Édition du 7 mai 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Interventions lors de la Grande Transition

Allocution à La Grande Transition

Stratégie commune contre l’impérialisme canadien, Nations autochtones, forces populaires du Québec et du reste du Canada.

Dans cet atelier, Mélissa Mollen Dupuis a parlé des préoccupations et aspirations des peuples autochtones. André Frappier a parlé de la lutte de libération nationale contre l’État impérialiste canadien et de la nécessaire perspective d’alliance avec la classe ouvrière canadienne et avec les peuples autochtones. C’est cette présentation que nous publions maintenant.

Le Québec, maillon faible de l’État impérialiste canadien

L’idée de l’indépendance du Québec découle de l’historique de la construction de l’État canadien comme État impérialiste et oppresseur des peuples et ne peut s’appuyer que sur un projet qui rassemble les forces sociales qui luttent pour leur émancipation.

Le concept de rassembler les souverainistes est une vue de l’esprit qui ne correspond pas à la réalité. Cela réfère à l’idée de grande famille souverainiste, nécessairement interclassiste. Cette idée a servi à la promotion d’un projet nationaliste bourgeois et à la négation de l’expression des mouvements de lutte pour de meilleures conditions de vie et ultimement pour une société égalitaire. Sa gestion par les différents gouvernements péquistes en a d’ailleurs fait la preuve avec les différentes offensives anti sociales.

Ce concept s’appuie également sur l’union de la gauche et de la droite avec pour conséquence l’embrigadement de la gauche. Il n’y a aucune perspective de changement de société de cette façon. Le rassemblement souverainiste nous amène à adhérer à l’idée de nation. Laquelle est selon ce concept, homogène. Le nationalisme identitaire est le fruit de cette logique, et l’antithèse d’une société égalitaire et inclusive.

La lutte de libération nationale du Québec ne passe donc pas par cette perspective d’alliance souverainiste.

Il faut comprendre que l’indépendance du Québec, si c’est bien ce dont on parle, a toujours été et est toujours inacceptable pour l’État canadien. Ce projet sera le fruit des alliances des forces sociales dans un projet inclusif de redéfinition des bases de cette société et de prise en main de notre destinée. Le combat pour l’indépendance ne pourra se résoudre que par la construction d’alliances avec la classe ouvrière du Reste du Canada et avec les nations autochtones.

L’État canadien retient les fonctions les plus fondamentales d’un État bourgeois "souverain" : le contrôle militaire, le contrôle de la politique monétaire, le monopole de la représentation du capitalisme canadien vis-à-vis les autres États, le contrôle du Code criminel, et le contrôle sur une série de fonctions juridiques et régulatrices touchant l’économie. Il est absolument clair que l’État central est l’ultime instrument de défense des rapports de production contre toute menace qui pourrait remettre en question cette domination. Ce rapport de force et cette domination se sont construits en mettant au rencart les Métis et les nations autochtones, de même qu’en subordonnant la nation québécoise.

L’oppression nationale au Québec

La question nationale a été déterminante dans les rapports de forces et les luttes populaires au Québec. Depuis plus d’une cinquantaine d’années cela a été une composante de l’accroissement des luttes sociales, qui a souvent agi comme ciment des luttes contre le Capital considéré comme étranger. En effet l’État canadien s’est construit comme représentant de la bourgeoisie anglo-saxonne en annihilant les droits des minorités, ceux des autochtones et du peuple canadien-français en particulier.
L’oppression nationale du Québec n’est donc pas une question conjoncturelle. Les exigences politiques et idéologiques de la Confédération ont exclu toute reconnaissance constitutionnelle du caractère national distinct du Québec qui représente une force menaçant la cohésion et l’intégrité de l’appareil d’État central.

Toute modification constitutionnelle doit recevoir l’aval du parlement fédéral et d’au moins 7 provinces représentant 50% de la population totale du Canada. En fait, cette constitution a été imposée sans l’aval d’aucune formation politique du Québec. Plus, cette constitution permet des réformes sans que le consentement du Québec soit requis. Pour l’État canadien, les référendums tenus au Québec ne sont que des exercices consultatifs et il n’est pas lié juridiquement par ces derniers. Il a même précisé dans la loi C-20 que la Chambre des communes pouvait, avant toute négociation, se prononcer sur la validité de la question référendaire et sur le niveau de soutien populaire nécessaire avant d’ouvrir d’éventuelles négociations avec le Québec.

