Édition du 14 mai 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Retour sur le dernier Conseil national de Québec solidaire (Première partie)

Québec solidaire est à une croisée des chemins

Le dernier CN de Québec solidaire s’est tenu les 27, 28 et 29 novembre dernier à Québec. Les débats ont prolongé ceux amorcés lors de la rencontre nationale du 7 juin 2014 (voir mon article sur cette rencontre - http://www.pressegauche.org/spip.php?article18101) réunissant les candidaEs et leurs responsables de campagne pour faire le bilan de la campagne électorale. La lenteur de la progression électorale de QS posait déjà la nécessité de tracer des perspectives permettant d’assurer un saut qualitatif de l’appui de Québec solidaire dans la population.

Une des composantes des réponses apportées dans l’élaboration de ces perspectives est ce qui a été justement dénommé la « révision du programme ». La conjoncture a aussi posé de nouveaux défis : la lutte contre l’austérité et le démantèlement de l’État social, la lutte contre l’établissement de l’État pétrolier au Canada et contre le réchauffement climatique, la lutte contre la logique sécuritaire et le développement de la xénophobie, le développement de la violence faite aux femmes et les retours de flamme du patriarcat. Le développement de ces luttes pose à un parti comme Québec solidaire la question des alliances avec les mouvements sociaux qui font face à ces défis.

Défis posés par la situation actuelle et positionnement de Québec solidaire

Pas étonnant que le besoin d’une discussion sur la conjoncture se soit imposé en ouverture de ce CN. Amir Khadir a présenté le rapport sur la situation politique. Voici les principaux constats qui ont été rappelés :

 Le gouvernement Couillard représente les élites économiques et s’appuie sur l’appareil médiatique dans un travail de déconstruction durable de l’État social québécois au profit de la privatisation des services publics.
 Il refuse toute réforme allant dans le sens d’une fiscalité plus équitable. Ce gouvernement envisage même une baisse d’impôt pour les plus riches à des fins clairement électoralistes.
 Ces politiques provoquent une grande colère et une volonté de se mobiliser pour résister. Les votes de grève dans les syndicats ont été très massifs et les manifestations du Front commun ont été multiples et importantes.
 Le mouvement communautaire s’est aussi mobilisé comme jamais auparavant allant même à tenir des journées de grève sociale.
 Un sondage a révélé que plus de 60% de la population québécoise rejette les politiques d’austérité et qu’une majorité de la population appuie les revendications des travailleuses et des travailleurs du secteur public.
 Ce climat de contestation se manifeste dans toutes les régions du Québec. La lutte pour la protection de son environnement occasionne une mobilisation citoyenne très répandue contre la construction des pipelines et le passage des trains transportant du pétrole.
 Le Parti libéral du Québec n’a pas encore payé un prix important de cette situation.

Les difficultés des partis d’opposition en sont la principale raison. Le PQ ne s’est pas engagé dans la lutte contre l’austérité et n’a pas dénoncé la politique de la priorité donnée à l’équilibre budgétaire. Sa démarche identitaire opérée au moment de sa campagne sur la Charte des valeurs a contaminé la campagne du Bloc aux dernières élections fédérales. Il paie encore pour ces orientations particulièrement dans les différentes communautés culturelles. La CAQ défend en grande partie des politiques similaires à celles du gouvernement Couillard. Il dénonce même le PLQ de lui voler des parties de son programme. Son virage vers un « nationalisme étroit » et xénophobe, protège ses bases dans la droite nationale, mais ne lui permet pas d’élargir sa base électorale.

Le débat qui a suivi permettait de réagir à l’analyse proposée, mais comme le rapport n’est pas soumis au vote et que des analyses alternatives ne peuvent pas être proposées et votées, des militantEs ont souhaité que le cadre du débat soit changé à l’avenir pour donner toute son importance à ce type de débat.

Mais un des thèmes importants soulevés est celui des rapports avec le Parti québécois. Toute la question de la caractérisation du Parti québécois, de la lutte contre sa domination sur le mouvement souverainiste était l’arrière-fond de nombreuses interventions. Peut-on parler de famille souverainiste ? Peut-on parler de nos amis ou cousins péquistes ? Doit-on parler de projets stratégiques radicalement différents ? Des différends se sont exprimés sur ces questions sans que les arguments soutenant chaque type de réponses puissent véritablement permettre de faire avancer le débat.

