Les socialistes, en particulier les marxistes, défendent les droits démocratiques. Le droit à l’autodétermination des peuples figure parmi ceux-ci. La position d’Alternative socialiste s’inscrit dans cette mouvance. Le groupe va toutefois plus loin et prône ouvertement l’indépendance du Québec.
Il convient d’emblée de dissiper tout malentendu sur le sujet épineux de l’indépendance nationale. AS ne défend pas la « souveraineté » nationaliste du Parti québécois ou d’Option nationale. Pourquoi ? Parce que d’une part, l’alliance entre les dominants et les dominés que proposent ces partis dans le but d’atteindre la « souveraineté » avantage et a toujours avantagé les puissants. Nous nous élevons contre ce nationalisme des élites pour les élites, c’est-à-dire à cette vision de l’indépendance qui profiterait d’abord et avant tout aux Québecor, aux entreprises pétrolières et gazières et aux autres grands patrons « d’ici ». À quoi bon vivre dans un Québec indépendant où les mêmes grandes compagnies, dont bon nombre sont étrangères, pollueraient et exploiteraient nos ressources sans notre accord et contre nos intérêts ?
Alternative socialiste conçoit l’idée d’indépendance nationale comme un outil de lutte contre l’impérialisme étranger et les rapports de dominations nationales. Nous luttons pour un indépendantisme républicain et socialiste qui permettra de construire une société alternative dans laquelle les principaux moyens de production, les secteurs-clés de l’économie, seront remis aux mains de la collectivité par une série de nationalisations. L’objectif consistera à assurer une production dans le cadre d’une économie démocratiquement planifiée et orientée vers la satisfaction des besoins de tous et toutes. Pour Alternative socialiste, l’indépendance nationale ne constitue pas une fin en soi, mais un moyen de lutte pouvant permettre aux travailleurs du Québec d’avoir entre leurs mains tous les leviers politiques, culturels et économiques de leur peuple afin de parler d’égal à égal avec les travailleurs et travailleuses du monde entier.
Comment cette position s’explique-t-elle ? En théorie, les socialistes sont internationalistes, donc très critique du concept de nation. Or, les révolutionnaires ne doivent pas réfléchir à partir de ce qui devrait être, mais de ce qui est. Il faut amorcer une analyse depuis la réalité concrète du Québec, celle des rapports de domination nationaux, et non pas à partir de nos fantasmes d’égalité. De cette manière, nous pouvons déterminer nos positions et notre stratégie à partir des mouvements réels de la société et de leur potentiel d’organisation massif autour de l’enjeu d’une indépendance républicaine et socialiste.
1. Le Québec, une nation opprimée et oppresseuse
Aujourd’hui, est-ce que le Québec est une nation opprimée ? Les concepts de « nation-prolétaire », de « nègres blancs d’Amérique » et de « porteurs d’eau » développés par certains penseurs des années 60 n’ont plus aucun sens aujourd’hui. Il n’en demeure pas moins que la nation québécoise n’est toujours pas libre de choisir sa destinée, comme la vaste majorité des peuples de la terre. Conséquemment, sa survie n’est pas garantie. Cette contradiction a émergé lors de la Révolution tranquille. À cette époque s’est opérée une séparation entre l’Église et l’État ce qui a mis un terme au paternalisme dans les relations de travail et une modernisation de l’appareil d’État. Le Québec est devenu une nation moderne en moins de 10 ans, ce que plusieurs pays ont accompli en un siècle. C’est également à cette époque qu’a émergé une véritable bourgeoisie francophone au Québec. Or, contrairement à de nombreux pays, le Québec n’est pas sorti de cette phase en tant qu’État indépendant.
Cette contradiction fait en sorte que le l’État québécois est à la fois le représentant d’une nation opprimée et joue le rôle d’une nation qui oppresse. Nous nous retrouvons dans une situation où des pans importants de la politique québécoise sont gérés par une nation étrangère (celle des Canadien-anglais de l’Ontario), mais où le Québec possède une bourgeoisie nationale assez puissante pour exploiter d’autres peuples (exemple : nations immigrantes, Premières nations).
Durant les années 60 s’est forgé un mouvement nationaliste fort qui a tenté d’apporter des solutions à certains de ces problèmes. Ce mouvement a culminé ces dernières décennies avec la promotion du projet péquiste de souveraineté du Québec.
Aujourd’hui, le terme « nationalisme » est toujours utilisé pour expliquer les motivations des projets souverainistes des différentes organisations politiques qui les prônent (Parti québécois, Option nationale, Québec solidaire). Or, le nationalisme n’est pas un concept homogène. Il a revêtu plusieurs sens au cours de l’histoire. Il existe toutefois différents types de nationalisme.