Le Canada et le capital financier

Le rôle des compagnies minières et forestières est pourtant suffisamment documenté. Est-on étonné qu’en Amérique latine seulement, 66% des projets miniers sont gérés par des sociétés canadiennes soutenues par le gouvernement canadien. (Paradis sous terre p.30) Brian Mulroney et Paul Desmarais ont siégé sur son conseil consultatif et Jean Chrétien et Joe Clark ont déjà représenté des pétrolières. À l’échelle internationale, un tiers des sociétés minières impliquées dans des violations des droits humains, dans la destruction de l’environnement ou encore dans des activités illégales sont canadiennes. Selon Attac-Québec Le Canada a perdu 30 milliards de dollars en 2021 à cause de l’évitement fiscal des 123 plus grandes entreprises du pays.

La lutte de libération nationale et la stratégie d’alliance pancanadienne contre l’État fédéral

Aujourd’hui la lutte de libération nationale au Québec pose toute la question du changement de société et par voie de conséquence des rapports avec la population du Reste du Canada. La population québécoise et les forces sociales syndicales et populaires ne pourront trouver une issue viable, qu’en dépassant le cadre uniquement québécois de sa lutte et en construisant des alliances stratégiques avec les Premières nations et avec la classe ouvrière du Reste du Canada. Cela permettra aussi d’asseoir concrètement la lutte de libération nationale de la population du Québec sur des bases de changement social du Québec, mais aussi du reste du Canada.

La lutte pour l’indépendance n’est donc pas une lutte confinée au territoire du Québec , en s’insérant dans une lutte contre l’État fédéral central et elle pose objectivement le problème du pouvoir à l’échelle de tout l’État canadien.

La dynamique des luttes

À cet égard il est nécessaire de considérer les défis posés à la classe ouvrière du Reste du Canada, mais également du Québec. Au premier chef, il est illusoire et anti historique de penser développer une lutte simultanée et au même rythme au Québec et dans le Reste du Canada. Les organisations ML se sont d’ailleurs brisées sur cette question au début des années 1980 en niant la spécificité du Québec pour promouvoir l’unité de la classe ouvrière canadienne.

Plusieurs leviers de pouvoirs appartiennent aux provinces, notamment l’éducation et l’administration des services de santé. Il n’existe donc pas de lutte spécifiquement canadienne (en dehors du Québec) comme il peut en exister au Québec. Les principaux secteurs de lutte sont provinciaux. Au mieux ce sont des luttes binationales ou pan canadiennes. Les grèves du secteur postal demeurent une exception de même que les mobilisations pour les droits des femmes. Le mouvement ouvrier et populaire du Reste du Canada demeure pour l’essentiel fragmenté, et confiné régionalement en termes de perspectives et de mobilisation.

La seule issue se trouve dans une perspective d’alliance avec les autres forces vives, les luttes des autochtones et celles de forces ouvrières et populaires du Québec. Mais pour y arriver elle doit comprendre sa dynamique et appuyer le droit à l’indépendance du Québec. Tant qu’elle demeurera en appui au fédéralisme elle sera confinée à appuyer l’institution qui sert la grande bourgeoisie, à son propre détriment. Une défaite de la lutte de la population du Québec pour son indépendance serait aussi une défaite pour le mouvement ouvrier du Reste du Canada.

La montée de la droite et de l’extrême droite, le défi de l’heure

Au Québec, même si l’extrême droite ne représente pas un phénomène nouveau, elle a commencé à émerger avec la montée du nationalisme identitaire. De façon plus précise, on peut dire que ce phénomène en dormance a pris sa place au soleil au moment où la politique québécoise a fait une place dominante au discours d’exclusion avec la charte des valeurs. À plus forte raison lorsque les personnages publics comme Jean-François Lisée, Louis Plamondon et Gilles Duceppe ont utilisé ouvertement les images du Niqab et de la Burka comme épouvantail à des fins électorales. Ces comportements ont participé à décomplexer cette extrême droite en dormance.

La Ligue des droits et libertés soulignait dans son Portrait de l’extrême droite au Québec publié en 2019 que le projet de la Charte des valeurs québécoises semblait avoir donné une légitimité politique aux discours identitaires. C’est en effet à partir de 2015 que naissait à travers la province une nouvelle panoplie de groupes nationalistes identitaires, xénophobes et anti-immigration.

Le nationalisme identitaire prend ainsi une place croissante qui tend à occulter la perspective de lutte de libération nationale comme lutte émancipatrice et légitime. Si la gauche ne prend pas cette question en main dans une perspective inclusive, c’est-à-dire le Québec appartient à ceux et celles qui y vivent, si nous ne démontrons pas que ce projet est inclusif et ne s’adresse pas qu’aux francophones de souche, nous laissons le terrain à la droite nationaliste identitaire, ce qui entrainera une exclusion de plus en plus grande des populations issues de l’immigration ou simplement différentes. Les récentes lois du gouvernement de la CAQ, en particulier la loi 21 et plus récemment la loi 96 nous éloignent déjà dangereusement de la perspective du bien vivre ensemble et de la nécessaire solidarité pour la création d’une société juste.

