Édition du 14 mai 2024

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Syndicalisme

Syndicalistes et action politique : L’heure des choix

« Que la F.T.Q prenne le rôle de l’opposition officielle ». Voilà ce qui a été publié dans Le quotidien de juillet 2022 pour reprendre les mots de la toute première femme wendate nouvellement élu à la tête de la F.T.Q, Magali Picard. Pour ce faire, il va falloir que les syndicalistes québécois cessent leurs tergiversations si on souhaite « faire de la fédération une opposition officielle « impartiale », « saine » et « citoyenne ».

« Une opposition qui dit oui à ce qui est favorable aux travailleurs et non à ce qui ne l’est pas. » La célèbre citation du syndicaliste Michel Chartrand « Si tu ne t’occupes pas de la politique, elle s’occupera de toi » résonne toujours. Ce dilemme si présent dans l’histoire du syndicalisme québécois refait surface. La droite semble bien camper au pouvoir et pour la déloger, le mouvement syndical devra jouer son rôle traditionnel d’opposant au pouvoir patronal.

Le syndicalisme à l’origine de l’état social

Le syndicaliste Alfred Charpentier retrace l’histoire de syndicalistes qui tentent de s’organiser politiquement dans un article intitulé, Le mouvement ouvrier politique de Montréal 2 , publié en 1955. Il affirme que dès la fin du dix-neuvième siècle, des candidatures ouvrières font leur apparition aux élections tant fédérales que provinciales. Sous l’égide du conseil central des métiers et du travail de Montréal, ces syndicalistes tenteront de s’organiser afin de créer une force politique capable de porter les intérêts de la classe ouvrière face au pouvoir politique. Le parti ouvrier de Montréal verra le jour au début du vingtième siècle et ses activités dureront jusqu’aux années vingt. D’ailleurs, fait intéressant, Charpentier mentionne 5 revendications présentes dans la plateforme du parti (p.78) : 1. Élection des juges par le peuple, 2. Nomination d’un ministre de l’Instruction publique, 3. Instruction gratuite et obligatoire, 4. Le suffrage féminin, 5. Nationalisation et municipalisation de tous les services d’utilité publique. Il va sans dire qu’avec ce type de revendications, les syndicalistes du c.c.m.t. établisse politiquement les fondements d’un État social.

De plus, l’historien Jacques Rouillard explique dans une étude portant sur le conseil des métiers et du travail de Montréal, qu’on ne militait pas qu’en faveur de signatures de convention collectives pour les membres mais aussi pour l’amélioration des qualités de vie de l’ensemble de la classe ouvrière et dont le but était d’ériger un véritable projet politique : «  Comme nous le montrerons, ces revendications concernent un très large éventail de sujets touchant la vie en société, que ce soit en rapport avec l’organisation de la vie politique, le système économique, les normes du travail, l’appareil judiciaire, les politiques sociales ou le transport en commun. L’étendue des réformes proposées révèle un projet global de société qui se situe dans la mouvance sociale-démocrate, système d’organisation sociopolitique qu’on estime le mieux en mesure d’assurer l’avancement de la classe laborieuse3  ».

Les syndicalistes vers l’indépendance

Comme nous le savons tous, la révolution tranquille qui eut lieu au tournant des années 60 avec l’arrivée du Parti Libéral de Jean Lesage au pouvoir fit entrer le Québec dans la modernité. Des réformes importantes en faveur du plus grand nombre virent le jour. Mais les syndicalistes québécois ne s’arrêtèrent pas là. Au tournant des années 70, une partie de la gauche québécoise considère que la question sociale est intimement liée à la question nationale. Le rassemblement des militants syndicaux (RMS), animé par le groupe des travailleurs socialistes, milita en faveur de la création d’un parti des travailleurs4 et pour une « indépendance de classe et indépendance nationale ». Le réseau organisa de nombreuses assemblées, diffusa de la littérature syndicale et s’impliqua concrètement dans les différentes luttes syndicales de l’époque. Au même moment, le parti québécois en est à ses balbutiements et mentionne dans son programme un « préjugé favorable aux travailleurs ». Après d’intenses activités, le réseau se dissout et la majorité des militants syndicaux joignirent les rangs du Parti Québécois. À son élection en 1976, le Parti Québécois met en œuvre plusieurs revendications issues du mouvement syndical, comme par exemple, la loi en santé et sécurité du travail.

Au début des années 2000, un club politique se forme autour du journal syndical L’aut’journal : le SPQ-Libre (syndicaliste-progressiste-Québécois), dirigé par Pierre Dubuc et Marc Joannette. La formation compte près de 400 membres et est officiellement reconnue dans les statuts du parti en 2004. Comme l’explique le journaliste Louis Cornellier dans un article publié au Devoir, l’objectif du SPQ-Libre est de travailler à l’intérieur du parti afin que « seule une mobilisation populaire d’une grande ampleur oblige les fédéralistes et le patronat à tenir compte de la volonté populaire » et en ajoutant que seul un projet de société social-démocrate et souverainiste peut permettre cette mobilisation5 ». On connait l’histoire, le club politique sera chassé du parti par l’aile droite à la suite d’une intense activité et le SPQ-Libre n’aura pas réussi à contrer la mouvance affairiste du Parti Québécois.

Le comité intersyndical de Québec Solidaire : un nouveau véhicule pour les syndicalistes

Depuis toujours, les syndicalistes Québécois se sont intéressés à l’action politique et cette action politique dans bien cas, a porté fruit. À l’heure actuelle, c’est le parti de gauche Québec Solidaire qui trône comme opposition officielle à l’Assemblée nationale. À l’intérieur de ce parti de coalition, des syndicalistes tentent de s’organiser afin que les intérêts des travailleuses et travailleurs soient défendus. Ils proposent l’idée que : « Si nous voulons faire un saut qualitatif dans la prochaine période, Québec solidaire doit devenir la principale force d’opposition politique et sociale, et cela en renforçant son alliance avec les mouvements sociaux et contribuer à les faire grandir, particulièrement avec le mouvement ouvrier6. » Lors du prochain conseil national de Québec Solidaire au mois de février, le comité présentera une résolution à cet effet. Si la F.T.Q souhaite devenir l’ « opposition officielle » au gouvernement caquiste, elle devra peut-être commencer à se questionner sur quelles seront ses meilleurs alliéEs pour les combats à venir. Et comme le mentionne la nouvelle présidente, Magali Picard, si elle « veut créer un mouvement politique par l’entremise de son syndicat7 », avec une telle ambition, le choix des alliances s’impose.

Rémi Arsenault
Manutentionnaire- BANQ
Membre Québec Solidaire

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