Les socialistes opèrent deux grandes distinctions. D’abord, ils séparent le nationalisme des nations exploiteuses du nationalisme des nations opprimées. La deuxième distinction s’effectue au niveau du nationalisme des nations opprimées : s’agit-il d’un nationalisme de droite ou un nationalisme de gauche ? Les socialistes n’interagissent pas de la même manière avec les uns et les autres, les premiers étant clairement considérés comme des ennemis, les deuxièmes pouvant être des alliés potentiels.
Évidemment, l’attitude à adopter envers les nationalistes de gauche n’est pas la même que face aux nationalistes de droite ou d’extrême droite. Il convient de faire preuve de flexibilité dans le premier cas, surtout avec les travailleurs, afin d’être en mesure d’avancer un programme ouvertement socialiste tout en faisant la distinction entre ce point de vue et celui des nationalistes de gauche.
Les socialistes doivent donc être vigilants afin d’éviter de tomber dans un double piège. D’une part, il peut s’avérer désavantageux pour la création de mouvements de masse de condamner en bloc le nationalisme québécois au profit d’une idée de l’internationalisme qui ne vit pas concrètement au sein de la société québécoise. D’autre part, prôner l’indépendance à tout prix, quitte à travailler avec n’importe qui, ne fera que favoriser l’agenda politique des nationalistes de droite.
2. Le nationalisme de gauche : un cul-de-sac pour les travailleurs
Le nationalisme de gauche est la tendance politique la plus attractive parmi la classe des travailleurs, autant chez les militants de base que parmi sa direction. Le Parti québécois, Option nationale et Québec solidaire sont tous, à des degrés divers, influencés par le nationalisme de gauche.
Collaborer avec le PQ sous prétexte que cela peut nous aider à faire plus rapidement l’indépendance est dangereux. En faisant cela, le mouvement ouvrier et progressiste se met à la remorque des classes dominantes québécoises (le Québec inc.). Il doit ainsi abandonner, sous différents prétextes (déficit zéro, crises économiques, remboursement de la dette, etc.), certaines de ces revendications au profit des nantis.
La complaisance de certains indépendantistes de gauche, au nom de l’indépendance, avec la droite et la petite bourgeoisie, doit être impérativement combattue. Pourquoi ? Imaginez un potentiel référendum gagnant sur la question de la souveraineté du Québec. Qui ira négocier avec le gouvernement canadien ? Le PQ. Uniquement en voyant comment ce parti gouverne aujourd’hui, nous pouvons sans crainte affirmer que les travailleurs perdront leurs chemises dans ces négociations sans oublier qu’il fera tout pour que le nouvel État québécois plaise aux grandes institutions financières, et appliquera à la lettre leurs recommandations en matière d’économie (rappelez-vous René Lévesque tentant de séduire la haute finance mondiale réunie à Wall Street en 1977). D’où l’importance fondamentale de l’autonomie politique de la classe ouvrière dans le débat sur la question nationale.
Le nationalisme de gauche était dans les années 1970, et demeure actuellement, le principal obstacle à la construction d’un mouvement politique autonome luttant pour les intérêts des travailleurs et travailleuses. La conscience des problèmes de dominations entre nations ne doit jamais camoufler la conscience des problèmes d’exploitation entre les classes sociales. Pour les travailleurs québécois, le combat à mener n’est pas celui d’être dominés par des patrons « pure laine », mais d’arracher le contrôle de l’État de leurs mains et de celles de leurs copains étrangers.
3. L’indépendance doit passer par la création d’un parti de masse des travailleurs et travailleuses
3.1 Le Parti québécois au service de l’élite d’ici et d’ailleurs
En tant que classe sociale, les travailleurs et travailleuses du Québec doivent proposer leur vision, leurs projets et leurs revendications à travers leur propre véhicule politique partisan. Le PQ n’est pas, et n’a jamais été, un parti au service des intérêts de la majorité de la population. Il le prouve chaque jour depuis qu’il est au gouvernement en plus d’avoir été le gouvernement à passer le plus de mesure anti-syndicales au Québec.
Bien que les directions du mouvement syndical québécois s’accrochent encore au PQ, une rupture s’est opérée à leur base depuis déjà plusieurs années. La tâche des socialistes est de tout faire pour unifier les militants et militantes progressistes et indépendantistes afin de rompre avec le PQ. Au niveau politique, cette fracture a déjà eu lieu avec la création de Québec solidaire en 2006 et d’Option nationale en 2011. Toutefois, ces partis sont-ils réellement des véhicules politiques pertinents pour les travailleurs ?