L’exploitation des populations du sud global et leur appauvrissement combiné à la crise climatique qui affecte plus intensivement les populations du sud oblige ces populations à quitter leur territoire pour survivre et migrer vers le nord. Avec l’aggravation de la crise climatique, cette situation va perdurer et s’amplifier, l’idée même de ratios envers ces populations est non seulement injuste et criminel mais irréaliste.

La gauche doit se réapproprier la question de l’indépendance et de la perspective inclusive qu’elle comprend, sinon la droite en fera de la question nationale une bataille anti immigration.

Les défis des forces progressistes au Canada anglais

Les forces progressistes au Canada anglais se trouvent dans une impasse politique. Elles manquent de perspectives en termes de dépassement du cadre fédéraliste actuel, et elles sont affaiblies à cause de leur fragmentation, à l’image de la politique canadienne, ce qui les conduit à adopter des stratégies localistes. Les conséquences sont de deux ordres. D’une part, il est impossible pour la gauche d’établir une stratégie politique canadienne en conjonction avec le Québec. D’autre part, la dynamique de mobilisation est surtout régionale. Il est difficile de concevoir une lutte étudiante canadienne de l’ampleur de celle du Québec en 2012 car l’éducation est de juridiction provinciale. Il en va de même pour le secteur de la santé.

Au Québec, le caractère spécifique de la question nationale donne aux luttes du secteur public, du mouvement étudiant, des mouvements sociaux et environnementaux, une cohésion et un potentiel politique qui dépassent une lutte à caractère provincial. On ne retrouve pas ce type de phénomène dans le Reste du Canada.

La lutte nationale du Québec, maillon faible de l’État canadien

L’État canadien ne peut exister politiquement et structurellement dans un état tronqué sans le Québec. Il ne s’agit pas de l’indépendance d’une colonie lointaine mais d’un État souverain au cœur même du Canada. Le transport, l’acheminement du pétrole, la voie maritime seraient contrôlés par le Québec. Mais par-dessus tout l’impact de la lutte de libération nationale du Québec sur les luttes sociales pour la classe ouvrière du Reste du Canada (ROC) représenterait un danger mortel pour la classe dominante. Imaginons une dynamique 1000 fois plus importante que le printemps des carrés rouges.

Cependant les progressistes du ROC ne peuvent se limiter à appuyer le droit à l’autodétermination du Québec même si cet appui demeure tout de même important. À terme les progressistes du ROC devront faire le choix soit d’appuyer leur propre bourgeoisie contre la lutte d’émancipation sociale au Québec, soit d’appuyer la lutte sociale au Québec pour son émancipation. C’est une nécessité objective pour elle-même mais également pour le succès de la lutte au Québec.

Sinon ils demeureront confinés dans l’idéologie du nationalisme canadien, de l’État qui serait brisé par l’indépendance du Québec. Cela a d’ailleurs été une des faiblesses importantes de la gauche canadienne qui voyait la séparation du Québec comme un affaiblissement du Canada devant l’impérialisme américain. Cela amène par conséquent la classe ouvrière à identifier ses intérêts à ceux de sa propre bourgeoisie.

La question des intérêts de classe est donc fondamentale pour le mouvement ouvrier canadien dans la compréhension de la nécessité de son appui à la lutte de la population du Québec pour son affranchissement de la domination de l’État canadien.

Mail il en va de même pour la classe ouvrière québécoise, l’indépendance n’est pas une finalité en soi mais le début d’un changement pour le contrôle par la population de son environnement et de son économie. L’élection de l’Assemblée constituante sera dans cette optique un acte de rupture avec le l’impérialisme canadien qui permettra de poser les premiers jalons vers la création d’une nouvelle société égalitaire, en conjonction avec les peuples autochtones.

C’est cette compréhension mutuelle qui permettra l’unification dans des dynamiques différentes des forces vives du Québec et du reste du Canada avec celles des peuples autochtones vers la création d’une nouvelle société égalitaire, vers ce qu’on pourrait appeler peut-être un jour une confédération libre des républiques ouvrières et des peuples autochtones.

André Frappier

Militant impliqué dans la solidarité avec le peuple Chilien contre le coup d’état de 1973, son parcours syndical au STTP et à la FTQ durant 35 ans a été marqué par la nécessaire solidarité internationale. Il est impliqué dans la gauche québécoise et canadienne et milite au sein de Québec solidaire depuis sa création. Co-auteur du Printemps des carrés rouges pubié en 2013, il fait partie du comité de rédaction de Presse-toi à gauche et signe une chronique dans la revue Canadian Dimension.

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