Édition du 14 mai 2024

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Québec solidaire

Ramener QS aux fondements de la politique

La démission d’Émilise de son poste de porte-parole féminin de QS pose la question de base : pourquoi s’engager en politique ?

Émilise a démontré avec son cœur et sa détermination que l’on peut avoir une place pour donner un sens à la politique qui ne soit pas essentiellement orienté vers le marketing politique électoral. Elle s’y est épuisée. QS perd une ressource féminine précieuse. J’ose espérer, sans trop d’illusion, que ce choc ébranle les stratèges qui président la stratégie actuelle et qui font que QS est maintenant talonné dans les sondages par... le parti conservateur !

À la suite des élections de 2014 où j’étais candidat dans Charlevoix, j’avais, lors du débriefing en présence d’Amir et de Françoise, émis l’opinion que la stratégie parlementaire de QS était prématurée à moins d’envisager la prise de pouvoir comme une perspective à long terme soit 25-30 ans. À la lumière de mes 35 ans d’expérience professionnelle dans le développement local et communautaire, j’avais rappelé combien le potentiel de mobilisation populaire au Québec est sous exploité et ne demande qu’à être soutenu. L’histoire de la conquête de l’Abitibi, de la lutte contre la fermeture des villages du Bas-Saint-Laurent ou la tradition des corvées en sont des illustrations, sans parler des luttes syndicales et municipales comme celle, exemplaire, de Murdochville, en 1957 et en 2004.

A cours de mes expériences, tant dans les milieux urbains que ruraux, j’ai mesuré le potentiel d’engagement citoyen partout au Québec. Je crois que cela repose sur l’enracinement d’une culture habituée à bâtir son quotidien et son avenir en comptant avant tout sur ses ressources locales. Ce fut soutenu à l’origine par l’église (on construisait son église avec ses propres moyens), puis par l’état avec, par exemple, le rôle des organisateurs communautaires des CLSC et le développement de projets de développement initiés et gérés localement. Ça s’appuie aussi sur l’existence, partout, de centres communautaires où on met en commun des ressources pour répondre à des besoins locaux. Il y a donc la tradition d’une pratique de l’engagement civique qui est une richesse sociale sous-exploitée et qui dépasse les clivages traditionnels des partis politiques.

Lors des 15 ans où j’ai accompagné, pour Rues Principales, des milieux locaux partout au Québec à identifier leurs priorités et à agir concrètement pour mettre en valeur leurs potentiels économiques, sociaux, culturels et artistiques, j’ai constaté que la confiance dans la capacité d’un milieu de se prendre en main existe partout, pour peu qu’on donne la parole à la population et qu’on l’accompagne avec des outils simples et adaptés, comme un plan d’action et de communication. Des gens d’affaires en conflit avec des élus se sont retrouvés à partager les mêmes visions et à mobiliser les citoyens pour mettre en valeur leur milieu de vie. Cela a donné, par exemple, le plan de développement de Murdochville qui l’a relancée en 2004, la naissance du Festival des musiques du Bout du monde de Gaspé, la transformation de la rue principale de Magog, la rénovation du centre-ville de Matane, le développement de micro-brasseries, etc.

Depuis sa naissance en 2006, QS a l’ambition de « changer la politique ». Les militants et les élus qui s’y impliquent sont convaincus du potentiel de changements que QS peut apporter à la société québécoise, la notion de solidarité étant une valeur généralement partagée.

Que les élections depuis 20 ans aient porté au pouvoir essentiellement des politiques de droite flattant le désir légitime des électeurs s’enrichir financièrement ne reflète qu’un visage de notre société, celui d’une société nord-américaine qui aime le confort. L’indifférence que l’on peut se reprocher, aux itinérants, aux immigrants, à la dégradation de l’environnement, etc. résulte d’un discours dominant attisé par les médias à sensation qui n’ont qu’un souci, faire de l’argent.

La religion de la réussite financière est le mirage le mieux partagé en occident. Comment pouvons-nous oublier d’où l’on vient ? Et peut-on innocemment persister à se mettre la tête dans le sable pour ne pas mettre en valeur tout notre potentiel à notre image, une société développée, solidaire, créative, ouverte sur le monde et généreuse de ses ressources ?

Après 18 ans de course aux voix parlementaires, QS doit revenir à la source de sa vocation. Il faut revenir à la base, là où le citoyen prend confiance dans sa capacité à agir sur sa vie collective, c’est-à-dire au niveau local. Apprendre à administrer sa communauté en mettant en valeur ses ressources est à la portée de chaque citoyen, et c’est ça, la politique. Bien plus que les joutes oratoires de l’Assemblée Nationale, trop souvent stériles.

Si Lulla Da Silva a été élu au Brésil en 2003, c’est à cause de l’enracinement du parti des travailleurs au niveau municipal. Cela a pris vingt ans. Sa rélélection en 2022 démontre que les bases y sont solides.

QS ne doit pas continuer à investir dans des stratégies électorales parlementaires similaires aux autres partis. Elle y perd son âme et ses ressources. Elle doit inviter les comités locaux à investir les municipalités, les comités de développement régionaux, les groupes communautaires et initier des luttes collectives où les citoyens se sentent solidaires parce qu’ils partagent la même vision des priorités à mettre en œuvre pour le bien commun.

Alors que partout en occident on se questionne sur les façons de redonner sa noblesse à la politique, c’est autour des « communs » que l’on peut bâtir des solidarités et changer sa pratique politique.

Comme Émilise, je crois sincèrement au potentiel de QS. Il est temps qu’il s’appuie sur ses bases et non sur une poignée de stratèges qui dictent la ligne de parti, cette vieille recette traditionnelle qui a démontré la fragilité de ses résultats jusqu’à aujourd’hui.

Jean-Yves Bernard
Cap Tourmente

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