Le 15 novembre 2016, l’Assemblée nationale avait adopté à l’unanimité une motion demandant au gouvernement du Québec de rendre publiques « toutes les informations sur les puits de forage inactifs déjà inspectés » et « de mettre en place rapidement les mesures essentielles afin d’assurer la fermeture conforme des puits problématiques ». Pourtant, le gouvernement n’a toujours pas levé le voile sur les résultats de la centaine d’inspections réalisées en 2015 par des escouades citoyennes sous l’égide de l’AQLPA, dans le cadre d’une entente de partenariat avec le MERN. Cette opacité révolte particulièrement les groupes au moment où le gouvernement s’apprête à autoriser officiellement les forages et la fracturation en mettant en vigueur sa Loi sur les hydrocarbures.
« Au lieu de divulguer les rapports d’inspection de l’AQLPA et de corriger, entre autres, les puits libérant des hydrocarbures, le MERN a mené en 2017 un blitz de pseudo inspections qui lui donne un spectaculaire taux de conformité de 90 % alors que ses inspecteurs n’ont vu que 13 % des puits », a dénoncé Christian Simard, directeur général de Nature Québec.
Selon les groupes, le ministère sait que l’escouade chapeautée par l’AQLPA avait de meilleurs résultats dans la recherche de puits et un taux de conformité bien plus faible, puisqu’il a son rapport entre les mains. « Nous ne pouvons pas divulguer les résultats du rapport que nous avons présenté au MERN car nous sommes liés par une entente de confidentialité, a expliqué André Bélisle, président de l’AQLPA. Par contre il est de notoriété publique que le nombre de puits problématiques est élevé, comme l’ont d’ailleurs confirmé les nombreuses inspections citoyennes réalisées en dehors de notre entente avec le MERN. Pourquoi le gouvernement impose-t-il l’omerta sur nos inspections ? Croit-il que les rapports rose bonbon qu’il publie maintenant sur son site vont convaincre quelqu’un ? »
Des études récentes semblent démontrer que des puits abandonnés peuvent devenir des super-émetteurs de gaz à effet de serre (GES) sur de longues périodes. « Les possibilités de fuites de méthane et de pétrole doivent être prises au sérieux, car elles peuvent poser de graves problèmes pour l’environnement, le climat planétaire et l’eau potable, ainsi que pour la santé et la sécurité des gens », a affirmé Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie chez Greenpeace Canada. Selon lui, « Tout porte à croire que le gouvernement craint que l’incohérence de ses politiques environnementales soit encore mise en lumière, lui qui nage en pleine contradiction alors qu’il veut réduire les émissions de GES mais finance les pétrolières et les gazières et propose un cadre règlementaire qui leur est favorable », s’est-il insurgé.
« La population est aussi en droit de savoir si des puits inactifs laissent échapper des substances susceptibles de contaminer l’eau potable, et ce ne sont pas les rapports du MERN qui nous renseigneront beaucoup là-dessus puisque la plupart des puits supposément inspectés n’ont même pas été localisés, a renchéri Alice-Anne Simard, directrice générale d’Eau Secours. Une source d’eau contaminée aux hydrocarbures est irrécupérable, comme le démontre l’exemple des lagunes de Mercier. Comment le gouvernement peut-il justifier un tel manque de transparence sur les puits inactifs alors même qu’il a investi l’argent des Québécois et des Québécoises dans de nouveaux projets de forage situés dans les bassins versants des rivières de la Gaspésie ? »
Selon Marc Brullemans, Ph. D. en biophysique et responsable scientifique du RVHQ, et Pascal Bergeron, porte-parole du groupe Environnement Vert Plus en Gaspésie, tous deux « chasseurs de puits abandonnés », le MERN n’a clairement pas la volonté de gérer convenablement les quelques 1000 puits déjà présents sur le territoire, y compris les 700 puits inactifs. « Parmi les rapports d’inspection de 2017, nous avons trouvé plusieurs exemples de puits que le ministère a déclarés "conformes" alors qu’ils dérogent clairement au règlement, a précisé Pascal Bergeron. Il reste des débris de forage dans certains cas et on voit même des signes de contamination près d’un puits que le service d’inspection a qualifié de conforme tout en affirmant ne pas l’avoir localisé ! » Selon Marc Brullemans, « Il est essentiel de disposer de l’ensemble des rapports d’inspection et des rapports des travaux effectués sur chacun des puits, depuis son forage, afin d’obtenir une vue correcte de la situation. Sans cela, on pourrait fortuitement se réjouir comme semble le faire le MERN ». Le 27 février dernier, MM. Brullemans et Bergeron ont publié avec plusieurs autres citoyens chasseurs de puits une lettre ouverte demandant au ministre Pierre Moreau une rencontre afin de clarifier les faits.
Les groupes soulignent qu’il n’y a aucune raison de croire que la situation s’améliorerait si des projets d’exploitation voyaient le jour. Ils exhortent le gouvernement à « tabletter » sa Loi sur les hydrocarbures et ses projets de règlements, pendant qu’il est encore temps, et à les remplacer par un cadre législatif empêchant le développement de la filière pétrolière et gazière, notamment en interdisant la fracturation hydraulique et l’exploitation des gisements non-conventionnels.
« Les graves lacunes mises au jour dans l’inspection des puits abandonnés par le MERN et le secret entourant les résultats d’inspections réalisées avec les fonds publics ne sont pas de nature à renforcer la confiance du public dans la gestion des activités d’exploration pétrolière et de leurs risques au Québec », a affirmé Karel Mayrand, directeur général pour le Québec et l’Atlantique à la Fondation David Suzuki. « Alors que le gouvernement se targue de vouloir adopter les normes les plus élevées au monde pour encadrer cette industrie, son incapacité à réaliser des inspections rigoureuses et transparentes lui fait perdre toute crédibilité dans ce dossier. Le gouvernement doit rendre publics les résultats de ces inspections, sinon la population ne pourra que conclure qu’on lui cache sciemment les véritables impacts de cette industrie », a-t-il conclu.
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