3.2 Option nationale : un Parti québécois bis
Parmi ses propositions politiques, Option nationale avance l’idée de nationalisation des ressources naturelles. Objectif louable, mais qui calquerait sa forme à Hydro-Québec, une propriété d’État avec à sa tête une armée de bureaucrates et de technocrates. Ce n’est évidemment pas ce type de nationalisation qu’Alternative socialiste prône. Nous devons fortement souligner le caractère bourgeois et antidémocratique de ce type de nationalisation et avancer clairement l’idée de nationalisation sous contrôle démocratique des travailleurs. La différence entre ces deux formes de nationalisation n’est pas banale, la position d’Option nationale vise le renforcement de l’État-nation, alors que la nôtre vise le renforcement de la voix des travailleurs.
3.3 Québec solidaire : une position nationaliste de gauche
Québec solidaire propose une Assemblée constituante où la population serait impliquée dans la rédaction d’une constitution qui serait la base d’un Québec, espérons-le, indépendant et progressiste. Il s’agit d’un pas dans la bonne direction, mais certaines lacunes restent. L’idée de QS d’une « souveraineté populaire » via la création d’une Assemblée constituante est une excellente initiative visant la mobilisation du plus grand nombre. Une façon pour le peuple de ne pas déléguer son indépendance, mais de la faire, de l’accomplir par et pour lui. Malheureusement, si un tel processus est mis en branle et réussi, il ne fera que démocratiser un projet nationaliste de gauche. La souveraineté proposée par QS ne compte pas rompre avec la logique du capitalisme. QS est un parti social-démocrate dont le programme et le discours ne sont ni anticapitalistes ni socialistes. L’objectif est de réformer un Québec plus solidaire, qu’il soit indépendant ou non. Car, si l’Assemblée constituante rejette l’idée de souveraineté, QS n’en fait pas une condition indispensable à ses politiques sociales. L’utilisation indifférenciée des termes « indépendance » et « souveraineté » faite par le parti en dit long sur le sens donné à ces deux approches distinctes.
4. La nécessité d’un projet internationaliste
Nous ne sommes pas contre la création d’un État-nation québécois, mais ce n’est pas uniquement avec ça qu’ont va pouvoir réellement s’affranchir. Comme le PQ ou ON, QS évacue les contradictions de classes et n’affiche aucune volonté de construire quelque chose avec les travailleur-euse-s canadien-ne-s ou américain-e-s.
Nous ne pouvons pas faire comme si l’indépendance du Québec ne les regardait pas. Promouvoir la République du Québec sans rien proposer pour le reste du Canada est un non-sens qui se retournera contre nous. C’est d’ailleurs le cas avec l’adhésion d’une grande partie des travailleurs et travailleuses du Canada derrière sa bourgeoisie contre les aspirations indépendantistes au Québec. L’indépendance du Québec est vue comme une revendication aliénante par une partie de la communauté anglophone québécoise et canadienne. Nous ne pouvons faire perdurer ce malentendu. Nous devons demeurer résolus et clairs dans notre volonté de défendre les droits culturels de toutes les communautés présentes au Québec afin de garantir l’égalité entre tous les travailleurs et les travailleuses.
Alternative socialiste croit que la lutte pour l’indépendance du Québec, dirigée contre l’État fédéral et le gouvernement provincial, revêt un caractère progressiste. Cet affrontement oppose à la fois les intérêts de la majorité des Québécois et des Québécoises à ceux des impérialismes étrangers et des bourgeoisies canadienne et québécoise. L’émancipation du peuple québécois ne peut se réaliser qu’à travers l’indépendance politique, culturelle et économique réalisée par la classe ouvrière et les couches sociales exploitées organisées dans un parti défendant ses intérêts et le socialisme.
L’indépendance sans le socialisme ferait en sorte que nous serions toujours à la solde des riches et des banquiers. À l’opposé, un socialisme pancanadien sans l’indépendance du Québec ne fera que perpétuer des rapports de domination nationale sous d’autres formes. Pour Alternative socialiste, socialisme et indépendance nationale vont de pair et sont indissociables.
Une réponse politique socialiste à la question nationale québécoise doit donc impérativement inclure :
– La mobilisation la plus vaste des travailleurs et travailleuses du Québec dans un mouvement politique de masse et autonome ayant pour premier objectif la défense de leurs intérêts ;
– La prise de position du mouvement du monde du travail pour la destruction de l’État fédéral canadien comme institution illégitime et pour l’indépendance du Québec ;
– La participation active du mouvement du monde du travail au débat sur la constituante ;
– L’union du mouvement du monde du travail québécois avec les autres organisations progressistes canadiennes et américaines,
– La création d’une nouvelle alliance d’États indépendants en Amérique du Nord, républicaine et socialiste.