Toute la question des rapports à entretenir avec partis politiques adverses était du domaine des préoccupations. Quelle place faire à la lutte des idées et aux confrontations par rapport à une démarche de négociations avec les différents partis ? Des sensibilités fort différentes se sont manifestées sur ce sujet.

Retour sur le plan de travail du CCN : priorités proclamées et initiatives concrètes

Les priorités de l’automne 2015 ont été la lutte à l’austérité – en mettant l’accent sur l’éducation publique, les enjeux liés au pétrole, à l’environnement et aux changements climatiques et les élections partielles.

a. Recherche d’une crédibilité économique

La principale priorité de travail pour les trois prochaines années, celle qui a mobilisé les éluEs, de responsables de QS et autres experts et de fonds du parti, c’est la campagne qui visait à « augmenter la crédibilité économique du parti notamment en documentant les cas nationaux et régionaux où la prospérité sociale et le bien commun se sont vus enrichir par des mesures axées sur la vision de l’économie ». [1] Pour réaliser la première phase de cette campagne, il y a eu une tournée régionale en Abitibi (Val-d’Or et Rouyn-Noranda), dans le Bas-Saint-Laurent (Rimouski) et en Estrie (Sherbrooke).

Cette tournée vise à « … sonder les entreprises d’économie sociale, les petites et moyennes entreprises, les chambres de commerce et les syndicats pour voir leur plan économique et voir en même temps ce que nos instances régionales peuvent apporter comme idées ». Il s’agit de parvenir à des idées concrètes en s’inspirant des idées des citoyens et citoyennes rencontrées. [2] Françoise David expliquait davantage la démarche en déclarant au journal Le Devoir [3] "Ce qu’on attend beaucoup, c’est que ça prend des plans de développement régional, pas juste des grandes visions de développement national »]] On peut légitimement douter, qu’une économie du bien commun puisse se construire dans les marges d’une économie capitaliste. Une économie du bien commun impliquera qu’on en finisse avec la domination du capital financier et des grandes entreprises sur l’économie. Nous croyons que ne pourra relancer le secteur manufacturier pour répondre aux besoins de la transition énergétique, développer des activités de 2e et 3e transformation au Québec, soutenir les technologies pour réduire les émissions de GES et planifier la sortie du pétrole sans remettre en question les rapports de propriété capitaliste et le pouvoir d’une minorité des 1% sur les décisions économiques stratégiques. Voilà ce qui est au coeur d’un débat… qui reste à trancher.

b. Tenue d’un débat sur l’indépendance et les stratégies pour y parvenir

Une deuxième priorité déjà est l’organisation d’un débat sur l’indépendance – incluant le pourquoi de l’indépendance, la démarche d’accession, l’unité et l’alliance entre les partis indépendantistes… L’organisation d’un tel débat s’avère d’autant plus importante que les appels à ce que QS se joigne à la coalition indépendantiste se multiplient. Si le processus de révision de programme a heureusement soumis à la discussion du prochain congrès une définition plus précise du mandat de l’Assemblée constituante, il a écarté les autres dimensions du débat sur l’indépendance qui devra trouver un autre cadre pour se réaliser, car il sera incontournable. Des décisions de cette importance nécessitent que l’ensemble du parti participe à la définition de ces orientations.

