmi les meilleurs » (2004), http://collections. banq.qc.ca/ark

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