c. Développer des liens avec les mouvements sociaux

Le rapport du CCN rappelle que le Conseil national de 2014 avait affirmé que « Québec solidaire se donne pour objectif de resserrer les liens avec les mouvements dans la lutte contre les orientations néolibérales des gouvernements, et ce sur la base de notre programme. » [Rapport du CCN, page 3]] Et, Québec solidaire s’est rangé dans le camp de la lutte contre l’austérité et il s’est prononcé clairement en faveur des revendications des travailleuses et des travailleurs du secteur public. Par sa participation aux différentes manifestations et lignes de piquetage, il a montré qu’il savait lier la parole aux actes. Mais en dehors du travail en direction de la campagne des organisations de parents en défense de l’école publique, l’organisation des militantEs de Québec solidaire du secteur public a été le fait de ces militantEs eux-mêmes. Ils ont écrit et produit les tracts qui leur semblaient nécessaires de produire. Ils ont fondé des unités intersyndicales de Québec solidaire à Québec et Montréal. L’enracinement de Québec solidaire dans le mouvement syndical ne pourra se faire par la seule participation aux activités militantes organisées par les syndicats. Il est nécessaire que QS se donne comme tâche de favoriser l’unité de la gauche sociale. Qu’est-ce donc la gauche sociale ? Ce sont les militant-e-s qui dans le mouvement syndical, le mouvement populaire, le mouvement féministe, dans la jeunesse au fil de leurs luttes se sont détachés du train péquiste (ou qui sont en train de le faire ou qui ont toujours refusé de s’y attacher), et qui, pour cela, ont soit rejeté la politique comme corruptrice, soit ont commencé à poser la nécessité de la construction d’un parti de gauche. Cette gauche sociale est également, en grande partie, une gauche politique puisqu’elle a fourni les bases de la construction de Québec solidaire. Elle reste aujourd’hui minoritaire et fragmentée. C’est une tâche essentielle de Québec solidaire de la majorité populaire de rompre avec l’orientation de concertation sociale qui s’est imposée, avec plus ou moins de force à la tête du mouvement syndical et de certains mouvements sociaux. Cette perspective aussi reste à débattre.

La dynamique du travail parlementaire, sa force, ses dangers

L’équipe parlementaire composée des trois élus, Amir Khadir, Françoise David et Manon Massé et l’équipe qui les entoure est sollicitée constamment par la conjoncture et est appelée sur une base quasi quotidienne à répondre aux questions d’actualité. Elle a une plus grande visibilité dans les medias.

Il suffisait d’entendre les rapports de Françoise David et de Manon Massé sur les prises de position et les démarches initiées pour être frappé par l’ampleur du travail abattu par l’équipe parlementaire… questions, projets de loi à élaborer, prises de position, conférences de presse, rencontres et visites, manifestations… Et ce, sur toute une série de questions

 dossier environnemental
 les femmes autochtones
 les projets de loi en santé – rémunérations des médecins, les frais accessoires
 dépôt d’un projet de loi (496) sur les lanceurs d’alerte, projet de li 492 sur la protection des locataires aînés
 dénonciations des offres patronales dans le secteur public
 dénonciation du projet de loi (70) contre les personnes assistées sociales
 projet de loi (79) sur les conditions de rémunération des députés
 débat du projet de loi sur les discours haineux…
 sortie sur les réactions des grands partis face au rapport Charbonneau…
 interpellation du ministre l’éducation…
 etc., etc., etc.

L’équipe parlementaire est dont appelé à cause des rythmes d’intervention auxquels elle est soumise à développer des positions qui, souvent n’ont pas eu l’occasion d’être discutées par les autres instances du parti.

Le travail d’enracinement dans les différentes mouvements sociaux reste beaucoup moins défini et demeure sous-développé par rapport à la dynamique propre du travail parlementaire. La dynamique, les contraintes et les multiples arrangements du travail parlementaire ont leur propre logique… qui échappe en grande partie aux personnes qui n’y sont par directement impliquées. Que des biais en découlent sur les politiques d’alliance avec les autres partis, définis comme les partis des partenaires-députéEs) et non comme les partis des députéEs au service de l’oligarchie n’est guère surprenant. C’est pourquoi des débats plus larges sur le travail parlementaire dans un parti de gauche pourraient être importants pour examiner les pressions des institutions parlementaires sur la dynamique du développement d’un parti de gauche.

Et nous n’avons pas abordé encore le processus de révision du programme, la discussion sur les statuts et le lancement de l’enjeu 5 sur les dernières sections du programme de Québec solidaire qui restent à élaborer. On y reviendra…

La deuxième partie de l’article.


[1Rapport du Comité de Coordination national, au 11e Conseil national, des 27, 28, et 29 novembre 2015

[2Bilan provisoire de la tournée - « Pour une économie au service des gens »

[3Le Devoir, 27 novembre 2015, page A 4

Bernard Rioux

Militant socialiste depuis le début des années 70, il a été impliqué dans le processus d’unification de la gauche politique. Il a participé à la fondation du Parti de la démocratie socialiste et à celle de l’Union des Forces progressistes. Militant de Québec solidaire, il participe au collectif de Gauche socialiste où il a été longtemps responsable de son site, lagauche.com (maintenant la gauche.ca). Il est un membre fondateur de Presse-toi à gauche.

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